Il y a 32 ans, Vedat Aydin, représentant du HEP à Diyarbakir, était enlevé à son domicile par des agents du JITEM.
Vedat Aydin durant une audience de procès

Il y a 32 ans, Vedat Aydin, représentant du HEP à Diyarbakir, était enlevé à son domicile par des agents du JITEM. Deux jours plus tard, son corps sans vie était retrouvé à une cinquantaine de kilomètres de là.

Le 5 juillet 1991, Vedat Aydin, président de la section provinciale du Parti du Travail du Peuple (HEP) à Diyarbakir, a été arrêté à son domicile par trois membres du JITEM (service de renseignement de la gendarmerie turque), qui se sont présentés comme des officiers de police. Deux jours plus tard, le 7 juillet, son corps a été retrouvé dans le district de Maden, à Elazığ.

Arrêté dans la foulée du coup d’État militaire du 12 septembre 1980, le militant politique avait passé 4 ans en prison. Après sa libération, il avait participé à la fondation de l’Association des droits de l’homme (IHD) avec un groupe d’intellectuels kurdes. Le 28 octobre 1990, il a été arrêté et détenu pour avoir parlé en kurde lors de l’assemblée générale de l’IHD à Ankara.

Lors de son procès, Aydin s’était défendu en kurde. Libéré après quatre mois de détention, il avait assuré la présidence de la section de Diyarbakir de l’IHD, avant d’être élu à la tête du bureau provincial du HEP de Diyarbakir en juin 1991.

Le 10 juillet 1991, des centaines de milliers de personnes ont participé à la marche funéraire organisée à dans la capitale kurde pour rendre hommage au politicien. La répression de la manifestation par les forces de sécurité turques a fait une trentaine de morts et des milliers de blessés. 

Une nouvelle ère de répression a commencé avec le meurtre de Vedat Aydin

Marquées par des exécutions systématiques, des destructions massives de villages et le déplacement forcé de millions de personnes, les années 90 représentent l’une des périodes les plus violentes de la répression du régime turc à l’encontre des Kurdes. Vedat Aydin était une personnalité éminente et un homme politique très respecté à l’époque. En tant que tel, il était dans le collimateur des autorités turques. Son arrestation le 5 juillet 1991 n’a donc été une surprise pour personne. L’oppression de l’État turc à l’encontre des politiciens kurdes était immense et les gardes à vue, voire la torture, étaient monnaie courante.

Mais les choses se sont compliquées lorsque le lendemain, les autorités turques ont nié la garde à vue de Vedat Aydin. Des informations faisaient alors état d’assassinats commis par des unités de contre-guérilla turques à Şırnak, Cizre et Mardin, mais personne ne pensait qu’une personnalité aussi importante que Vedat Aydin serait prise pour cible.

Le 7 juillet, un corps non identifié a été retrouvé sous un pont à Maden, un district de la province d’Elazığ situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de Diyarbakir. Le corps présentait des signes de torture et de multiples impacts de balle. Le même jour, la famille d’Aydin s’est rendue à Maden pour identifier le corps.

Ce meurtre a provoqué une onde de choc dans la communauté kurde, en particulier à Diyarbakir, la ville natale de Vedat Aydin. Les autorités turques n’ont remis le corps d’Aydin à sa famille que trois jours plus tard. Plus de cent mille personnes ont assisté aux funérailles. En tête de cortège, marchaient des personnalités politiques kurdes, des défenseurs des droits humains et des intellectuels. Le cercueil d’Aydin a été transporté à la mosquée Sümer, dans le centre de la ville. Après les prières, la foule s’est dirigée vers le cimetière de Mardinkapi pour l’enterrement.

La police turque a arrêté la foule avant l’entrée du cimetière, au prétexte que le cimetière ne pouvait contenir tant de monde. Alors que les manifestants protestaient contre la barrière de police, des coups de feu se sont fait entendre. Des forces spéciales masquées ont ouvert le feu sur la foule, provoquant une immense panique. Les coups de feu se sont poursuivis pendant 3 à 4 minutes. Quatre personnes ont été tuées sur le coup. Plusieurs ont été blessées et transportées à l’hôpital.

Après la première attaque, la police a enlevé la barrière et laissé passer les manifestants. Aydin a été enterré après un bref discours de son frère Deniz Aydin.

Répression ciblée

Après l’enterrement, la foule s’est dispersée et la plupart des gens ont commencé à marcher vers le centre-ville. Mais la route a de nouveau été bloquée par la police à l’entrée de la ville. Cette fois, il y avait plus de policiers, plus de forces spéciales et de véhicules blindés. La police a laissé les gens entrer dans la ville par petits groupes. Alors que quelques milliers de personnes attendaient encore pour passer le barrage policier, trois coups de feu ont retenti. Puis des centaines de policiers ont commencé à ouvrir le feu sur la foule. Les personnes qui tentaient de fuir la zone ont été arrêtées et battues par la police.

Les députés kurdes Ahmet Türk, Orhan Doğan, Hatip Dicle et d’autres hommes politiques kurdes, journalistes et défenseurs des droits humains ont été violemment pris à partie par les forces de sécurité. L’attaque a duré environ 20 minutes. Elle a fait 23 morts et plus de deux mille blessés. 19 des victimes ont été enterrées la nuit même. Seules 4 familles ont été autorisées à organiser des funérailles en bonne et due forme.

23 morts, mais aucune poursuite.

Aucun fonctionnaire ou policier turc n’a été poursuivi pour ces meurtres. Les assassins de Vedat Aydin n’ont jamais été identifiés.

Le meurtre de Vedat Aydin a marqué le début d’une ère. Une ère d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées. Entre 1991 et 1999, des milliers de Kurdes ont été assassinés, dont le député Mehmet Sincar. Des dizaines de milliers de villages ont été réduits en cendres et quelque deux millions de Kurdes ont été jetés sur les chemins de l’exode.