Dans une interview accordée à l’agence de presse kurde ANF, Aldar Khalil, membre du Conseil de la coprésidence du Parti de l’union démocratique (PYD), a déclaré que les récentes accusations du vice-ministre syrien des Affaires étrangères à l’égard de la Turquie résultaient des oppositions récentes entre les deux pays.
La justice turque incrimine la Résistance de Kobanê avec le procès dit de Kobanê. Qu’en pensez-vous ?
La résistance de Kobanê était historique. Je commémore respectueusement tous les martyrs immortels qui ont rendu cette résistance possible. Sans les martyrs, les combattants de la liberté et l’unité de ces peuples, la résistance n’aurait pas eu lieu de cette manière. Cette résistance a prouvé qu’un peuple peut atteindre la victoire grâce à sa volonté et sa détermination, peu importe l’intensité de l’attaque. L’État islamique (EI) a connu sa première défaite à Kobanê. Il s’agissait d’une résistance sacrée.
Cependant, ni l’EI, ni Erdogan ne pouvaient accepter cette situation. Ils ont voulu prendre leur revanche sur Kobanê. Ils ont perpétré un massacre le 25 juin [2015] et ont tué des femmes révolutionnaires-patriotes à Kobanê l’année dernière. Cela prouve que le responsable de l’EI est Erdogan. Ils veulent toujours prendre leur revanche sur cette ville. La Turquie veut attaquer tous ceux qui ont soutenu cette résistance. Les attaques contre Afrin, Serêkaniyê et Girê Spî, les menaces contre Manbij et d’autres régions servent toutes cet objectif.
Erdogan se venge de cela non seulement dans le nord-est de la Syrie, mais aussi dans le nord du Kurdistan (Turquie). Les peuples et les politiciens du Nord-Kurdistan sont poursuivis par Erdogan pour avoir soutenu Kobanê en 2014. Il demande des comptes à celles et ceux qui ont soutenu Kobanê. Des milliers de personnes se sont retrouvées dans les prisons turques parce qu’elles avaient soutenu Kobanê.
Notre peuple a soutenu cette résistance dans les quatre parties du Kurdistan et dans le monde entier. Erdogan ne le digère pas. Lorsque la résistance de Kobanê a commencé, des milliers de jeunes du Nord-Kurdistan sont venus et ont rejoint cette résistance. Certains sont tombés en martyrs et d’autres ont été blessés. Il y a encore des gens qui continuent leur lutte. Ils sont maintenant devenus les défenseurs du Rojava et de Kobanê. Ils ont éliminé les djihadistes de l’EI. Leur identité, leur présence et leur représentation sont devenues un symbole de résistance et d’unité nationale au Rojava, dans le nord-est de la Syrie et dans tout le Kurdistan.
Les violations commises par l’État turc sont liées à cette résistance et aux acquis révolutionnaires. Chacun doit prendre position face à cette situation.
Les attaques contre les régions du nord-est de la Syrie se sont intensifiées. Certains ont tenté de créer des provocations à Manbij et Shaddadi. Cependant, l’escalade des événements a été évitée par les forces de sécurité. Qui est derrière les attaques contre le nord-est de la Syrie ?
Les peuples de Syrie n’ont pas de chance car ils sont voisins d’un État gouverné par Erdoğan. L’État turc est intervenu en Syrie depuis le premier jour de la révolution. L’intervention de l’État turc en Syrie a produit des résultats très négatifs. L’un d’eux est l’empêchement par la Turquie d’une solution politique. La Turquie a transformé l’opposition syrienne en groupes de mercenaires. L’intervention turque a maintenu le régime [syrien] en vie et l’a consolidé. L’État turc a joué un rôle très nuisible.
La gouvernent turc de l’AKP-MHP [coalition islamo-nationaliste au pouvoir] a attaqué la démocratie et la liberté en Syrie. Si la Turquie n’était pas intervenue en Syrie, les peuples de Syrie auraient pu développer une solution en leur sein et avec Damas. La Turquie fait la guerre aux forces de la démocratie.
La Turquie a occupé Afrin, Serêkaniyê et Girê Spî. Actuellement, elle se concentre sur la création de conflits. Tout d’abord, les services de renseignement turcs (MIT) négocient avec le régime syrien pour l’inciter à opérer un changement démographique et l’empêcher de parvenir à un accord avec les autorités du nord-est de la Syrie. En échange, ils lui promettent de le soutenir et de ne pas le laisser s’effondrer. En 2011-2012, Erdoğan disait que le régime de Bachar el-Assad devait être renversé. Il ne le dit plus aujourd’hui. Il a dit récemment à el-Assad qu’il pourrait garder son pouvoir s’il le voulait.
Deuxièmement, la Turquie tente de monter les peuples de la région les uns contre les autres. Parce qu’il veut mettre un terme à notre projet basé sur le concept de Nation Démocratique, dans lequel toutes les nations et tous les peuples, y compris le peuple kurde, ont des droits. Les peuples kurde, arabe, syriaque et assyrien participent tous au projet démocratique. Erdogan réagit à cela. C’est pourquoi il crée des conflits.
Comment le MIT et les Mukhabarat travaillent-ils pour semer la discorde dans la région ?
Des relations de renseignement ont été établies entre le régime syrien et l’État turc. Ils travaillent sur les tribus arabes, les électeurs syriaques et les personnalités publiques importantes. D’une part, ils forment des cellules dormantes. D’autre part, ils diffusent de fausses informations grâce à leurs méthodes de guerre psychologique. Ils mènent une guerre psychologique et spéciale. Ils veulent perturber la société psychologiquement et saper ses espoirs.
Ils veulent aussi créer des situations conflictuelles entre les peuples de la région, notamment entre Kurdes et Arabes. Le MIT y travaille. Heureusement, les peuples de la région croient en ce projet et y tiennent. C’est pourquoi ils ne peuvent pas être engrenés facilement. De graves problèmes sont peut-être survenus à Manbij, Deir ez-Zor et Shaddadi. Tous les pays connaissent ce genre de problèmes. Dans le nord-est de la Syrie, une telle situation peut se produire en raison des erreurs et des lacunes qui surviennent parfois entre l’administration et la population. Le MIT et les services de renseignement du régime syrien tentent de tirer parti de cette situation. Ils ont essayé de créer des troubles civils autour de cette situation. Cependant, l’administration autonome et les forces de sécurité, ainsi que les initiatives des leaders d’opinion ont déjoué les jeux d’Erdoğan et du régime syrien.
Le vice-ministre syrien des Affaires étrangères, Bashar Jaafari, a déclaré que le fils d’Erdogan était personnellement impliqué dans le vol de pétrole et de gaz naturel par le biais de l’EI en Syrie, et que le MIT a fait passer du gaz sarin de Libye en Syrie. Le mafieux turc Sedat Peker a par ailleurs divulgué des informations sur ces faits. Pourquoi ce silence sur les crimes commis par l’État turc dans ces régions ? Pourquoi les autorités du régime syrien ont-elles fait une telle déclaration ?
L’Etat turc est intervenu partout. C’est lui qui a créé Jabhat al-Nusra, développé l’EI, lui a fourni de la logistique en armement et en renseignements, créé des plans et des projets, et fixé des objectifs. Tout le monde connaît ce fait, quoi qu’en dise Jaafari. Tout le monde a vu comment l’État turc a déployé des mercenaires sur la ligne frontalière pendant la résistance de Kobanê en 2014, et comment des attentats à la bombe ont été perpétrés sur la frontière près de Kobanê et Girê Spî. L’État turc les a ouvertement soutenus et a entrepris des activités en Azerbaïdjan, en Arménie, en Libye, en Méditerranée, en Syrie et en Irak. Il n’y a donc rien de nouveau.
Si le régime syrien soulève ces questions maintenant, c’est en raison des relations de renseignement. Il y a des relations entre Hakan Fidan, chef du MIT, et les services de renseignement syriens. Mais actuellement, il y a des oppositions entre eux. Il y a des problèmes au sein du trio Erdoğan-Russie-Syrie concernant la question d’Idlib. La récente déclaration de Jaafari est destinée à faire pression sur la Turquie au sujet d’Idlib. Une autre raison est que le régime syrien veut se présenter comme le « protecteur des terres arabes » parmi les pays arabes.
Ce genre de choses arrive en politique. Les forces s’unissent lorsqu’elles sont anti-démocratiques et anti-libertaires. Mais il y a aussi des oppositions entre elles. Les pourparlers de Genève et les pourparlers sur la constitution syrienne se sont arrêtés. Le représentant des Nations Unies pour la Syrie n’a plus d’espoir. C’est pourquoi, chaque partie cherche à utiliser tout ce qui est en son pouvoir afin de faire pression sur les autres.