« Par la présente, j’aimerais vous informer au sujet de la situation des détenus, notamment ceux et celles qui sont touchés par une maladie, dont la peine s’est achevée mais qui sont toujours maintenus en détention. Nous sommes très inquiets de leur sort. Les détenus gravement malades dont ceux en phase terminale souffrent beaucoup. Certaines de nos compagnes sont emprisonnées depuis près de 30 ans et restent littéralement séquestrées en dépit d’avoir purgé leur peine. Une situation qui nous inquiète et face à laquelle nous nous sentons complétement démunis ».

C’est un véritable cri de désespoir que lance Leyla Güven dans une lettre écrite de 15 juillet dernier et arrivée le 7 août. On ne présente plus Leyla Güven, ex co-maire de Viranşehir (province de Şanlıurfa), ex-membre du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, députée destituée de Hakkari : elle purge actuellement une peine de 27 ans et 3 mois de prison pour “appartenance à une organisation terroriste armée” et “propagande” en faveur de cette organisation. Avec cet appel, venant de cette militante pugnace connue pour avoir été l’instigatrice de grève de la faim dans les prisons, nouvellement transférée de la prison d’ Elaziğ à celle de Sincan (Ankara), on devine que la question est grave et qu’une action internationale doit être initiée pour que cesse cet abus de pouvoir d’un autre temps, celui des monarques tout puissants, cruels et sadiques. Un abus de pouvoir de l’administration pénitentiaire, aux ordres du pouvoir politique, avec la complicité du pouvoir judiciaire.

Déjà Hulya Alokmen Ulanik avait attiré notre attention sur cette pratique scandaleuse et illégale : le maintien en détention des détenus ayant purgé leur peine, et cité des cas très précis de détenues de la prison d’Elazığ. Hülya Alökmen Uyanık dénonce un scandale : le maintien en détention des détenus ayant purgé leur peine – Amitiés kurdes de Bretagne (akb.bzh).

Leyla Güven nous fournit à son tour un certain nombre d’informations en provenance de la prison de Sincan, toutes aussi bouleversantes, les unes des autres, à commencer par celles de Selver Yildirim et Özge Özbek.

Selver Yildirim

‘’Selver Yildirim a perdu entièrement la vision de son œil droit et ne voit qu’à 15 % de son œil gauche. Le diagnostic posé est un CRSC (choriorétinopathie séreuse centrale). Elle perd constamment un liquide de ses yeux. Elle est traitée par la sérothérapie, mais apparemment le traitement n’est pas adéquat et produit des effets contraires, aggravant sa perte visuelle. Elle ne peut ni lire, ni écrire ni peut ne rien regarder longuement. Les ophtalmologues lui recommandent de porter des lunettes de soleil et des lunettes à fort indice, mais l’administration les lui refuse prétextant des motifs de sécurité. Elle souffre aussi de sérieuses douleurs abdominales. Elle a été transférée à plusieurs reprises à l’hôpital et y est revenue sans avoir été examinée, soit le médecin était absent, soit pour un autre motif sordide. Cette camarade a été condamnée à une peine d’emprisonnement de 30 ans et a déjà purgé 25’’.

Özge Özbek

‘’Özge Özbek souffre de tumeurs au cerveau. Elle a une perte d’audition au niveau de son oreille droite à cause de la pression exercée par les tumeurs. Elle a été opérée une fois du cerveau et les médecins l’ont prévenue qu’elle avait un grand risque de perdre la vie. Elle doit être urgemment traitée à l’extérieur’’.

Özge Özbek avait déjà été condamné à 6 ans et 3 mois de prison pour « appartenance à une organisation terroriste » le 22 novembre 2011, alors qu’elle était étudiante et avait déjà commencé à travailler au gouvernorat de Diyarbakır dans les services sociaux. le 27 octobre 2020, Özge Özbek est opérée d’une tumeur au cerveau. Malgré la gravité de son état, attesté par rapport du conseil de santé de l’hôpital du ministère de la Santé, confirmé par le rapport du Conseil de la santé de l’Institut de médecine légale d’Istanbul (ATK) attestant que le maintien en détention est incompatible avec l’état de santé de la détenue, la remise en liberté pour raisons médicales est rejetée.

Maintenues en prison en dépit d’avoir purgé leur peine

-Nedime Yaklav a purgé une peine de 30 ans et devait sortir le 1/4/2023.

-Gülşen Adet a purgé une peine de 30 ans et devait sortir le 28/3/2024 et Nuriye Adet (sœur de Gülşen) a purgé une peine de 30 ans et devait sortir le 3/3/2024.

-Hicran Binici a purgé une peine de 30 ans et devait sortir le 16/4/2024.

-Sermin Demirdağ a purgé une peine de 30 ans et devait sortir en mars 2022.

-Jiyan Ateş a purgé une peine de 12 ans et devait sortir en octobre 2021.

-Rozerin Kurt a purgé une peine de 9 ans et devait sortir le 28/11/2022.

-Özlem Demir a purgé une peine de 9 ans et devait sortir le 11/12/2022.

– Nejla Yıldız est emprisonnée depuis 9 ans. Elle a purgé sa peine mais se trouve toujours séquestrée.

Avec ma camarade Leyla Güven. C’est une mère de quatre enfants. Nous nous trouvons actuellement dans la même cellule.

Leyla Güven entourée de Sevim et Emine, toutes deux de Diyarbakir.

‘’Je vous ai fourni des informations brèves sur la situation de mes camarades détenues. Je compte sur votre affectueuse attention et votre solidarité et vous souhaite une action pleine de réussite. Les femmes kurdes, qui continuent à lutter en toute fierté et détermination, saluent chaleureusement tous les ami-e-s et leur adressent toute leur affection. Leyla’’.

Leyla Güven a écrit, en juin dernier, aux ambassadeurs de seize pays en poste à Ankara – parmi lesquels l’ambassadeur de France – pour leur demander de contribuer à trouver une solution pacifique et démocratique à la question kurde, mais aussi pour les informer de la situation des détenus. Recevra-t-elle au moins un accusé de réception ? A nous d’appuyer cette demande ! les courriers des associations des droits de l’homme, des avocats, des députés DEM adressés au ministère turc de la Justice, à l’assemblée parlementaire, n’ont reçu aucune réponse jusqu’à présent. La situation carcérale des détenus est discutée à la Grande Assemblée de Turquie (chambre des députés) mais celle des Kurdes en est exclue. Seule une intervention internationale, ferme et contraignante, peut faire cesser l’arbitraire.

Par André Métayer