L’éminent défenseur des droits humains Akin Birdal, qui a un temps partagé la cellule du prisonnier politique Halil Günes décédé mercredi, a dénoncé la mise en œuvre dans les prisons turques d’une « loi de la vengeance ».
Moins d’une semaine après le décès de la prisonnière politique kurde Garibe Gezer, morte de façon suspecte dans une cellule d’isolement disciplinaire de la prison de Kandıra, à Kocaeli, la nouvelle du décès des prisonniers malades Halil Günes et Abdülrezzak Suyur est arrivée des prisons de Sakran et de Diyarbakir.
Dans un entretien avec l’agence de presse Firat News (ANF), Akın Birdal, président honoraire de l’Association des Droits de l’Homme de Turquie (IHD), a évoqué une situation alarmante dans les prisons turques. « Une loi de vengeance est mise en œuvre dans les prisons », a-t-il déclaré.
« UNE BELLE PERSONNE »
Birdal, qui a passé 6 mois dans la prison d’Ulucanlar en 2000, dans la même cellule que Halil Günes décédé mercredi dernier des suites d’un cancer, a indiqué que celui-ci était malade depuis des années, soulignant qu’en dépit des nombreuses demandes de libération conditionnelle, il avait été maintenu en détention. Il s’est souvenu du prisonnier politique en ces termes : « J’ai été envoyé dans la prison d’Ulucanlar avec quatre députés du DEP [Parti de la Démocratie, prédécesseur du HDP]. Des prisonniers malades y avaient également été transférés. Nous avons partagé avec eux la même cellule pendant six mois. Halil était l’un des prisonniers gravement malades. Dans mon livre ‶Enveloppe jauneʺ, il y a d’ailleurs une photo sur laquelle nous sommes ensemble. Halil était écrivain et poète. Il avait été condamné à une peine de prison à vie aggravée. C’était lui qui organisait les veilles de nuit. Il ne m’a jamais inscrit sur la liste de garde. Pour m’aider dans mon travail, il m’avait même construit une table en bois et s’était assuré que j’aie de la lumière. C’était vraiment une belle personne. Dans la cellule, Halil avait l’habitude de nous couper les cheveux. Il s’est aussi occupé de mon « rasage de libération ». « Heval [ami en kurde], on va te faire sortir en beauté », disait-il. C’était une personne très attentionnée. »
« IL A REJOINT LE MOUVEMENT PATRIOTIQUE EN RÉACTION À L’OPPRESSION DES FAMILLES KURDES »
De ses discussions avec Halil et d’autres prisonniers malades, l’éminent défenseur des droits humains a fait un livre intitulé « Rêve dans la cour » qui n’a pas été publié en raison de la pression et de la censure dans le pays. « Leur rêve, a dit Akin Birdal, était une Turquie pacifique où ils pourraient vivre ensemble de manière égale et libre. Halil me parlait souvent de ses rêves extraordinaires tandis que nous faisions les cents pas dans la cour. Il était d’une famille arabe d’Adana. Il s’était engagé dans le mouvement patriotique en réaction à l’oppression exercée contre les familles kurdes dans son quartier. En parlant de ses souvenirs d’enfance, il m’avait raconté comment il avait attrapé un scorpion qui se promenait sur la tête de l’enfant du voisin pour le déposer par terre, alors que personne n’osait le toucher. « Je suis un sorcier Heval », disait-il. »
« IL N’Y A PAS DE DROIT À LA VIE EN PRISON »
Selon Birdal, il n’y a pas de droits et de libertés en Turquie. « Cela peut sembler très idéaliste, mais il y a quelques jours, j’ai dit qu’ils devraient faire un geste et libérer les prisonniers malades comme cadeau pour la Semaine des droits de l’homme », a déclaré Birdal en faisant référence aux nombreux militants politiques et activistes des droits humains emprisonnés, tels que Aysel Tugluk et Mehmet Emin Özkan.
« LES PRISONS ET LE BUDGET REFLÈTENT LA SITUATION DU PAYS »
Birdal a déclaré que les prisons et le budget reflètent la situation d’ensemble dans le pays. « Le budget actuellement débattu en Turquie est un budget militaire et discriminatoire ; les tragédies subies dans les prisons en sont le reflet », a souligné M. Birdal. Selon l’IHD, plus de 1600 malades, dont 106 gravement malades, sont en prison. « Malgré les appels constants à leur libération, aucune mesure n’a été prise dans ce sens, pas même dans le cadre de la pandémie. Les condamnés gravement malades ont le droit de passer leurs derniers jours avec leur famille et leurs proches, la libération des prisonniers malades est un droit fondamental », a-t-il ajouté. Et d’appeler l’ensemble de l’opposition politique et sociale à exercer une pression démocratique sur le gouvernement pour arrêter les décès en prison.