Le 9 janvier 2013 à Paris, les trois militantes kurdes Sakine Cansiz, Fidan Dogan (Rojbîn) et Leyla Saylemez étaient assassinées d’une balle dans la tête dans les locaux du Centre d’information du Kurdistan, situé au 147 rue Lafayette. Plusieurs éléments de l’enquête et le réquisitoire du Procureur de la République permettent d’affirmer aujourd’hui que ce triple assassinat a été commandité par les services secrets turcs, le MIT.
Cependant, avec la mort en prison de leur assassin Omer Güney en décembre 2016, l’affaire est au point mort et l’enquête, bien qu’elle ait été réouverte, n’avance plus, malgré les multiples demandes de la communauté kurde. Il faut dire que de nombreux documents, des enregistrements téléphoniques et les aveux de trois membres du MIT faits prisonniers par la guérilla kurde laissent planer peu de doutes sur les véritables donneurs d’ordre de ces assassinats.
Les gouvernements français successifs, en plus de n’avoir jamais reçu les familles de victimes et les représentantEs de la communauté kurde, sont trop soucieux de préserver leurs relations avec la Turquie d’Erdogan pour agir. De Valls à Macron, la complicité de la France avec la politique autoritaire et dictatoriale de la Turquie n’est plus à démontrer : arrestations de militantEs kurdes à chaque venue d’Erdogan à Paris, accords bilatéraux franco-turcs de sécurité et de lutte anti-terroriste. Le PKK figure d’ailleurs toujours parmi les organisations terroristes listées par l’Union européenne, sans que cela ne fasse l’objet d’une quelconque contestation de la part du gouvernement français.
Arrestations, violences et bombardements
Ce dernier se rend également complice, par son silence, des arrestations et des condamnations de milliers de militantEs du HDP en Turquie, de dizaines d’éluEs ou ex-éluEs, comme l’ex-députée Leyla Güven, qui vient d’être condamnée à 22 ans de prison pour sa participation à une manifestation. Selahettin Demirtas, ex-coprésident du HDP, croupit en prison, alors que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé sa détention illégale et ordonné sa libération immédiate. Des dizaines de maires de la région kurde de Turquie ont été destitués, emprisonnés, comme celles et ceux de Diyarbakir, Mardin et Van, remplacés par des « administrateurs » AKP. L’État turc et ses milices djihadistes occupent Afrin et la région de Serekanyé Tall Abyad, où le vol des maisons, des terres, les assassinats et les viols sont quotidiens. L’aviation turque bombarde également Aïn Issa, la capitale administrative de l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (AANES). Les Russes et Assad exercent un chantage sur l’AANES, conditionnant leur aide et l’arrêt des bombardements à une reddition de la ville aux mains de l’État syrien, option fermement rejetée par l ‘AANES et les Forces démocratiques syriennes (FDS). Manbij et Tall Tamer, villes clés pour le contrôle de la M4, l’axe reliant la région pétrolière du nord est à Alep, sont aussi bombardées quotidiennement.
« Avec Biden, nous ne sommes sûrs de rien »
Mais l’autre offensive turque en cours, avec la complicité de l’actuelle présidence du Kurdistan d’Irak, le PDK de Barzani, est tout aussi dangereuse pour la survie du Rojava. Elle vise à couper les routes d’accès entre le Kurdistan d’Irak et le nord est de la Syrie pour empêcher la circulation des combattantEs et du matériel. Même Shengal (Sinjar), la province frontalière qui a été le théâtre du massacre des YézidiEs en 2014, est menacée. Bagdad et Erbil, probablement sous pression de la Turquie, ont tenté de désarmer les milices yézidies qui assurent la protection de la région. Tentative rejetée par la population évidemment, qui a déjà eu l’expérience du genre de protection que pouvait fournir l’armée irakienne en 2014.
La grande inconnue reste l’attitude de la nouvelle administration étatsunienne. Comme nous le disait récemment un porte-parole de la direction du PKK à Qandil, Zagros : « On est sûrs que Biden, lui, ne nous reprochera pas de ne pas avoir débarqué en Normandie en 1944, mais pour le reste, nous ne sommes sûrs de rien. »
Et la France ?
La récente déclaration de Florence Parly, ministre des Armées, pointant la résurgence de Daech à la fois en Irak et en Syrie laisse perplexe sur les projets du gouvernement français. Compte-t-il rentrer dans un jeu de grandes puissances sur les terrains syrien et irakien dans lequel il était très marginalisé ? La première chose à faire si le gouvernement Macron veut regagner la confiance des Kurdes serait de se donner les moyens de désigner les vrais commanditaires de l’assassinat de Sakine, Rojbin et Leyla, d’arrêter d’expulser et de harceler les militantEs kurdes en France et de retirer le PKK de la liste des organisations terroristes. La deuxième serait de cesser sa coopération avec le gouvernement turc, qu’elle soit commerciale ou sécuritaire, tant qu’il se comporte en État voyou qui envoie ses mercenaires djihadistes en Libye, en Syrie et même en Azerbaïdjian.