Selahattin Demirtas est pour la deuxième fois candidat à l’élection présidentielle, qui aura lieu dimanche 24 juin. C’est le seul candidat qui s’oppose résolument à la politique totalitaire d’Erdoğan qui, pour cela, lui voue une haine tenace. Même avec seulement les 15% de voix espérés, il peut troubler le jeu et empêcher une victoire du maitre en manipulation au 1° tour, ce qui pourrait évidemment tout changer. Selahattin Demirtas est l’espoir de tous les Kurdes et de tous les Turcs démocrates, ceux du mouvement Gezi, ceux des syndicats révolutionnaires, ceux qui militent pour l’autonomie démocratique et qui se retrouvent ou qui peuvent se retrouver dans le HDP?, le Parti démocratique des peuples, dont il est le co-président.
Le très charismatique Selahattin Demirtas est bien connu à Rennes, où nous avons eu le plaisir et l’honneur de l’accueillir le 30 juin 2010. Ouest-France (01/07/10) écrivit notamment : « Selahattin Demirtas qui n’a de cesse de souligner la valeur des droits de l’homme ne cautionne pas l’attitude de la France et de la plupart des gouvernements européens : le gouvernement français de devrait pas faire passer ses enjeux commerciaux avants les droits de l’homme ». Les délégations des Amitiés kurdes de Bretagne l’ont également rencontré plusieurs fois lors des missions au Kurdistan de Turquie, notamment à Diyarbakir 14 avril 2012, alors qu’il était député de Hakkari.
Aujourd’hui, Selahattin Demirtas est incarcéré depuis le 4 novembre 2016 au centre pénitentiaire de haute sécurité d’Edirne (Turquie). Il est accusé, comme les dizaines de milliers d’opposants qui croupissent en prison, d’appartenance à une « organisation terroriste », ce que conteste véhémentement Selahattin Demirtas : « La seule raison pour laquelle je suis ici est que l’AKP a peur de moi », a-t-il déclaré en référence au parti d’Erdoğan au pouvoir. Selahattin Demirtas risque une peine de prison de cent quarante-deux ans, voire la peine de mort, Erdoğan ayant promis lors d’un de ses meetings, le 10 juin dernier, de le faire exécuter (Le Monde, 17/18 juin 2018).
Selahattin Demirtas
Né le 10 avril 1973 à Palu (Turquie), avocat, diplômé de la Faculté de droit de l’Université d’Ankara, Selahattin Demirtas fut membre de la fédération turque d’Amnesty International, de la Fondation des droits de l’homme de Turquie et de l’Association turque des droits de l’homme (IHD) dont il fut un temps président de la section de Diyarbakir. En 2005 Selahattin Demirtas est secrétaire général de la « Plateforme démocratique de Diyarbakir », composée de groupes de défense écologiques, d’organisations de défense des droits de l’homme, d’organisations syndicales et professionnelles, d’organisations de journalistes, de femmes et autres organisations travaillant avec la population locale. Elu député pour la province de Diyarbakır, avec Akın Birdal, Gültan Kişanak et Aysel Tuğluk, lors des élections du 22 juillet 2007, il rejoint le groupe du Parti pour une société démocratique (DTP). Le BDP, Parti pour la paix et la démocratie, fondé en 2008, remplace le DTP, interdit en décembre 2009. Au cours du premier Congrès du BDP, en février 2010, il est élu, avec Gültan Kışanak. co-président de ce parti.
« Je continuerai à m’opposer sans reculer d’un pas, quel qu’en soit le prix à payer »
Selahattin Demirtas se lance dans une campagne électorale très difficile et inégale. Il n’a pas d’autre choix que de passer par l’intermédiaire de ses avocats. En revanche, Recep Tayyip Erdoğan dispose de tous les soutiens illimités de l’État, des médias, de la bureaucratie et du monde des affaires pour faire campagne. « Mais, a-t-il déclaré au journal le Monde, je continuerai à m’opposer sans reculer d’un pas, quel qu’en soit le prix à payer ».
Ses grands axes de son programme, sont l’économie, la justice, la démocratie, l’égalité et la paix.
Notre priorité est de créer une nouvelle Constitution. Nous allons travailler à l’établissement d’une Constitution qui protégera les droits de tous les citoyens, des différents groupes sociaux à tous les niveaux. Nous traiterons tous les sujets, à commencer par la liberté, l’égalité, l’indépendance de la justice, les droits des femmes, en passant par la protection de l’environnement jusqu’aux droits des animaux. Nous voulons démocratiser le système parlementaire et les administrations locales. Nous allons créer des emplois au travers d’un programme économique basé sur la production. Sur le plan de la politique intérieure et extérieure, nous allons suivre l’idée d’une politique de paix. Nous allons résoudre le plus grave problème du pays, la question kurde, de manière pacifique. Nous allons faire de la Turquie un membre à part entière de l’Union européenne en accélérant l’ouverture de nouveaux chapitres et le processus d’adhésion, déclare-t-il dans L’Humanité du 1 juin 2018
Le Monde du 17/18 juin 2018 note : « Le président tout puissant ne parvient pas à galvaniser les foules en prélude aux scrutins du 24 juin : ses promesses sonnent le creux et ses meetings ne font plus recettes ».
Il faut donc s’attendre à des manipulations à grande échelle, car Erdoğan ne veut pas perdre, ne peut pas perdre. Les problèmes économiques ne seraient pas étrangers à cette sorte de désamour. La guerre menée tous azimuts, et notamment contre les Kurdes, flatte un nationalisme encore très présent en Turquie, mais son coût pèse lourdement sur l’économie qui serait exsangue sans l’aide de pays étrangers et notamment européens. L’agence de notation économique mondiale Standard & Poor’s (S&P) a déjà tiré la sonnette d’alarme en abaissant la note de crédit de la Turquie.