"Il s'agit de défendre ses droits, son identité", a déclaré Newroz Ehmed à propos des raisons qui motivent les femmes à s’engager dans les YPJ
Newroz Ehmed, membre du commandement général des Forces démocratiques syriennes (FDS)

« Il ne s’agit pas de manier les armes, il s’agit de défendre ses droits, son identité, tout ce qui appartient à l’être humain », a déclaré Newroz Ehmed, membre du commandement général des FDS, à propos des raisons qui motivent les femmes à s’engager dans les YPJ au Rojava.

Newroz Ehmed est membre du commandement général des Forces démocratiques syriennes (FDS). Dans une interview accordée à l’agence de presse Firat News (ANF) à l’occasion du 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, elle parle de l’importance des Unités de Protection des Femmes (YPJ) et du besoin d’outils d’autodéfense. La commandante kurde jette par ailleurs un regard sur les développements de l’année 2021.

Comment la position des femmes dans l’armée a-t-elle évolué au cours de l’année écoulée ?

2021 a été une année importante pour nous à bien des égards. La lutte contre l’État islamique (EI) s’est déroulée principalement avec la participation et le leadership des YPJ. Une opération a été menée, conjointement avec les forces de sécurité intérieure, contre les cellules de l’EI dans le camp d’Al Hol où se trouvent des milliers de membres des familles des djihadistes. L’opération a été menée principalement par nos forces des YPJ car la majorité des personnes touchées étaient des femmes et des enfants. Il s’agissait d’une opération importante pour contrer l’organisation EI. Au cours de l’année, nos forces ont également été confrontées aux attaques de l’État turc et de ses mercenaires, lancées depuis les zones occupées par Ankara. Les YPJ ont été en première ligne pour protéger notre peuple et la région et repousser ces attaques.

Parallèlement aux attaques turques, l’EI est devenu de plus en plus actif. Pour briser ces attaques, notre commandante, Sosin Bîrhat, et ses amies ont combattu en première ligne et sont tombés en martyres. En plus des opérations, cette année a été une période importante pour le développement de la formation en technologie et tactique. Lors des dernières attaques, nous l’avons bien vu : quand on manque d’entraînement et d’organisation, quand on ne maîtrise pas la guerre, il est difficile de résister. C’est pourquoi nous avons restructuré notre force militaire et adopté de nouvelles tactiques de combat. Dans le même temps, nos forces d’autodéfense sociale ont lancé un nouveau système d’éducation pour former et sensibiliser la population. On ne peut réussir à s’organiser sans la société, mais, ensemble, nous pouvons repousser les attaques contre notre pays et gagner. Il était important que ce travail ait lieu cette année.

Les institutions, conseils et organisations militaires ont tenu des réunions pour évaluer l’année passée et la nouvelle année. Il y a également eu des réunions plus étroites du leadership. Toutes nos réunions ont été menées du plus bas niveau de la direction jusqu’au sommet. Des sujets tels que l’organisation, l’éducation et la technologie nécessaires à l’établissement d’un nouveau système ont été abordés. Dans le même temps, nous avons discuté du nouveau système et de la formation des services de renseignement et des forces spéciales. En conséquence, nous avons développé un nouveau système. Grâce à nos préparatifs, nous avons repoussé les attaques qui ont eu lieu cette année. Notre branche militaire a participé aux combats avec beaucoup de moral et de passion sur la base des nouvelles connaissances acquises. Lors des récentes attaques contre la prison de Hassaké, nos commandos et les forces de renseignement des FDS, des YPG [Unités de Protection du Peuple] et des YPJ étaient en première ligne. Plus tard, nos forces ont participé aux opérations contre les cellules dormantes de l’EI.

En tant que YPJ, nous avons été de toutes les missions. Nous avons suivi le chemin de femmes comme Arîn Mirkan, Barin Kobanê et Avesta avec une grande détermination. L’État islamique voulait relancer son califat à Hassaké et mettre en œuvre un nouveau plan contre le monde entier. Ce n’était pas une attaque minime ou ordinaire, et la résistance n’était pas minime non plus. Nous commémorons tous nos camarades tombés au combat en la personne de Heval [en kurde, camarade] Awaz. Grâce à elles et eux, nous avons pu offrir une nouvelle victoire à notre peuple.

Quel est le rôle et l’importance des femmes dans la révolution du Rojava ?

Les résistantes de la révolution du Rojava sont devenues le symbole commun de tous les peuples vivant dans le nord et l’est de la Syrie. Sous ce toit, les gens se sont rassemblés et se sont unis. Au cours de l’année écoulée, de nombreuses femmes ont rejoint la révolution. Elles sont devenues un modèle pour l’ensemble de la société. Depuis que les femmes sont impliquées à tous les niveaux de la vie, les préjugés à leur égard ont été brisés. Les femmes ont gagné leur place dans la société grâce à leur engagement et leur organisation.

Les femmes sont les premières visées dans toutes les guerres. Quelle en est la raison et comment pensez-vous que les femmes peuvent se protéger ?

Il n’est pas facile de s’opposer au système étatique patriarcal qui existe depuis des siècles. Cela demande beaucoup de résistance et nous devons faire notre travail du mieux que nous pouvons. Tant l’EI que l’occupant turc veulent briser cette résistance. L’EI et la Turquie veulent créer des femmes dénuées de tout rôle social, politique ou militaire. Mais aujourd’hui, les femmes sont à l’avant-garde. Les femmes organisées, disposant d’un rôle de direction dans la société, sont toujours des cibles. Elles sont victimes de viols, d’agressions et de meurtres. À bien des égards, on tente de détruire les femmes qui dirigent la société et, partant, de détruire la société. L’année dernière, cela s’est produit ouvertement. Chaque fois que les femmes revendiquent leurs droits, elles sont prises pour cible. C’est pourquoi il est important que les femmes s’organisent.

Xwebûn [en kurde, « être soi-même »] est une notion importante. Nous avons essayé de comprendre ce concept en nous concentrant et en discutant des raisons pour lesquelles nous avons pris les armes au sein des YPJ. Il ne s’agit pas de manier les armes, il s’agit de défendre ses droits, son identité, tout ce qui appartient à l’être humain. Nous essayons de créer cette prise de conscience. Une attaque contre une femme est une attaque contre toutes les femmes, il faut donc en tenir compte. Dans cette optique, les femmes doivent s’organiser. En nous unissant, nous devenons toutes plus fortes. Mais il faut aussi savoir que plus les femmes sont fortes, plus elles sont ciblées par les attaques.

C’est pourquoi il doit toujours y avoir des forces d’autodéfense légitimes. Si les femmes parviennent à cette prise de conscience, elles peuvent créer leur propre autodéfense dans tous les domaines de la vie et se protéger sur cette base à tous les égards. Les moyens et les méthodes pour y parvenir évoluent. Les femmes doivent participer à tous les domaines de la vie tels que l’éducation, l’économie, la justice, etc. en s’organisant sur cette base. Il est important de s’engager dans un sentiment d’unité et d’autodéfense. Avec le YPJ, il y a maintenant une force féminine distincte, il y a une unité et une collectivité, mais cela ne suffit pas. Une lutte et une résistance plus importantes sont nécessaires. En tant que société, nous devons nous identifier aux YPJ.

Certains pays ont tenté de classer les FDS, les YPG et les YPJ parmi les organisations terroristes. Comment jugez-vous cette approche ?

Les femmes qui « sont elles-mêmes » et se protègent peuvent également défendre et protéger la société. Les YPJ se trouve dans une zone de guerre. Il est important de renforcer les YPJ dans tous les domaines de la vie. En tant que YPJ, nous n’avons attaqué aucun territoire ou État. Nous avons seulement exercé notre droit à l’autodéfense. Notre approche s’inscrit dans ce cadre. Nous protégerons notre peuple et exercerons notre droit à l’autodéfense contre toute attaque visant notre société ou notre territoire. On dit que nous avons attaqué la Turquie ou d’autres forces, mais nous n’avons attaqué personne, nous avons simplement utilisé notre droit à l’autodéfense.

Alors de quels actes de terrorisme est-il question ? Où les aurions-nous commis ? Nous avons juste défendu nos droits. Chaque jour, des personnes sont attaquées, déplacées; chaque jour, des femmes sont assassinées. Tout le monde peut se taire sur ces actes, mais nous sommes là pour défendre les femmes et la société.

Nous lançons un appel à toutes les personnes, à tous les défenseurs de la liberté et des droits humains, à celles et ceux qui luttent pour les droits et libertés des femmes, aux puissances internationales : Venez enquêter sur nos activités. Nous sommes absolument transparentes.

Les femmes kurdes ne sont pas les seules à se battre dans les YPJ qui comprennent aussi des femmes arabes, assyriennes ou issues d’autres composantes ethniques de la région. Quelles sont les attentes des femmes vis à vis des YPJ ?

Toutes les femmes se penchent sur la question de l’organisation et de l’autodéfense et essaient d’en trouver des modèles. Les YPJ sont un exemple concret et dynamique en ce sens. Si les YPJ n’était qu’une force limitée à une région, personne n’aurait fait un tel programme. Mais les YPJ sont devenues de plus en plus un modèle pour le nord et l’est de la Syrie, pour la Syrie, pour le Moyen-Orient, voire pour toute l’humanité.

L’organisation des YPJ s’est déroulée plus tôt que prévu. Elles se sont constituées rapidement et sont devenues une force très efficace. Il y avait donc un besoin en la matière. Cette vague, qui a commencé avec les femmes kurdes, a également touché les autres femmes. Diverses forces se sont jointes à nous et nous sommes devenues ce que nous sommes aujourd’hui. Des femmes du monde entier viennent rejoindre les YPJ. Les forces d’autodéfense organisées entraînent de sérieux changements dans notre région. Elles changent la société. Lorsque la société change, la région change. Et lorsque la région change, cela a un impact mondial. Mais cela nous confère également une grande responsabilité. Nous nous sentons responsables de toutes les femmes dans le monde.

Nous devons faire face à de lourdes attaques. Nous sommes capables d’améliorer le mécanisme d’autodéfense bien que nous soyons dans un contexte d’agressions. Nous avons la force de répondre aux attaques, car derrière nous se tient une force encore plus grande sur laquelle nous pouvons nous appuyer, l’armée des martyrs. La force, c’est la volonté des mères qui ont été témoins au massacre brutal de leurs enfants et qui ont dû les enterrer de leurs propres mains. Le pouvoir, c’est la présence parmi nous de centaines de filles de martyrs, l’héritage de femmes du monde entier qui nous ont rejoints à chaque étape de cette lutte. Tout cela constitue la source de notre force, de notre résistance.

À l’occasion de la Journée mondiale de lutte des femmes, nous rappelons à toutes les femmes que l’heure est à la liberté. Nous les appelons à partager nos peines et nos réussites et à lutter ensemble. Nous pouvons vaincre la mentalité qui tue les femmes, qui tue l’amour, qui impose la couleur noire aux femmes, et nous sommes prêtes à le faire. Personne n’est seul, nous sommes aux côtés de toutes.