OUI, les « loups gris » sont actifs, et pas seulement en Turquie, et ce depuis longtemps. Ils sont partout en Europe, en France aussi : Nous n’avons pas oublié Sakine, Rojbîn et Leyla, militantes kurdes assassinées à Paris le 9 janvier 2013, en pleine journée, par un certain Omer Güney, un « loup gris » espion infiltré dans une organisation kurde, et tueur à la solde du MIT, les services secrets turcs.
Nous n’avons pas oublié non plus S. E. Dr Ismaïl Hakki Musa, nommé par Erdoğan ambassadeur de Turquie en France, en 2016, pour surveiller de près l’évolution de l’instruction judiciaire ouverte après ce triple assassinat. Qui d’autre plus que lui avait intérêt à étouffer l’affaire, lui qui, en 2013, au moment du triple assassinat de la rue La Fayette, était le n°2 du MIT, directeur adjoint en charge des « opérations extérieures » ? Protégé par son immunité diplomatique, il pourra quitter son poste d’ambassadeur en 2021 sans avoir jamais été inquiété.
Ce mouvement ultra-nationaliste turc, les « loups gris », “proche de l’idéologie fasciste“ (dixit le journal le Monde) est officiellement dissous en France depuis novembre 2020 Le mouvement ultra-nationaliste turc des Loups gris officiellement dissous en France – Amitiés kurdes de Bretagne (akb.bzh) au motif qu’il promeut “une idéologie tendant à discriminer, voire à provoquer à la violence contre les personnes d’origine kurde et arménienne” dit notamment le décret évoquant ainsi plusieurs “manifestations armées” contre ces populations, dans lesquelles cette mouvance est impliquée. Le décret de dissolution n’a pas ralenti son activité. Notons qu’avant et après ce décret, les « loups gris » se sont manifestés à Lyon Les Loups gris sont entrés à nouveau en action à Lyon – Amitiés kurdes de Bretagne (akb.bzh), à Brest, en 2013 et 2018, Un militant d’extrême-droite turque de Brest rattrapé par la justice – Amitiés kurdes de Bretagne (akb.bzh) , à Rennes Malgré les intimidations, la conférence « Stop Erdoğan » a pu se tenir à Rennes pour dénoncer la situation grave en Turquie : « le régime va, si ce n’est déjà fait, vers une dictature totale » – Amitiés kurdes de Bretagne (akb.bzh) pour ne citer que ces villes .
Nous avons souvent dénoncé leurs agissements. Dès 1997, Nous les avions rencontrés à Diyarbakir, lors du tournage du film “Kurdistan je reviens d’un pays qui n’existe pas”. En 2008, nous avions pointé du doigt une photo parue dans Ouest-France, à l’occasion d’un match de football Allemagne-Turquie, où deux “supporters” de l’équipe de Turquie faisaient ostensiblement le signe des Loups gris. Nous savons donc qu’ils sont très présents. Autant de réseaux dormants, toujours prêts à agir.
« les loups aiment la brume«
C’est pour percer l’opacité qui entoure ces agents de l’ombre et les activités des services de renseignement turcs – le redouté MIT – que Laure Marchand et Guillaume Perrier ont mené l’enquête en Sicile, en Allemagne, en Suisse et en France, bien sûr. Guillaume Perrier est un journaliste spécialiste de la Turquie, auteur du livre « Dans la tête de Recep Tayyip Erdoğan » (paru le 10 janvier 2018) et Laure Marchand, journaliste également, est l’auteur Triple assassinat au 147, rue La Fayette – Amitiés kurdes de Bretagne (akb.bzh)
De « Triple assassinat au 147, rue La Fayette« (paru le 3 janvier 2017 aux éditions Solin/Actes Sud.). Les deux journalistes déjà co-auteurs de « La Turquie et le Fantôme arménien« (Actes Sud, 2013, prix de l’Express), signent aujourd’hui un livre puissant, « les loups aiment la brume« , (paru le 14/09/2022 chez Grasset) dans lequel ils remontentla piste des agents d’Erdoğan.
« Le « Reis » peut compter sur ses militants, des réseaux islamistes et ultranationalistes, les « Loups gris » et des groupes politico-criminels prêts à monter au front pour défendre la mère-patrie. Mais avec la déliquescence du pouvoir turc et la crise de succession qui s’annonce, les loups s’entre-dévorent. Ce qui les rend encore plus dangereux pour les démocraties européennes… ».
Lina Rhrissi, journaliste, a interviewé Guillaume Perrier pour le média en ligne StreetPress, Comment les services secrets turcs déploient leurs réseaux en France | StreetPress et l’a interrogé sur cette rencontre avec cet ancien agent du MIT, à Palerme (« Il est là-bas car personne n’ira l’assassiner sur le territoire de la mafia sicilienne »), comment il l’a approché, gagné sa confiance, et quelles révélations lui a-t-il fait :
« Ça m’a permis de comprendre la radicalisation du MIT depuis le coup d’État de 2016. Il a été repris en main par les nationalistes du MHP et les Loups gris. Mais il y a aussi des rivalités internes parce qu’il est composé de plein de groupes autonomes qui sont plus ou moins pro-Erdoğan. Une sorte de pourriture de l’intérieur est en cours. Cette évolution montre en réalité que le pouvoir d’Erdoğan s’affaiblit. Comme le chef d’État turc est de plus en plus fragile, il emploie les réseaux criminels et mafieux pour conserver son pouvoir. Mais ça pourrait causer sa perte. La Turquie est aujourd’hui le pays au monde le plus pénétré par le crime organisé, devant la Russie et la Serbie ».
L’attentat d’Istanbul : c’est signé
L’attentat eut lieu le 13 Novembre, un dimanche, dans l’avenue Istiklal, dans le quartier historique de Beyoğlu, l’une des plus célèbres artères de la ville, empruntée toute l’année par des millions de Stambouliotes et de touristes, tout près de la place Galatasaray où depuis 1995 « les mères du samedi », mères, épouses et filles de disparus se réunissent le samedi, malgré le matraquages de la police, comme ce samedi 25 juin 2022, à l’occasion du 900e rassemblement, pour demander des comptes à l’État turc assassin comme le montrait déjà le film tourné en 1997 par les AKB (“Kurdistan, je reviens d’un pays qui n’existe pas”). Disparitions, crimes « à auteurs inconnus », coups tordus, attentats aveugles, comme ce dernier en date, sont les signes d’un régime aux abois, plombé par des résultats économiques catastrophiques. C’est signé. Erdoğan a besoin de réveiller la flamme nationaliste pour gagner les élections de 2023. Il espérait un grand succès militaire en écrasant les forces combattantes du PKK, lors d’opérations menées à grands renforts de drones dans les monts Qandil. Il semble que ce soit un échec cuisant pour le président dictateur. Qu’à cela ne tienne ! Punir Kobané, envahir Rojava et tout le nord de la Syrie, pourrait lui permettre de rebondir. Il peut compter, pour cela, sur son fidèle Hakan Fidan, qui dirige ses services secrets depuis 2010, pour fomenter un de ses coups dont il a le secret et pour lesquels il dispose d’hommes de main dont les loups gris du MHP font partie. les services secrets d’Erdoğan sont très présents en Europe, ils montrent, s’il en était besoin, qu’ils sont aussi très actifs en Turquie même, au cœur de toutes les opérations souterraines, comme l’attentat d’Istanbul, qui permettent au régime néo fasciste d’Erdoğan de perdurer.
Par André Métayer