Hasan, au camp de Lavrio (Grèce). Décembre 2017
Hasan a un peu moins de trente ans.
« Je m’appelle Hasan. Jusqu’à mes 15 ans, j’ai vécu dans un village près de Bingöl.
Dans notre village il n’y avait pas vraiment de milieu militant. Oui on était conscient de certaines choses mais ça s’arrêtait là. Quand j’étais enfant, se réveillait très tôt, à l’aube, avec les parents. Après avoir déjeuné, tu rejoins tes amis à la montagne pour jouer, on nageait. On avait des animaux. Toute mon enfance se passait dans la nature, même nos jeux étaient liés à ça. On faisait des courses à celui qui peut monter le plus haut. Je me sens chanceux parce que je n’ai pas connu la technologie et j’ai grandi dans la nature. Cela t’apaise. Tu commences à tisser des liens avec des animaux. Quand ils voulaient vendre le veau, je pleurais pour qu’ils ne le vendent pas.
Pour le lycée, je suis allé étudier au centre ville de Batman. A la fin de mes 18 ans, une fois mon lycée terminé, j’ai été arrêté par la police pour avoir participé au Newroz1. Je n’étais pas du tout politisé, mais tu vois qu’il y a certaines choses qui ne vont pas correctement. Tu te sens attaché à quelque chose que tu ne peux pas expliquer. Tu vois l’oppression que l’Etat fait peser sur les Kurdes, même si tu es petit. En participant au Newroz, en faisant les doigts de la victoire, tu as l’impression de lutter contre quelque chose.
Quelques mois plus tard, j’ai été arrêté. Tu n’es qu’un enfant, qui ne sait rien, qui ne connait nulle part autre que son village, et des gens arrivent et t’emprisonnent alors que tu as participé à un Newroz organisé pour le peuple. Toute cette pression a pour but d’éloigner le peuple de ses valeurs. Ma rencontre avec l’Etat s’est faite en prison, pendant 3 mois. Tu es censé te préparer pour l’université mais tu es en prison. Un sentiment de désespoir t’attrape mais en même temps un certain courage t’envahit. Je me suis préparé aux concours de l’université en prison. Et j’ai été accepté à Gaziantep à l’Université de Philosophie. »
Le Français, le Turc, l’Anglais a le droit d’apprendre dans sa langue mais le Kurde n’a pas le droit.
« A l’université j’ai intégré une organisation politique. A cette période il y avait une campagne pour l’éducation dans la langue maternelle. Nous avons défendu l’idée que l’Etat doit donner ce droit au peuple kurde. Le Français, le Turc, l’Anglais a le droit d’apprendre dans sa langue mais le Kurde n’a pas le droit. Quand j’ai été à la maternelle, je ne connaissais pas un mot en turc. Le professeur était toujours méchant. Au bout de 3 ans, avec difficulté, j’ai appris le turc. Un manque de confiance en soi apparait chez les jeunes Kurdes à cause de cela. Nous nous sous-estimons à cause de ce que nous vivons dès notre enfance. C’est pourquoi nous défendons le droit à l’éducation pour tous les peuples de Turquie, pas uniquement pour les Kurdes.
Au bout de 2 ans, j’ai été à nouveau emprisonné. Je ne prétends pas être proche du PKK, pour plusieurs raisons. Mais le PKK est le résultat de ce que vivent les Kurdes. C’est pourquoi, tout ce que je peux défendre, le PKK aussi les défend. Car ce parti donne la place à toutes les personnes, même ceux qui ne sont pas totalement d’accord avec eux. A chaque action que nous faisons, la police nous dit que nous sommes membre du PKK, c’est pourquoi des centaines de nos camarades sont assassinés. »
Je n’ai pas pu dire au revoir à qui que ce soit
« A ma libération, j’ai dû repasser mes concours pour continuer mes études. J’ai été accepté en Littérature à Ankara. Je n’ai pas été emprisonné là-bas. En même temps, je voulais faire quelque chose pour ma langue, le dialecte zazaki. Des instituts kurdes ont été ouverts à cette période, j’y ai participé pour apprendre. Quelques temps après, j’ai commencé à enseigner. J’ai appris que mes deux dossiers qui étaient au tribunal de Gaziantep avaient été réouverts et qu’ils me condamnaient à 6 ans et 3 mois de prison dans l’un, et dans l’autre à 12 ans. J’étais en cours, et mon avocat ne cessait de m’appeler. J’ai compris qu’il y avait quelque chose de grave. J’ai répondu, il m’a dit « pars au plus vite, tu es condamné. » Je n’ai pas pu dire au revoir à qui que ce soit parce que je savais que la police allait débarquer. J’ai vécu pendant un an caché en Turquie. Ensuite j’ai compris que ce n’était pas possible de continuer ainsi, j’ai cherché une solution pour venir en Europe. J’ai pris le risque de venir ici, si la police m’avait arrêté à la frontière j’aurais été condamné à 18 ans. Je suis passé par le fleuve. Je veux aller en Suisse, pour continuer dans l’enseignement. Là-bas on ne sait pas à quoi on va être confrontés. Le Kurde doit savoir être fort. Les étapes sont interminables. »