Dans "Le PKK et la question kurde au XXIe siècle", Öcalan revient sur sa décision de venir en Europe et sur le contexte de son enlèvement
Enlevé le 15 février 1999 au Kenya, le leader kurde Abdullah Öcalan est emprisonné depuis sur l'île-prison turque d'Imrali, en isolement total

Dans son ouvrage intitulé « Le PKK et la question kurde au XXIe siècle », Abdullah Öcalan revient largement sur sa décision de venir en Europe et sur la conspiration internationale qui a conduit à son enlèvement au Kenya le 15 février 1999.

Enlevé au Kenya le 15 février 1999, le leader kurde Abdullah Öcalan a été livré à la Turquie où il est emprisonné depuis en isolement total sur l’île-prison d’Imrali, en application d’une condamnation à la prison à vie. Voilà presque deux ans que sa famille et ses avocats n’ont aucune nouvelle de lui. Durant son emprisonnement, Öcalan a rédigé un grand nombre d’ouvrages. À l’occasion du 24e anniversaire de l’enlèvement du chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), nous publions ici la traduction de quelques extraits d’un ouvrage intitulé « Le PKK et la question kurde au XXIe siècle », dans lequel Öcalan revient sur les raisons de son départ pour l’Europe et sur les circonstances de son enlèvement à Nairobi.

« Mon intention était de trouver une plate-forme démocratique pour la question kurde », écrit Öcalan pour expliquer sa décision de venir en Europe. « Si j’avais trouvé des soutiens, il aurait été possible de pousser la Turquie dans cette direction. Mais l’Europe semblait se désintéresser d’une solution au problème kurde. Si on m’avait permis de m’engager politiquement en Europe, la guerre aurait pris fin. Malheureusement, cette option n’était pas compatible avec la stratégie de l’Occident »

Le contexte de la conspiration internationale

« […] Depuis que je suis emprisonné à Imrali, j’essaie d’œuvrer pour une paix durable en Anatolie et en Mésopotamie. C’est encore plus difficile que de faire la guerre. Une paix fondée sur l’acceptation des différentes identités culturelles contribuera à la renaissance de la région et à la poursuite des progrès démocratiques en Turquie. En fin de compte, toute guerre se termine par la paix. Si nous nous montrons incapables de mettre fin à cette guerre, nous sommes condamnés à être utilisés aux fins de nos ennemis. Mes efforts pour la paix ont été accueillies de diverses manières. Il s’agissait toutefois, dans la plupart des cas, d’une opposition de la part de cercles politiques divers et même contradictoires. Certains n’ont pas encore compris la pertinence du processus de paix pour la Turquie. La question kurde a produit la crise la plus longue et la plus grave de l’histoire de la république. Sans une paix juste, la crise se poursuivra.

[…]

L’époque actuelle exige de nous tous une restructuration et un redémarrage de l’ensemble de la vie sociale : l’État, l’économie, la politique, la justice, les arts et même l’éthique, qui sont ébranlés et qui cherchent un moyen de sortir de cette crise. Mon emprisonnement sert en quelque sorte de catalyseur. En ce moment, la paix – ou comment la gagner – semble être à l’ordre du jour de tous.

Je défends la volonté consciente de liberté du peuple kurde. Cette volonté s’est longtemps exprimée par la guerre – aujourd’hui, son message est la paix.

La guerre a été définie non pas par ce qu’elle était censée accomplir mais par ce que ses ennemis étaient : le féodalisme et la république oligarchique. La paix a des objectifs positifs : réforme de la république, démocratisation, laïcité.

Nous pouvons abandonner complètement le séparatisme et la violence dans le système actuel si les Kurdes ne sont plus exclus d’un processus auquel ils ont participé avec les Turcs au cours de l’histoire : la formation d’un État et d’une nation à laquelle les Kurdes et les Turcs ont contribué de la même manière. Une république, en revanche, qui se fonde sur la négation des revendications de liberté des Kurdes, conduit au séparatisme et à la violence. Si la république s’ouvre à l’autodétermination de ses peuples à l’intérieur des frontières de la république, nous pourrions avoir un avenir pacifique ensemble.

Cependant, la crise actuelle est stabilisée et maintenue par la corruption externe et interne, et les criminels qui profitent de la guerre. La guerre a coûté plusieurs milliards de dollars et 40.000 vies. Il est grand temps de s’attaquer au problème kurde et de trouver une solution.

L’implication de l’Europe et des États-Unis dans l’enlèvement d’Öcalan

Le complot de février revêt également une certaine importance du point de vue des droits humains et des conventions en la matière. Mon enlèvement et mon extradition ont violé ces droits et ces conventions. Ce sont principalement les gouvernements européens et les États-Unis qui sont responsables de cette violation, plutôt que le gouvernement turc. Leur conception coloniale de la politique étrangère et la manière dont ils ont procédé dans mon cas ont produit la situation actuelle. Par conséquent, mon appel à la Cour européenne ne visait pas seulement à accuser la Turquie de pratiques illégales. Au contraire, je voulais également que soient jugées les pratiques illégales et éthiquement incorrectes de l’UE et des États-Unis, dirigées contre moi et contre la volonté de liberté des Kurdes. Ils avaient travaillé ensemble assidûment dans trois capitales européennes. Ils avaient tous apporté leur contribution jusqu’à ce qu’une bande de chasseurs de têtes corrompus en Afrique participe à une intrigue capitaliste et m’expédie dans un avion turc.

Tout avait commencé à Athènes. Ils m’ont traité comme un esclave qu’ils pouvaient commander à volonté. Ils ont espéré des concessions sur Chypre et la question égéenne. Ils ont trahi notre amitié et méprisé sans vergogne la Convention européenne des droits de l’homme. Ma situation, cependant, ne me concernait pas seulement en tant qu’individu. Des millions de Kurdes qui se sentaient très proches de moi ont été trahis tout aussi gravement.

Israël a eu également tort de faire de moi une victime de ses considérations stratégiques. Ils voulaient inclure la Turquie dans l’équilibre des forces au Proche-Orient.

La seconde station était Moscou. Je n’ai été ni surpris ni fâché. Pourtant, la Russie est un État partie à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle n’aurait pas dû ignorer ma demande d’asile. Et elle n’aurait pas dû m’expulser malgré une décision contraire de la Douma.

La troisième contribution a été fournie presque sous les yeux du Saint-Père, dans la ville éternelle de Rome. Alors que je voulais simplement parler de certaines réalités civilisationnelles fondamentales, j’ai en fait été encerclé par la police pendant 66 jours et pratiquement assigné à résidence. Je m’étais rendu sur place pour défendre le droit et la liberté de l’un des plus anciens peuples de l’histoire. L’Europe n’a pas respecté la revendication du peuple kurde pour ses droits humains. Au contraire, elle a participé à mon enlèvement. Il appartient maintenant à la Cour européenne de déterminer comment ce fait s’est produit.

Mon enlèvement au Kenya a été réalisé avec l’accord de l’UE et des États-Unis. La Grèce et le Kenya ont dû faire le sale boulot et me livrer à la Turquie. Là encore, l’UE a trouvé le moyen de ne pas s’impliquer directement dans mon cas. Elle a demandé l’aide de quelques policiers kenyans corrompus.

Je pense qu’il est devenu clair, et l’ancien président Clinton l’a confirmé, que les services secrets grecs et la CIA n’ont pas participé à ce stratagème par amour des Turcs. Je suis sûr que leur objectif stratégique était de me faire tuer par les Turcs, et c’est probablement vrai aussi pour les Britanniques. Cependant, je n’ai exprimé aucune haine envers les Turcs et l’état-major turc a agi avec beaucoup de considération, de sorte que la situation n’a pas dégénéré. Une telle escalade aurait pu coûter des dizaines de milliers de vies. Néanmoins, ce complot est exemplaire d’un point de vue historique dans la mesure où il a tenté de dresser les Kurdes contre les Turcs sans leur laisser de place pour une solution du conflit.

Pourquoi Israël a-t-il participé ? Traditionnellement, Israël avait de bonnes relations avec les Kurdes irakiens. Lorsque je suis apparu sur la scène, et en particulier lorsque nous avons transféré notre siège au Moyen-Orient, j’étais un acteur indépendant qui perturbait leur équilibre stratégique. Cela me rendait dangereux. Par ailleurs, la droite israélienne était favorable à une alliance avec la Turquie pour compenser le poids politique des Arabes. C’est aussi le lobby israélien en Russie qui avait accompli mon expulsion avec l’aide de Primakov, alors premier ministre russe. Je me souviens qu’Ariel Sharon s’était également rendu à Moscou à cette époque. Les États-Unis, avec leur lobby pro-israélien fort alors que Clinton était affaibli par l’affaire Lewinsky, ont mis l’Italie sous pression. Avec l’aide du Mossad, je suis devenu persona non grata en Europe. J’ai donc voyagé d’un endroit à l’autre jusqu’à ce que, finalement, je n’aie plus d’endroit où aller et que je sois envoyé comme prisonnier en Turquie. »

Source :  Traduction d’extraits de l’ouvrage d’Abdullah Öcalan intitulé « Le PKK et la question kurde au 21ème siècle »