Kobanê est devenu fin 2014 un nouveau symbole de résistance, lors de la lutte acharnée de ses habitant.e.s pour repousser les attaques des forces l’EI qui tentait de s’emparer de la ville. Elles furent finalement chassées de la ville le 26 janvier 2015. Détruite à près de 50% durant les combats, la reconstruction de la ville de Kobane prend du temps. Il a fallu déblayer les décombres, acheminer les matériaux de construction malgré l’embargo. En avril 2018, 20% de la ville restait à reconstruire. Les cicatrices des combats sont encore bien visibles.Mais la reconstruction n’est pas que matérielle. A la libération de Kobane, c’est toute une organisation politique et sociale qui était à remettre en place, et les liens entre habitant.e.s à renouer. Le TEV-DEM, coalition de partis politiques et d’associations de la société civile qui constitue le pouvoir exécutif dans la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie en attendant les élections, s’est immédiatement attelé à la tâche de mettre en application son programme politique, défini dans un contrat social1.

La municipalité de Kobanê a décidé de garder un quartier de la ville de son état d’après-guerre, le « musée », afin de témoigner de la violence des combats. Faute de choix, certain.e.s habitant.e.s sont revenu.e.s y vivre. Ils n’ont pas le droit de reconstruire leurs maisons, et attendent la fin de la construction des nouveaux logements qui leurs sont destinés, et qui a pris du retard face aux difficultés d’approvisionnement en matériaux de construction.

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Nour Hane Enddawi témoigne : « Le soir, nous avons peur. (à cause de la frontière turque ndlr) Nous sommes obligés de rester ici, nos familles ont été tuées ici. C’est notre maison. »

Kobane, avril 2018. Nour Hane Enddawi témoigne :
« Le soir, nous avons peur. (à cause de la frontière turque ndlr) Nous sommes obligés de rester ici, nos familles ont été tuées ici. C’est notre maison. » Impossible pour les habitants de dépasser le mur de terre sans se faire tirer dessus.

Mustafa, sa femme et ses enfants sont revenus à la libération de Kobanê. Ils sont fermiers. Mais ils ne peuvent pas dépasser le petit mur de terre qui a été érigé pour cultiver leurs terres, car au delà, si ils se rapprochent du mur, les soldats turcs leur tirent dessus. Un mois auparavant, quelqu’un a été blessé au torse.

Mustafa, sa femme et ses enfants sont revenus à la libération de Kobane. Ils sont fermiers. Mais ils ne peuvent pas dépasser le petit mur de terre qui a été érigé pour cultiver leurs terres, car au delà, si ils se rapprochent du mur, les soldats turcs leur tirent dessus. Un mois auparavant, quelqu’un a été blessé au torse.

Ces immeubles en reconstruction sont destinés aux familles des martyrs, et aux familles ayant perdu leur logement dans les combats, notamment celles du quartier devenu « musée de la résistance ».

Kobanê, avril 2018. Ces immeubles en reconstruction sont destinés aux familles ayant perdu leur logement dans les combats, notamment celles du quartier devenu « musée de la résistance ».

La conscription militaire est obligatoire pour les hommes et dure un an. Les conscrits sont majoritairement affectés à des tâches de surveillance. C’est l’occasion aussi de former toute une génération à l’auto-défense, et aux principes du système politique proposé par la fédération démocratique de Syrie du Nord.

Le souk, fraîchement reconstruit, commence à revivre. Les marchandises viennent d’un peu partout, Syrie, Turquie, Irak, souvent en contrebande ce qui explique leur coût élevé.

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Si à Kobanê, petite ville, l’approvisionnement électrique est meilleur qu’ailleurs, faute d’un débit d’eau suffisant les barrages hydro-électriques sur l’Euphrate ne peuvent fournir que 10 à 12h de courant par jour à la ville. Le reste du temps, les générateurs à essence prennent le relai, polluant l’atmosphère de leurs fumées âcres et de leur vacarme assourdissant. Un habitant souligne qu’il faudrait faire une étude pour mesurer leur impact sur la santé.

Kobane, Fédération Démocratique du Nord de la Syrie, avril 2018. Les générateurs occasionnent une importante pollution, à la fois par leurs fumées et par leurs bruits.

Ayse Effendi, co-présidente du TEV-Dem à Kobane, explique le système des communes qui sont à la base du système politique de la Fédération Démocratique de Syrie du Nord :

« Il y a 91 communes à Kobane, chacune comprenant de 100 à 150 familles.  Dans chaque commune on trouve deux co-présidents et six commissions : services, santé, paix (justice), autodéfense, économie, organisation / mobilisation politique. La mise en place des communes a commencé il y a deux ans. Il y a des réunions hebdomadaires. Des compte-rendus écrits sont effectués à chaque réunion et transmis au tev-dem. Tous les 20 du mois, un rapport mensuel est produit. Il y a eu des élections des présidents de commune au mois de septembre avec une forte participation. Une fois élus, les co-présidents choisissent les responsables des comités. Cette organisation est celle proposée par Abdullah Ocalan. C’est la première fois que les Kurdes s’organisent de cette manière. Mais cette auto-organisation a des racines historiques : avant c’était des conseils de famille, de tribus. Mais les communes que nous construisons ne sont pas basées sur les liens tribaux ni sur ceux du sang. Tout le monde peut y participer, et cela permet de lutter contre le conservatisme. » Concrètement, les membres des communes sont chargés de régler, ou quand ce n’est pas possible de faire remonter les demandes et les besoins de la population. Ainsi par exemple, lors d’une réunion qui rassemble les co-président.e.s de 12 communes, on débat des visites à faire aux familles réfugiées d’Efrin, et de comment leur fournir gaz et nourriture.

Kobanê, avril 2018. Ayse Effendi, co-présidente du TEV-Dem à Kobane, explique :
« Il y a 91 communes à Kobane, chacune comprenant de 100 à 150 familles. Dans chaque commune on trouve deux co-présidents et aux commissions : services, santé, paix (justice), autodéfense, économie, organisation / mobilisation politique. La mise en place des communes a commencé il y a deux ans. Il y a des réunions hebdomadaires de la commune. Des compte-rendus écrits sont effectués à chaque réunion et transmis au tev-dem. Tous les 20 du mois, un rapport mensuel est produit. Il y a eu des élections des présidents de commune au mois de septembre avec une forte participation. Une fois élus, les co-présidents choisissent les responsables des comités. Cette organisation est celle proposée par Abdullah Ocalan. C’est la première fois que les Kurdes s’organisent de cette manière. Mais cette auto-organisation a des racines historiques : avant c’était des conseils de famille, de tribus. Mais les communes que nous construisons ne sont pas basées sur les liens tribaux ni sur ceux du sang. Tout le monde peut y participer, et cela permet de lutter contre le conservatisme. » Concrètement, les membres des communes sont chargés de régler, ou quand ce n’est pas possible de faire remonter les demandes et les besoins de la population. Ainsi par exemple, lors d’une réunion qui rassemble les co-président.e.s de 12 communes, on débat des visites à faire aux familles réfugiées d’Efrin, et de comment leur fournir gaz et nourriture.« Il y a 91 communes à Kobane, chacune comprenant de 100 à 150 familles. Dans chaque commune on trouve deux co-présidents et aux commissions : services, santé, paix (justice), autodéfense, économie, organisation / mobilisation politique. La mise en place des communes a commencé il y a deux ans. Il y a des réunions hebdomadaires de la commune. Des compte-rendus écrits sont effectués à chaque réunion et transmis au tev-dem.

Réunion des co-présidents de 12 communes, l’entité à la base du système démocratique en Syrie du Nord, chargée de résoudre les problèmesou faire remonter les demandes des participant.e.s. Une commune réunit des représentants d’une centaine de familles vivant dans un espace commun.

Les femmes ont joué un rôle déterminant dans la libération de la ville, avec notamment le sacrifice d’Arîn Mirkan. Cette statue du centre ville leur est dédiée. Elle est devenue un lieu de promenade pour les familles le week end.

Colline de Mishtenour, célèbre pour le sacrifice d’Arin Mirkan, commandante des YPJ qui s’est élancée à l’attaque d’un char de Daesh, grenade à la main, et s’est tuée dans l’explosion, emportant avec elle plusieurs combattants ennemis.

Kobanê,avril 2018. Colline de Mishtenour, célèbre pour le sacrifice d’Arin Mirkan, commandante des YPJ qui s’est élancée à l’attaque d’un char de Daesh, grenade à la main, et s’est tuée dans l’explosion, emportant avec elle plusieurs combattants ennemis.

Cimetière des martyrs. « Quand daesh a attaqué Kobane, mon frère est resté dans la ville durant toute la durée du siège. Après la libération de Kobane, il a participé à la bataille de Gire Spi, Suluk, Rakka. Il est tombé martyr durant cette dernière bataille. Un autre de mes frères a été cadre pendant sept ans. Ils ont combattu ensemble à Rakka, et il est mort à ses côtés. Quand il est tombé martyr, il venait d’être père depuis 10 jours. Il n’a pas pu voir sa fille. »

Les Académies sont des structures de formation politique. Ici, les futur.e.s enseignant.e.s y reçoivent une formation idéologique pour mieux comprendre le système politique inspiré de la théorie de la Nation Démocratique et du Confédéralisme Démocratique d’Abdullah Öcalan.

Des lycéennes rentrent chez elles après les cours.

Kobanê, avril 2018. Lycéennes à la sortie des cours.

Un des piliers du système politique inspire de la théorie de la Nation Démocratique d’Abdullah Öcalan est l’émancipation des femmes. Le mouvement des femmes kurdes en Syrie, Kongra Star, met en place ses propres structures, parallèles au système mixte : une assemblée des femmes, une maison des femmes. Elles investissent également le champ économique en essayant de monter des structures qui permettent aux femmes d’avoir un revenu. Pour cela elles s’appuient sur un modèle coopératif qui a déjà fait ses preuves au Kurdistan Nord (occupé par la Turquie). Nejbir est une responsable du Kongra Star à Kobane.

«Vous voyez la révolution que ce sont en train de mener les femmes. Ce n’est pas seulement dans le champ militaire, la lutte est en cours dans toutes les sphères de la société. A Kobane, une grande partie de la ville a été détruite, dont le marché. Les boutiques avaient été pillées. 80% des sources de revenus des familles avaient disparu. Les gens ont souffert quand ils sont revenus. Chacun a mis du sien pour reconstruire.

Le champ économique est très important. Si vous n’êtes pas indépendant économiquement, vous ne pouvez pas être indépendant tout court. Dans notre philosophie, nous ne disons pas que l’économie est la base de tout mais c’est une part de la libération des femmes. Nous ne pouvons pas gagner la libération des femmes sans assurer leur indépendance économique.

Après la libération de Kobane, nous avons organisé une réunion avec les femmes, et nous avons décidé de créer des coopératives dans plusieurs domaines, dont le textile et l’agriculture. Les femmes sont libres de choisir dans quelle coopérative elles veulent travailler. Plus tard, nous avons construit une boulangerie gérée par des femmes. Il y a aussi une coopérative qui plante des arbres. Le salaire perçu dépend du travail. »

A lire : http://www.kedistan.net/2018/05/08/kobane-cooperatives-outil-emancipation-femmes/

Pour aider le développement de ces structures économiques alternatives, une « banque » fait aussi d’interface entre administration et entreprises privées. Melek, membre du Tev-Dem, explique : « Il y a une banque qui sert juste d’interface pour les transferts d’argent entre sociétés, ou entre l’administration et les sociétés, pour l’achat de mazout par exemple. Ce n’est pas une banque pour les particulier, elle ne fait pas de crédits. Nous n’avons pas l’intention d’imprimer de la monnaie, nous ne voulons pas être un gouvernement, nous faisons partie de la Syrie. Elle existe depuis deux ans et fait partie de l’administration. Il n’y a pas de connexion officielle avec les banques syriennes. Le change de monnaie se fait de manière privée par des particuliers. Nous avons besoin d’un système de crédit pour financer les projets. Quand une coopérative veut lancer un projet, elle peut faire un prêt sans intérêt auprès du Tev-Dem. »

 

Les cicatrices des combats sont visibles partout.

Kobane, avril 2018. Les cicatrices des combats sont visibles partout.

Dans les quartiers où la vie a repris, les maisons en reconstruction alternent avec les traces de la guerre. A la fin de journée, les enfants jouent dehors, les familles installées sur leur porche bavardent…

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225 familles de réfugiés venues d’Efrin, en majorité kurdes, ont été installées dans des logements vides. Dans les villages autour de Kobane, une centaine d’autres  ont été accueillies. Elles continuent d’arriver.

Kobane, avril 2018. Muhammad Hassan est parti d’Efrin avec 15 personnes de sa famille suite à l’invasion par l’armée turque. L’administration autonome à KObane leur a trouvé un logement et de quoi se vêtir et se nourrir, mais il ne souhaite qu’une chose, retrouver son village natal.

Muhammad Hassan

« Nous sommes environ quinze à dix-sept avec des enfants. Nous sommes été ici depuis 15-20 jours. Nous venons d’Efrin. Regardez ici, regardez à l’intérieur, vous voyez … regardez les enfants … Les gens ont fait de leur mieux pour nous aider, mais c’est tout ce qu’ils pouvaient faire. Elhamdullah nous sommes ici parmi nos gens, mais … Quand nous sommes venus de là, nous n’avons rien pu apporter. Mais je suis arrivé ici avec ma famille en vie, c’est assez.

Voici ma famille, mes enfants. Ce sont mes filles. J’ai des fils dehors. Lui c’est le fils de notre voisin, nous sommes tous venus ici.

Quand l’armée turque a attaqué, nous sommes partis à Sehba. Les combattant.e.s des FDS nous ont amenés ici. Que devrais-je dire de plus?

Nous avons quitté Afrin comme des renégats. Avec notre famille … Certains camarades nous ont sauvés en nous amenant ici.

Nous sommes en bonne santé mais nous n’avons rien d’autre. Que puis-je te dire? Nous sommes venus ici en laissant tous nos biens là-bas.

Tout le monde a vu, tout le monde a vu ce qui s’est passé là-bas, c’est une guerre. Les avions de chasse lancent des bombes, des attaques au mortier ont lieu. Qu’est-ce qui pourrait arriver de plus que ça ? C’est une guerre. Les médias ont tout montré, c’était comme les médias ont montré. Nous avons fui à cause de l’horreur. Nous ne pouvions pas rester à cause de la peur, nous devions fuir, nous ne pouvions plus rester là.

Cher monsieur, en fait je ne sais pas, nous n’avons pas d’avenir, nous avons perdu tout ce que nous avions. Que pouvons-nous espérer? Mon espoir est de retourner dans mon pays, à Efrîn et de recevoir nos terres. Nous voulons y retourner, c’est le plus grand rêve pour nous. Nous sommes venus ici avec l’aide des camarades, les gens sont accueillants pour nous mais tout le monde a sa propre terre. Nous avons laissé nos terres là-bas et nous espérons y retourner.

Ici nous ne travaillons pas, nous nous restons assis. Nous n’avons pas de travail. Où puis-je travailler? J’ai 65 ans. Je ne peux rien faire, n’est-ce pas?

Mes filles ne travaillent pas. Ma fille (en montrant une) était mariée mais son mari est mort. »

Kobanê, avril 2018.

Ahmad et son fils Youssef.

« Nous sommes trois ici, ma femme, mon fils de trois ans et moi. Nous sommes arrivés il y a une semaine. A Efrin, j’étais combattant. Je suis parti parce que l’armée turque ne fait pas de différence entre femmes, enfants et combattant.e.s. Ils ont bombardé la route que les civils utilisaient pour quitter Efrîn. Ils peuvent nous tirer dessus, nous les soldats, mais pourquoi tirer sur les civils et les enfants ?

J’étais dans un petit village. Il y avait sept maisons dans ce village. L’Etat turc l’a bombardé plusieurs fois avec des avions de combat et est entrée. Vous pouvez envahir non seulement Efrîn, mais carrément un état en utilisant autant d’avions de combat. C’était une attaque énorme. Efrîn est une petite ville. Les bombardements étaient si lourds. C’était si difficile d’y vivre.

Ma région a été laisséé en ruine. Tout a été volé. Le plafond de notre maison s’est écroulé. Rien n’a été laissé, où et comment puis-je retourner ? Même si j’y retourne, je dois recommencer à zéro.

La route a été difficile. Si le parti n’avait pas été là cela n’aurait pas été possible d’y arriver. Le régime ne voulait pas nous laisser partir mais l’administration autonome a négocié avec eux. Si ils ne l’avaient pas fait, nous ne serions pas venus ici. Ils nous auraient pris comme soldat.

Nous sommes allés à Kobanê parce qu’ici les habitants sont gentils ici. Ils vous aident, fournissant ce dont vous avez besoin. Ils font cela pas parce que les hevals sont là, mais parce que les habitants de Kobanê sont comme ça. C’est une communauté différente. Je suis en contact avec des amis et tout le monde vient ici. Les camarades nous ont aussi aidés, ils nous ont fournis une maison et nous avons ce qu’il faut pour vivre. Ils nous fournissent en nourriture, boisson, vêtements, ils nous ont apporté des lits, des oreillers, des couvertures. Que Dieu les bénisse.

Avant je fabriquais des meubles. A l’avenir j’aimerais recommencer. Chacun devrait pouvoir reprendre son travail. Et bien sûr j’aimerais revenir chez moi. Mais dans l’immédiat je compte repartir combattre. »

Alentours de Kobanê, avril 2018. Après la guerre, les habitant.e.s ont commencé à replanter des arbres, et à diversifier les cultures.

Dans les environs de Kobanê. Fin avril, les champs sont verdoyants malgré le manque d’eau. Après la guerre, les habitant.e.s ont replanté des arbres.

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« Komutan » soutient le PKK depuis ses débuts. Elle a rencontré Öcalan quand il était en Syrie. Elle était présente lors de l’attaque de Daesh sur la ville. Aujourd’hui, elle est co-présidente d’une commune et participe au mouvement des femmes.

Kobane, avril 2018. « Komutan » soutient le PKK depuis ses débuts. Aujourd’hui, elle est co-présidente d’une commune et participe au mouvement des femmes.
Alentours de Kobanê, avril 2018.