Un charnier découvert à Mardin

Des ossements humains découverts à Dargeçit (Kerboran en kurde), dans la province de Mardin, ont été envoyés à Istanbul en vue d’une autopsie.

Les habitants du village d’Akyol, dans le district de Kerboran, ont découvert, dans une grotte du hameau de Gulbiş, un charnier contenant les ossements de dizaines de personnes. Les ossements appartiendraient à des civils kurdes enlevés puis exécutés par le JITEM (service de renseignement de la gendarmerie turque) dans les années 90.

Plusieurs parents de victimes de « meurtres d’auteurs inconnus » (traduction littérale du terme turc « faili meçhul » utilisé pour qualifier les exécutions extrajudiciaires) ont déposé une requête auprès du procureur de Kerboran afin que les os soient analysés. Suite à cette requête, des soldats turcs et des avocats de la branche de l’Association des droits de l’homme (IHD) de Mardin ont visité la grotte. Les ossements ont ensuite été envoyés à l’Institut de médecine légale d’Istanbul pour analyses.

Erdal Kuzu, l’un des avocats des parties civiles dans l’affaire du « JITEM de Dargeçit » a déclaré : « Les os seront examinés. Nous avons fait une demande auprès du parquet de Dargeçit pour savoir si les os portent l’ADN de personnes exécutées dans les années 90. »

La guerre menée par l’Etat turc contre le mouvement de libération kurde incarné par la PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) a été particulièrement sanglante dans les années 1990 : des milliers de Kurdes – paysans, journalistes, universitaires, militants politiques, défenseurs des droits humains, hommes d’affaire – ont été enlevés et exécutés. 

Près de 17 000 personnes « disparues »

On estime à près de 17 000 le nombre de victimes de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires durant cette période sombre. Leurs corps ont été enterrés dans des fosses communes, des grottes ou des usines désaffectées, sinon jetés dans des décharges, coulés dans des puits et des fosses d’acide ou, comme en Argentine, largués par des hélicoptères militaires. La plupart du temps, les victimes ont été arrêtées à leur domicile par la police ou l’armée, ou convoquées au poste de police local pour une « déclaration », ou encore arrêtées dans la rue par les militaires. C’est souvent le dernier lieu où elles ont été vues vivantes. La plupart des « meurtres d’auteurs inconnus » sont attribués au JITEM, une organisation paramilitaire non reconnue par l’Etat turc qui serait responsable d’au moins 80% des meurtres impunis.

Dans le cas des squelettes découverts à Kerboran, on suppose qu’ils appartiennent à des victimes du JITEM. Le site est situé à quelques centaines de mètres seulement du village d’Altınoluk où vit Irfan Yakut, fils d’une victime. C’est là qu’il a vu son père, Yahya Yakut, pour la dernière fois, il y a 27 ans. Yahya Yakut avait été menacé de mort à plusieurs reprises par les paramilitaires parce qu’il refusait d’être protecteur de village. En septembre 1993, il est parti pour Konya dans l’espoir d’y trouver du travail et y emmener ensuite sa famille. Mais il n’est jamais arrivé à destination. À Midyat, un district de Mardin, le minibus dans lequel il voyageait a été arrêté. Un groupe d’hommes masqués l’a traîné hors du véhicule. Depuis, on n’a plus aucune nouvelle de lui.

Ce n’est pas le premier charnier découvert à Kerboran

« En tant que fils d’une personne disparue, il est particulièrement important pour moi que le sort des personnes exécutées, dont les restes ont maintenant été retrouvés, soit clarifié. De nombreuses personnes dans la région connaissent l’histoire de mon père. C’est pourquoi, j’ai été informé immédiatement après la découverte du charnier », a déclaré Irfan Yakut. « J’ai rapidement visité le site et pris des photos. J’ai compté 30 crânes, il y en a probablement d’autres. De nombreuses personnes ont disparu à Kerboran dans les années 90. Ce n’est pas le premier charnier découvert ici ».

En 2011, l’IHD a établi une carte montrant la localisation de 253 sites où ont été découverts les ossements de 3 248 personnes disparues. Les charniers sont répartis dans 21 villes du Nord-Kurdistan. Beaucoup de corps appartiennent à des combattants de la guérilla du PKK tués dans les affrontements ou après leur capture par l’armée turque. 

Les fosses communes – une réalité de l’entreprise génocidaire menée contre les Kurdes en Turquie

Les charniers se sont très tôt imposés en Turquie comme une technique de répression sans merci dans la guerre contre les Kurdes et leur mouvement de libération. En 1925, deux ans seulement après la fondation de la République turque, le leader kurde Cheikh Saïd (Şêx Seîdê Pîran) et 47 de ses compagnons ont été exécutés à Amed (Diyarbakır) et enterrés dans une fosse commune. Douze ans plus tard, Seyîd Riza, principal chef du soulèvement de Dersim, son fils Resik Hüseyin et cinq de ses amis ont également été exécutés et enterrés dans une fosse commune dont l’emplacement reste encore un mystère de nos jours, tout comme celui de Cheikh Saïd et de ses compagnons.