La Turquie s’ingère de manière excessive dans les affaires internes de la Syrie. Elle tente de priver les peuples syriens de l’opportunité historique née de l’effondrement du régime Baas, qui avait ouvert la voie à la construction d’une Syrie nouvelle et démocratique. En soutenant pleinement Hayat Tahrir al-Cham (HTS), Ankara compromet cette voie démocratique.
HTS, rappelons-le, est une émanation idéologique d’al-Qaïda. Opposé à toute forme de démocratie, ce groupe prône une dictature fondée sur une interprétation religieuse rigide et sectaire. Pourtant, HTS ne dispose ni de la légitimité ni des capacités pour gouverner la Syrie. Organisé principalement dans la région d’Idlib, il ne peut prétendre représenter l’ensemble du pays. Même s’il contrôle Damas, il ne bénéficie que de peu de soutien de la part de ses habitants et du peuple syrien en général et son pouvoir est largement remis en cause.
Durant sa brève période aux commandes, HTS a déjà perpétré deux massacres : l’un contre les Alaouites, l’autre contre les Druzes. Ces atrocités ont renforcé la méfiance à son égard, tant au sein de la population syrienne qu’auprès de l’opinion publique internationale. Plutôt que de répondre aux revendications citoyennes des Alaouites et des Druzes par le dialogue, HTS a choisi la violence. Leurs habitations ont été pillées, incendiées, détruites. Femmes, enfants, jeunes et personnes âgées ont été tués sans distinction. Ces massacres ont été soutenus sans réserve par la Turquie, qui n’a exprimé ni critique ni condamnation.
Le 10 mars 2025, un accord a été signé entre le gouvernement de Damas et les Forces démocratiques syriennes (FDS), reconnaissant les Kurdes comme composante fondamentale de la Syrie, avec des garanties constitutionnelles. Pourtant, dans la constitution provisoire rédigée par HTS, les Kurdes et leurs droits ont été purement et simplement exclus. HTS n’a intégré ni les Kurdes ni d’autres groupes sociaux dans ses récentes initiatives politiques, ni dans la formation de son gouvernement. La Turquie a conseillé et soutenu cette démarche. Dans les publications du Conseil de sécurité nationale turc, l’instauration d’un système centralisé et unitaire en Syrie est ainsi approuvée.
Ces derniers jours, des efforts ont été entrepris pour relancer les discussions entre le gouvernement syrien et l’Administration autonome – soutenue par les FDS. Une réunion s’est tenue à Damas sous la médiation de Tom Barrack, mais elle s’est soldée par un échec.
Une nouvelle rencontre a été programmée à Paris. La Turquie s’est opposée à l’implication d’un tiers et a tenté de bloquer l’initiative. Finalement, le gouvernement syrien a annoncé son retrait et demandé un report, accepté par les États-Unis et la France. Une nouvelle date a été fixée, mais Damas s’est ensuite retiré définitivement des pourparlers. Chacun sait que cette décision a été dictée par Ankara. La Turquie craignait qu’un accord, soutenu par des puissances internationales, ne favorise l’Administration autonome kurde. Elle s’est ainsi imposée comme l’acteur principal de l’instabilité syrienne.
Peu après, le ministre turc des Affaires étrangères s’est rendu à Damas. Les ministres syriens des Affaires étrangères et de la Défense ont été convoqués à Ankara, où ils ont signé les accords souhaités par la Turquie. Ankara cherche à maintenir HTS en vie et à asseoir sa domination sur la Syrie, qu’elle considère comme son arrière-cour.
Les FDS et l’Administration autonome souhaitent participer à la reconstruction et à une solution politique en Syrie. Forts de leur expérience démocratique, ils se sont toujours montrés ouverts au dialogue. Pourtant, le gouvernement syrien continue de les exclure du processus politique, tout comme les Alaouites, les Druzes et d’autres groupes organisés.
Malgré cela, le ministre turc des Affaires étrangères a accusé les FDS, les menaçant ouvertement. Il affirme que le gouvernement syrien est favorable à une solution, mais que les FDS font obstacle à l’unité.
La Turquie sait parfaitement que les Kurdes vivent sous la menace de massacres – car elle participe elle-même à ces plans. Tandis que les massacres se poursuivent et que les flammes ravagent les régions kurdes, on demande aux Kurdes et à l’Administration autonome de se soumettre à HTS. Leur refus entraîne des menaces. Pourtant, les FDS ne font que garantir la sécurité des populations locales. Ils n’ont aucune autre activité militaire et se déclarent prêts à intégrer l’armée syrienne. Mais la Turquie exige leur démantèlement immédiat, invoquant des “préoccupations sécuritaires”. Comment les FDS pourraient-ils représenter une menace pour la Turquie ?
Ce que les FDS réclament, ce sont des garanties légales et constitutionnelles. Une fois obtenues, le problème disparaîtrait. En attendant, ils souhaitent rester dans la région comme force de sécurité intégrée. Mais le ministre turc affirme que “l’attitude provocatrice des FDS compromet le processus” et que “la Turquie soutiendra la lutte contre le terrorisme”. Qui sont les terroristes ? Emşat, Hamzat et d’autres groupes moins connus qui pillent et massacrent, tous liés à la Turquie. Pourtant, Ankara ne les considère pas comme terroristes. Seuls les Kurdes et les FDS sont ainsi désignés.
La Turquie annonce qu’elle soutiendra HTS dans toute attaque du gouvernement syrien visant les Kurdes.
Est-ce cela, la fraternité kurdo-turque ? Si les Kurdes doivent être considérés comme des frères, ne devraient-ils pas bénéficier de garanties et de sécurité ? Or, entre les discours et la réalité du terrain, il n’y a aucune concordance. Bien au contraire, l’hostilité classique envers les Kurdes se poursuit.
Source : Yeni Özgür Politika