L’éminent philosophe et penseur français Edgar Morin a répondu aux questions d’ANF sur le peuple kurde et la situation d'Abdullah Öcalan
Edgar Morin, penseur et philosophe français

L’éminent philosophe et penseur français Edgar Morin a répondu aux questions d’ANF sur le peuple kurde et la situation d’Abdullah Öcalan, détenu à la prison d’Imrali depuis plus de 25 ans.

Les racines des problèmes rencontrés par le peuple kurde aujourd’hui se trouvent dans les politiques mises en œuvre par les puissances Britannique et Française lors de la dissolution de l’Empire ottoman, estime le sociologue français Edgar Morin dans un entretien exceptionnel accordé à l’agence de presse kurde Firat News (ANF). 

L’éminent philosophe français souligne la nécessité de replacer les conflits dans leur contexte historique et géopolitique. « Par exemple, le peuple kurde a souffert de la division arbitraire en nations imposée par les Anglais et les Français après la décomposition de l’Empire ottoman. Le peuple kurde s’est retrouvé divisé entre plusieurs nations, de la Turquie à l’Iran. Il a été privé de son droit à la nation. Ajoutons que le dépeçage de l’Empire ottoman en nations à inégalités ethniques a provoqué des guerres désastreuses: la Yougoslavie, puis le Kosovo en Europe, et les conflits actuels au Proche-Orient. L’absence de solutions pacifiques favorise les escalades et les dangers des guerres, y compris le danger d’extension, voire de généralisation des guerres. »

Selon celui qui a marqué la pensée philosophique du 20e siècle et qui est aujourd’hui âgé de 102 ans, « la régression générale sur tous les continents, la crise globale des démocraties et le développement des régimes néo-autoritaires contribuent à la montée des politiques et des leaders populistes ». Dans ce contexte, le sociologue français déplore l’absence de prise en compte des revendications nationales des Kurdes par les puissances occidentales qui ont pourtant utilisé le peuple kurde contre l’État islamique.

Se référant aux politiques de criminalisation à l’encontre du mouvement kurde, M. Morin dit ceci : « Le mot terroriste est utilisé à tort pour qualifier toute résistance à un oppresseur. Cette attitude ne sert pas la paix. Il faut des circonstances favorables à une réunion internationale sur le Moyen-Orient pour améliorer la situation, y compris celle du peuple kurde et celle du peuple palestinien. Mais malheureusement, nous en sommes encore loin ».

Concernant la situation du leader kurde Abdullah Öcalan, détenu depuis 25 ans sur l’île-prison d’Imrali et privé de toute communication avec le monde extérieur depuis plus de trois ans, M. Morin estime qu’il faudrait renforcer la pression internationale sur la Turquie: « Les forces qui pourraient se mobiliser pour une solution pacifique au conflit kurde sont trop faibles et dispersées. Il faut un renouveau démocratique dans le monde pour qu’une intervention internationale en faveur du peuple kurde puisse avoir lieu. Nous ne devons pas cesser de témoigner ou de faire campagne pour le peuple kurde et son leader, Abdullah Öcalan. »

Soulignant que la lutte du peuple kurde pour la liberté doit être soutenue dans tous les domaines, M. Morin a déclaré : « Mon point de vue est clair. J’admire la lutte du peuple kurde. La lutte du peuple kurde pour la liberté est une cause juste et je me suis battu et continuerai à me battre en son nom. Cependant, pour que le peuple kurde se débarrasse de ses oppresseurs, il faut que la conjoncture historique change. L’important est de ne pas l’oublier et de ne pas oublier la lutte du peuple kurde. »