La manifestation organisée à Istanbul pour les Mères du Samedi a de nouveau été réprimée par la police. 21 personnes ont été arrêtées.
La manifestation des Mères du Samedi encerclée par la police turque alors que le cortège tente de rejoindre la place Galatasaray à Istanbul

La manifestation hebdomadaire organisée à Istanbul pour les Mères du Samedi a de nouveau été réprimée par la police. 21 personnes ont été arrêtées.

Comme chaque semaine depuis plus de deux décennies, les Mères du Samedi ont manifesté aujourd’hui à Istanbul pour exiger de l’État turc qu’il fasse la lumière sur le sort de leurs proches disparus. C’était ce samedi leur 960e manifestation.

Cependant, malgré une décision de la Cour constitutionnelle turque en sa faveur, le mouvement s’est à nouveau vu refuser l’accès à son lieu de rassemblement traditionnel devant le lycée Galatasaray, sur l’avenue Istiklal. Située dans le quartier central de Beyoglu, la place Galatasaray est considérée comme un lieu symbolique de la lutte pour les droits humains en Turquie.

Cette semaine, la manifestation des Mères du Samedi » était  soutenue par Cengiz Çiçek, député du Parti de la gauche verte (YSP), et par Musa Piroglu, ancien député du Parti démocratique des Peuples (HDP). Invoquant l' »interdiction » imposée par le préfet du district de Beyoglu, la police a bouclé la place et les rues adjacentes avec des barricades quelques heures auparavant. Les mères du samedi et leurs sympathisants se sont néanmoins dirigés vers la place. C’est alors que le cortège a été encerclé par la police qui a interpelé des dizaines de manifestants. Les forces de l’ordre ont par ailleurs empêché les journalistes présents de suivre l’événement. Les passants ont également été empêchés de filmer. 

21 personnes ont été arrêtées au cours de la manifestation. Menottées dans le dos, elles ont été emmenées dans un poste de police. Les personnes qui ont tenté des s’interposer pour empêcher les arrestations ont été insultées par la police.

LES MÈRES DU SAMEDI

Depuis 1995, les Mères du Samedi tiennent, à l’instar des « Mères de la Place de Mai » en Argentine, des sit-in hebdomadaires à Istanbul, où elles brandissent les photos de leurs proches disparus en garde à vue et exigent des autorités turques des informations sur leur sort. Entre 1999 et 2009, les Mères du Samedi ont dû suspendre leurs sit-in hebdomadaires en raison de la répression policière. Le 25 août 2018, le mouvement a organisé un 700e rassemblement devant le lycée Galatasaray. Cependant, sur ordre du ministre turc de l’Intérieur Süleyman Soylu, la police a déployé des canons à eau et attaqué la foule avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Le gouvernement turc avait alors justifié la répression violente en accusant les proches des disparus de se faire instrumentaliser par des organisations terroristes. La place Galatasaray est devenue alors une zone interdite pour les Mères du Samedi.

À l’occasion du 900e rassemblement, le 25 juin 2022, le rassemblement des proches des disparus a de nouveau été attaqué par la police et plusieurs personnes ont été arrêtées, dont les coprésidents de l’IHD.

17 000 DISPARUS EN TURQUIE

Depuis les années 1980, près de 17 000 personnes – principalement des Kurdes – ont été victimes de disparitions forcées. Cette pratique s’est répandue après le coup d’État militaire de septembre 1980. Au milieu des années 1990, lorsque la Turquie s’est lancée dans sa « sale guerre » contre le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), cette méthode a atteint son apogée, touchant à peu près toutes les catégories de la société – militants politiques, journalistes, hommes d’affaires, juristes, agriculteurs, …

Les personnes enlevées étaient exécutées et enterrées dans des fosses communes, des grottes ou des installations industrielles désaffectées, jetées dans des décharges, dans des puits, dans des fosses d’acide ou, comme en Argentine, jetées depuis des hélicoptères militaires en vol. Souvent, les victimes disparaissaient après une arrestation à domicile par la police ou l’armée, ou après s’est rendues au poste de police local suite à une convocation, ou encore après avoir été arrêtées à un point de contrôle militaire sur la route. La plupart des meurtres dits « d’auteurs inconnus » sont l’œuvre de l’organisation islamiste Hezbollah ou du JITEM (Service de Renseignement et d’Antiterrorisme de la Gendarmerie turque), une organisation paramilitaire responsable d’au moins quatre cinquièmes des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires survenues au Nord-Kurdistan dans les années 1990.