Le procès de l’assassin de la jeune militante kurde Deniz Poyraz a débuté à Izmir. Le rire de l’accusé pendant l’audience a suscité de vives réactions dans la salle.
La première audience du procès d’Onur Gencer, jugé pour le meurtre de Deniz Poyraz dans les locaux du Parti démocratique des Peuples (HDP) à Izmir, le 17 juin, s’est tenu aujourd’hui devant la cour criminelle d’İzmir.
De nombreuses personnalités politiques, militants et représentants d’organisations de la société civile, dont les parlementaires danois Lars Aslan Rasmussen et Soren Sondergaard, ainsi que les présidents des barreaux de 29 provinces de Turquie, sont venus observer le procès. Plus de 500 avocats se sont rendus au palais de justice, mais seule une petite partie d’entre eux a été autorisée à entrer dans la salle d’audience. L’affluence a donné lieu à des scènes de tumulte. L’accusé, un partisan de l’organisation d’extrême droite « Loups gris », âgé de 27 ans, était surveillé par deux policiers militaires qui plaisantaient gentiment avec lui, ont constaté des journalistes présents dans la salle.
Avant que le procès ne commence, des représentants de plusieurs partis, dont le HDP et le CHP (Parti républicain du Peuple), ainsi que des militantes d’organisations de femmes, ont fait une déclaration devant le tribunal. La coprésidente du HDP, Pervin Buldan, a déclaré que les balles tirées sur Deniz Poyraz visaient l’espoir de paix et de démocratie en Turquie. « Aujourd’hui, un meurtrier est jugé, mais les forces derrière l’attentat, les commanditaires et ceux qui l’ont poussé à appuyer sur la gâchette n’ont toujours pas été identifiés », a déclaré Pervin Buldan. Et de poursuivre : « Nous savons que le discours de haine du gouvernement et la désignation systématique du HDP en tant que cible ont conduit à l’assassinat de Deniz. Ce qui s’est passé ce jour-là ne peut pas être considéré indépendamment du langage du gouvernement. Tant que les auteurs du massacre de Roboskî et des attentats d’Ankara et de Suruç ne seront pas punis et que les commanditaires de l’assassinat de Deniz ne seront pas identifiés, il y aura d’autres assassinats dans ce pays. Hier encore, une attaque similaire a eu lieu contre le siège départemental du HDP à Istanbul-Bahçelievler, qui a heureusement échoué. »
La présidente du HDP a rappelé qu’Onur Gencer avait suivi une formation militaire auprès des troupes d’occupation turques dans le nord de la Syrie avant le meurtre, et que sept mois après le crime, les enquêteurs n’avaient toujours pas mené d’investigation visant à retrouver les personnes impliquées dans la planification et la préparation du meurtre. « Les assassins de Deniz et leurs commanditaires devront rendre des comptes à ce pays, aux femmes et à notre parti. Nous n’abandonnerons jamais notre combat pour la justice, la paix et la démocratie », a clamé Buldan.
L’audience a commencé par un interrogatoire de personnalité. Durant cette phase, de vives réactions ont parcouru la salle lorsque l’accusé a ri et agressé verbalement les parties civiles. « Les meurtriers rendront des comptes », ont scandé alors de nombreuses personnes présentes à l’audience.
Le meurtre de Deniz Poyraz
Deniz Poyraz a été abattue de six balles le 17 juin au siège du HDP dans le district de Konak, à Izmir. Ce jour-là, une réunion de la direction à laquelle une quarantaine de personnes étaient attendues devait avoir lieu dans le bâtiment, mais elle avait été reportée à la dernière minute. Les responsables du HDP en déduisent qu’un massacre était planifié. Les images prises dans les locaux immédiatement après le meurtre, montrent que le meurtrier avait tiré un grand nombre de balles qui auraient pu tuer toutes les personnes attendues à la réunion. Onur Gencer avait forcé la porte fermée du bureau du conseil d’administration en tirant plusieurs fois sur la serrure. Après le carnage, il a partagé sur WhatsApp une photo du corps sans vie de Deniz Poyraz gisant sur le sol, avec la mention : « cadavre n°1 ». En outre, la façon dont il a été approché par la police lors de son arrestation en dit long sur le traitement de cette affaire par les autorités turques. L’un des policiers qui avait alors appréhendé Gencer lui avait parlé sur un ton amical, l’appelant « mon frère ». Le HDP a par ailleurs soulevé la question de savoir comment l’assaillant lourdement armé avait pu pénétrer, sans être repéré par la police, dans un bâtiment surveillé 24 heures sur 24.
Selon le conseil juridique de la famille de Deniz Poyraz, l’analyse des données du téléphone portable d’Onur Gencer indique que l’homme n’a pas agi seul mais dans le cadre d’une structure organisée. Bien que le plan d’assassinat ait été minutieusement préparé – l’assassin se serait rendu 115 fois en l’espace d’un an dans les environs immédiats du siège du HDP pour une tournée de reconnaissance, il se serait rendu 24 fois dans le bâtiment, il serait allé deux fois s’entraîner sur un stand de tir peu avant l’attentat – aucune enquête n’a été menée contre d’éventuels commanditaires ou complices. Selon l’accusation, aucun lien avec des organisations ou des structures de gangs n’a été établi, que ce soit avant, pendant ou après l’acte.
L’acte d’accusation cite un certain nombre de personnes de son entourage, dont plusieurs chauffeurs de taxi, qui prétendent qu’Onur Gencer, ambulancier de profession, leur avait paru confus à plusieurs reprises. L’accusation en déduit que l’ultranationaliste turc souffrirait depuis des années de troubles anxieux. Le ministère public veut manifestement faire en sorte que le procès débouche sur une décision d’irresponsabilité pénale.