Un tribunal turc a interdit la distribution et la vente d'un livre écrit par Figen Yüksekdag, ancienne coprésidente emprisonnée du HDP
Figen Yüksekdag, ancienne coprésidente et députée du HDP, emprisonnée en Turquie depuis novembre 2016, est l'auteure d'un recueil de poèmes qui vient d'être interdit par la justice turque

Un tribunal turc a interdit la distribution et la vente d’un recueil de poèmes écrit par Figen Yüksekdag, ancienne coprésidente du HDP emprisonnée depuis près de huit ans.

En Turquie, les interdictions de livres critiques, notamment d’œuvres d’écrivains kurdes ou en lien avec les Kurdes, font partie, pour ainsi dire, de la routine. Souvent, ils sont considérés par la justice comme des outils de « propagande en faveur d’une organisation terroriste » et censurés en tant que tels. Dernière victime en date: « Yıkılacak Duvarlar » (en français: Les murs s’écrouleront) de Figen Yüksekdag, un recueil de poèmes rédigé en prison par la politicienne du Parti démocratique des Peuples (HDP) emprisonnée depuis 2016. Un tribunal d’Antalya l’a désormais interdit, les éditions de ce livre ne peuvent plus être vendues depuis jeudi. La prochaine étape consistera pour les représentants de la sécurité de l’Etat à se rendre dans les librairies et la maison d’édition afin de confisquer tous les recueils de poèmes disponibles en vue de leur destruction.

« Yıkılacak Duvarlar » a été publié en 2020 par la maison d’édition Ceylan à Istanbul. Le livre parle de résistance, d’amour et de foi inébranlable en la paix, la liberté et la justice. Yüksekdag fait notamment rencontrer les « 33 voyageurs du rêve », comme on appelle les victimes de l’attentat de Suruç de 2015, avec Taybet Inan, une autre victime de la terreur. Cette femme kurde, appelée « mère Taybet », fut abattue par l’armée turque à Silopi en décembre 2015, durant le siège militaire de la ville située dans la province kurde de Cizre. Son corps est resté dans la rue pendant sept jours, l’armée ayant empêché quiconque de le récupérer. Des proches et des voisins essuyèrent des tirs de snipers alors qu’ils tentaient de récupérer le corps de cette femme de 57 ans, mère de onze enfants.

Pour justifier concrètement l’interdiction du livre, la justice turque a choisi une ligne du poème « Bulutlu Başım » (en français : Ma tête trouble). « L’humanité se tortille au bord du néant tandis que les sous-sols brûlent, emmaillotées dans l’obscurité, que l’on tire dans la tête des bébés dans les maisons isolées. » Yüksekdag habille ainsi de mots les conditions dans les « sous-sols de la mort de Cizre », une expression qui désigne une série de massacres perpétrés par l’armée turque en 2016 dans la ville de Cizre, dans des sous-sols d’immeubles où de nombreuses personnes s’étaient réfugiées pendant le siège militaire. Selon les rapports des organisations de défense des droits humains, au moins 177 personnes ont été brûlées ou abattues par les forces de sécurité dans les « sous-sols de l’horreur ». Au moins 288 personnes au total sont mortes durant le siège

Selon le tribunal d’Antalya, l’évocation par Figen Yüksekdag de ces crimes dans un poème a pour « seul but de maintenir l’existence organisationnelle de l’organisation terroriste PKK/KCK et de gagner le soutien de grandes masses ». Dans la phrase « (…) les bébés dans les maisons isolées », la justice turque voit une « glorification des membres de l’organisation terroriste ». La maison d’édition Ceylan a commenté l’interdiction du livre en ces termes : « Ces poèmes ont depuis longtemps franchi les murs. Nous insistons sur le fait que nous ne ferons aucun compromis avec ceux qui prennent de telles décisions sous le couvert du droit. Quelles que soient les conditions, qu’il s’agisse de poèmes, de romans révolutionnaires ou de feuilles de route théoriques, notre collectif d’édition partagera ses œuvres avec les lectrices et les lecteurs. Avec résistance, avec une obstination vivante. »

Qui est Figen Yüksekdag ?

Née en 1971 à Adana, Figen Yüksekdag est cofondatrice du Parti socialiste des opprimés (Ezilenlerin Sosyalist Partisi, ESP), dont elle a été la présidente jusqu’en septembre 2014, année où son parti a rejoint le HDP. Au deuxième congrès du HDP, le 22 juin 2014, Figen Yüksekdag est élue coprésidente du parti avec le député kurde Selahattin Demirtaş. Aux élections législatives de juin 2015, elle est élue à Van. L’année suivante, le 4 novembre 2016, elle est arrêtée avec de nombreux autres députés du HDP, dont Demirtas. Depuis, elle est détenue dans la prison de haute sécurité de Kandıra, dans la province de Kocaeli, à l’ouest de la Turquie. Elle fait partie des 108 accusés poursuivis dans le cadre du procès dit de Kobanê et encourt à ce titre la prison à vie.