Inculpé pour incitation à la haine via les médias sociaux, le journaliste kurde Sinan Aygül a été placé en détention par le justice turque
Sinan Aygül, président de l'Association des Journalistes de Bitlis

Inculpé pour incitation à la haine via les médias sociaux, Sinan Aygül, président de l’Association des journalistes de Bitlis, a été placé en détention ce mercredi par la justice turque.

Arrêté à Bitlis, au Nord-Kurdistan (sud-est de la Turquie), le journaliste kurde Sinan Aygül a été placé en détention ce mercredi. Le président de l’Association des journalistes de Bitlis est accusé d’incitation du peuple à la haine en raison d’un post publié sur Twitter mardi soir concernant des violences sexuelles commises par les forces de sécurité turques sur une jeune fille de quatorze ans. Aygül avait supprimé le tweet le même jour en s’excusant du fait qu’il n’était pas suffisamment étayé. Trois heures plus tard, la police a perquisitionné son appartement, ce dont le journaliste a été informé sur Twitter. Placé en garde à vue dans la nuit de mardi à mercredi, il a été interrogé par le procureur, avant d’être présenté devant le tribunal et placé en détention provisoire quelques heure plus tard.

Dans un dernier tweet publié aujourd’hui, en début d’après-midi, le journaliste kurde déclare : « Ce sont les agresseurs et les violeurs qui devraient être arrêtés, et non les journalistes. Le journalisme n’est pas un crime ».

La nouvelle loi turque sur « la désinformation », un instrument de répression à l’encontre des médias indépendants

En vertu d’une loi très controversée « sur la désinformation » adoptée en Turquie en octobre, la diffusion d’« informations fausses ou trompeuses » est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison. La nouvelle loi permet de pénaliser toute information critique à l’encontre du pouvoir politique sous prétexte de « désinformation ». Elle prévoit des sanctions pénales à l’encontre de toute personne diffusant « des informations fausses concernant la sécurité intérieure et extérieure, l’ordre public et la santé générale dans le but de susciter l’inquiétude, la peur ou la panique au sein de la population et de perturber la paix sociale ». De facto, cela signifie que toute personne qui diffuse des informations gênantes pour le gouvernement sur les réseaux sociaux peut potentiellement être poursuivie. Le champ d’application de la nouvelle loi couvre non seulement les médias écrits et audio-visuels, mais aussi et surtout les réseaux sociaux.

La Turquie dans le top 5 des geôliers de journalistes

Selon un rapport publié aujourd’hui par le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ), « le nombre de journalistes emprisonnés dans le monde a atteint un nouveau record en 2022 ». L’organisation de défense de la liberté de la presse place la Turquie dans le top 5 des geôliers de journalistes, avec l’Iran, la Chine, le Myanmar et le Belarus.

Par ailleurs, le bilan 2022 de Reporters sans Frontières (RSF) attire l’attention sur l’augmentation du nombre de femmes détenues cette année: « Les femmes représentent désormais près de 15% des journalistes détenus, contre moins de 7% il y a cinq ans. » Concernant la Turquie, le rapport souligne que « trois femmes journalistes et une travailleuse des médias sont en détention provisoire depuis juin 2022, date à laquelle les médias et les sociétés de production pro-kurdes ont été confrontés à une nouvelle vague d’arrestations pour leur soutien présumé au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme une organisation terroriste par le gouvernement turc. » RSF précise que parmi les journalistes femmes détenues, figure « la directrice de l’agence de presse féminine Jin News, Safiye Alagas, qui, en 2019, avait déjà été arrêtée et accusée de « propagande pour une organisation terroriste » avant d’être acquittée. »