Le Congrès national du Kurdistan (KNK, structure regroupant 34 Partis politiques et organisations kurdes) a rendu publique sa déclaration finale clôturant son assemblée à Bruxelles où il a été question de déterminer une posture nationale kurde commune face aux invasions turques en Irak et en Syrie. Le KNK a appelé l’Union des Communautés du Kurdistan (KCK, Koma Civakên Kurdistanê), ainsi que les deux partis politiques majeurs du Gouvernement régional du Kurdistan en Irak, le PDK (Parti Démocratique du Kurdistan) et l’UPK (Union Patriotique du Kurdistan) et, plus généralement, l’ensemble des acteurs du Kurdistan à œuvrer ensemble contre la menace que représente pour le peuple kurde les manœuvres actuelles de la Turquie à travers le Moyen-Orient.
L’assemblée du Congrès National du Kurdistan (KNK) s’est tenue le 27 juillet à Bruxelles (Belgique) afin de dénoncer tout particulièrement l’invasion du Sud-Kurdistan (Irak) par l’Etat turc. Les représentant.es de partis politiques, d’organisations civiles ainsi que des intellectuel.les et des activistes originaires des quatre parties du Kurdistan se sont réuni.es pour définir une posture collective et nationale face aux menaces et agressions que représentent les agissements de la Turquie dans la région.
La déclaration finale du KNK soulève neuf points sur lesquels agir :
« Au peuple kurde !
Aux populations du Kurdistan !
Nos ennemis ont déchiré le Kurdistan en quatre morceaux. Divisé dans un premier temps en deux parties par le traité de Qasr-e Shirin (signé en 1639 entre l’Empire ottoman et l’Empire perse séfévide, il fixera durablement la frontière entre les deux puissances, ndlr), il a ensuite été divisé en quatre parties par le traité de Lausanne (ratifié en 1923, il consacre le démantèlement de l’Empire ottoman, ndlr). Ces traités n’ont pas seulement séparé le peuple kurde mais aussi les Assyrien.nes, les Chaldéen.nes, les Syriaques et d’autres peuples de la région. Mais les peuples du Kurdistan ne les ont jamais acceptés, tout comme ils ne les ont jamais considérés comme légitimes. C’est contre ces traités que se sont érigées les luttes et insurrections dans les quatre parties du Kurdistan.
Les Kurdes n’ont jamais courbé l’échine face à l’ennemi. Au cours des trente dernières années, notre pays a connu d’importantes évolutions. En 1991, le Sud-Kurdistan a établi une administration autonome et le Rojava (Ouest-Kurdistan, en Syrie) a récemment suivi le même chemin. Nous savons que l’Iran et la Turquie n’ont jamais accepté ces évolutions. Les gouvernements successifs de ces Etats ont cherché à les entraver par tous les moyens : offensives armées, blocus politiques, militaires et économique.
L’ETAT TURC CONTINUE DE COMMETTRE DES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
Ainsi, l’Iran attaque le mouvement d’émancipation kurde, parfois ouvertement, parfois en silence. Téhéran a bombardé à plusieurs reprises des camps et des bases de partis politiques, assassinant des dizaines de personnes. Récemment, l’Iran a de nouveau attaqué le Bashûr (Sud-Kurdistan).
De son côté, l’Etat envahisseur turc torture le peuple du Bakûr (Nord-Kurdistan) d’une main et cherche à étendre davantage ses invasions au Rojava et au Başûr de l’autre. Depuis les années 90, la Turquie a multiplié les opérations militaires au Sud-Kurdistan où elle a installé plusieurs base militaires, du Bahdinan à Mossoul.
Avec ce déploiement militaire, la Turquie collecte des informations relatives aux HPG (Hezên Parastina Gêl, Forces de Protection du Peuple, branche armée du PKK, ndlr) pour les attaquer. Parallèlement, elle établit durablement ses forces armées et ses espions au Sud-Kurdistan. L’invasion turque n’est pas seulement militaire, elle revêt aussi un aspect culturel et économique. Suite au référendum sur l’indépendance du Sud-Kurdistan en 2017, la Turquie et l’Iran ont joué un rôle de premier plan dans l’invasion de Kirkouk et du Kurdistan. Aujourd’hui, ces deux Etats s’efforcent de changer la composition démographique de Kirkouk et d’autres zones du Kurdistan.
Après la mise en place de l’autonomie au Rojava, l’Etat turc a agressé plusieurs fois cette région du nord et de l’est de la Syrie et commencé à élaborer un plan d’invasion. Il a envahi Azaz, Jarablus, puis Afrin. Il a aujourd’hui des plans plus ambitieux encore, et lorgne désormais sur Kobanê, Girê Spî et l’ensemble de la Djéziré. L’Etat turc continue de commettre des crimes contre l’humanité dans la région d’Afrin qu’il occupe. Il y opère un changement démographique et se livre au pillage de ses ressources naturelles. Invasion militaire et renseignements ne lui suffisent pas. L’Etat turc désire s’emparer de toutes les portions stratégiques du territoire à proximité de sa frontière. C’est à travers ce prisme qu’il faut regarder l’occupation turque actuelle dans la région de Bradost au Bashûr.
LE GOUVERNEMENT RÉGIONAL DU KURDISTAN DOIT CONDAMNER L’INVASION TURQUE
L’Iran soutient l’invasion de l’Etat turc. Bien que Téhéran ne participe pas ouvertement à cette violation de souveraineté par Ankara, il n’en est pas contrarié. L’histoire a été témoin à de de multiple reprises de ce type de coopération. Le peuple kurde doit y être vigilent et éviter les pièges et intrigues de l’ennemi. Le gouvernement irakien est lui aussi resté silencieux au sujet de l’invasion turque et collabore même en coulisse avec la Turquie. Cette collaboration se poursuit depuis le référendum sur l’indépendance du Sud-Kurdistan.
Malgré tout, le Gouvernement régional du Kurdistan (KRG) et les puissances politiques régionales et internationales s’obstinent dans leur mutisme et s’abstiennent de toute déclaration concernant cette invasion. Selon nous, le KRG, les partis politiques, les ONG et la population du Sud-Kurdistan devraient se dresser contre l’agression et l’occupation territoriale menées par l’Etat turc, celles-ci relevant d’une véritable stratégie politique expansionniste.
L’Etat turc tente de légitimer son invasion en prétendant mener des opérations militaires contre le PKK. Il s’agit là d’un cas de manipulation absolue, une distorsion complète de la vérité. Le Projet 2023 de l’Etat turc consiste à étendre son territoire au sein des frontières définies par le Misaki-i Milli (« Pacte National »), ce qui inclurait la province de Mossoul en Irak et les régions du nord-syrien. Son but est de réduire à néant les avancées et acquis du peuple kurde.
Pour toutes ces raisons, il est urgent de s’unir face à l’ennemi pour protéger le Kurdistan et les peuples qui y vivent. Voici notre appel aux peuples du Kurdistan, aux partis politiques, aux ONG, à l’Administration autonome du Rojava et, surtout, au Gouvernement régional du Kurdistan :
1. Nous condamnons les actions d’invasion conduites par les Etats turc et iranien, et appelons à accroître la résistance.
2. L’invasion de l’Etat turc se poursuit dans la région du Bradost. Elle a pour objectif la destruction des avancées et acquis au Sud-Kurdistan afin d’empêcher le Bakûr et le Rojhilat (Est-Kurdistan, ndlr) de devenir libres. Face à l’Etat envahisseur turc, toutes les forces du Kurdistan doivent s’unir et parler d’une seule voix dans leur combat contre l’injustice.
3. L’Etat turc poursuit ses frappes aériennes contre une région s’étendant de Zakho à Qandil. Ces bombardements dans des zones habitées blessent et tuent des civil.es. De nombreux villages ont été évacués de force et saccagés, l’armée turque a occupé les villages ainsi abandonnés. Cela souligne le caractère permanent de l’occupation. Toute la population du Kurdistan devrait protester plus vivement contre cette invasion.
4. La présence de combattant.es et de peshmergas dans ces régions est une réalité historique et légitime. Les forces luttant pour la liberté du Kurdistan au Nord, au Sud et à l’Est y ont installé leurs bases militaires face à l’invasion ennemie, ce qui constitue leur droit national.
5. L’Etat turc doit être condamné pour l’invasion du Sud-Kurdistan, mais aussi pour celle d’Afrin, d’Azaz, d’al-Bab et de Jarablus en Syrie. Il doit mettre un terme à ces agressions et se retirer des territoires qu’il a envahis.
6. Les attaques et violations territoriales commises par l’Etat iranien ne doivent pas être oubliées. L’Iran doit se retirer du Sud-Kurdistan et en finir avec ses attaques une bonne fois pour toutes. La meilleure voie que puisse suivre l’Iran, soumis à un embargo international, serait d’amorcer un dialogue avec les forces du Kurdistan afin de trouver ensemble une solution pacifique.
7. Nous voulons attirer l’attention du gouvernement irakien sur la violation de son intégrité territoriale par la Turquie. Cette dernière transgresse la Constitution irakienne en étendant son occupation. Le gouvernement irakien doit user de ses droits et prendre des mesures contre l’invasion turque afin de protéger ses citoyens.
8. En tant que participant.es à cette assemblée, nous appelons l’UPK, le PDK, le KCK et toutes les forces du Kurdistan à faire preuve de vigilance. Ils doivent faire preuve d’unité et adopter une position commune pour s’opposer aux invasions.
9. Les acteurs démocratiques, les Etats et les organisations internationales devraient condamner et s’élever contre la politique d’invasion de l’Etat turc. »