Saleh Muslim, ancien Coprésident du Parti de l’Union Démocratique (PYD) et coordinateur des relations extérieures du Mouvement pour une Société Démocratique (TEV-DEM), nous a reçus à Qamishlo il y a quelques semaines. Cet entretien sera publié en trois partie sur Rojinfo. Le premier extrait concerne les relations entre la Syrie du Nord et le régime de Damas.
Son rôle actuel dans le PYD
« Je suis sans-emploi ! Plus sérieusement, je travaille au comité politique du TEV-DEM (ndlr : Mouvement pour une Société Démocratique, dans lequel est inclus le PYD) et je participe à des prises de contacts en son nom. Nous dialoguons par exemple avec les leaders de tribus arabes afin de leur expliquer notre projet politique. C’est une mission diplomatique. Je travaille aussi bien sur le territoire syrien qu’à l’étranger, je suis là où il y a des négociations à mener et des accords à trouver, tant sur le plan diplomatique que sur le plan politique. Peu importe où je suis, le plus important est de faire quelque chose qui soit utile. »
Possibilités d’un accord avec le régime de Bashar al-Assad
« Depuis le début de la Révolution syrienne, nous n’avons jamais dit que nous voulions nous séparer de la Syrie, nous n’avons jamais visé l’indépendance ou la division. Ce que nous disons est simple : ″nous sommes une partie de la Syrie et nous voulons que la Syrie soit démocratisée.″ Nous supportons la démocratie, nous la voulons.
Pourquoi le système que nous expérimentons dans le nord de la Syrie devrait-il être étendu à toute la Syrie ? Nous croyons qu’avec de bons arguments, nous pouvons convaincre le reste de la Syrie de mettre en place cette démocratie radicale pour toute la société syrienne. Alors tout changerait et tout le monde devrait respecter la volonté du peuple.
Dans nos prises de décision, nous sommes libres, nous ne dépendons pas des États-Unis pour nous protéger, nous avons nos propres forces de défense, les YPG/YPJ, et les Forces démocratiques syriennes. Nous nous sommes construits seuls, personne ne nous a créés ! C’est pour cela que nous sommes libres. Nous avons nos intérêts et le régime à les siens. Bien qu’il ait souvent réaffirmé vouloir un État pour la Syrie toute entière, nous n’avons jamais refusé le dialogue avec lui.
Nous n’avons pas établi de conditions préalables pour négocier avec lui, si ce n’est que nous voulons une Syrie plus démocratique. Il y a eu de nombreuses discussions pour trouver une solution politique en Syrie, que ce soit à Sotchi ou ailleurs : pourquoi en avons-nous été exclus ? Nous pouvons parler avec n’importe qui mais nous n’acceptons aucune condition préalable. « Vous devez accepter Bashar al-Assad comme le président de la Syrie et ensuite nous pourrons discuter… » Non ! Si le régime veut parvenir à un accord avec nous, nous sommes prêts à en faire de même. Nous pouvons nous entendre sur quelques dispositions avec le régime, quelques discussions techniques sur le terrain. Tout cela est bien différent de négociations politiques traditionnelles. Sur le plan politique, nous n’avons pas de négociations en cours avec le régime (…). Nous pouvons discuter mais négocier est quelque chose d’autre. »
L’administration autonome perçue comme une menace par Damas
« Lorsque vous trompez les gens, vous vous éloignez de la réalité. Nous ne sommes pas une menace pour Damas, comme pour qui que ce soit d’ailleurs. Comme nous l’avons déjà dit, nous sommes ouverts au dialogue avec tout le monde et chacun est libre de venir constater par lui-même ce qu’il se passe en Syrie du Nord, ce que nous faisons au quotidien. Nous avons fait et commettons sans doute toujours des erreurs. Nous n’avons pas toujours les personnes appropriées pour mettre en place et faire tout ce qui est nécessaire. Nous avons besoin d’entrainements, de formations, mais ce n’est pas une erreur stratégique. Nous apprenons de nos erreurs, nous évoluons.
Ce n’est pas le cas de Damas. Jusqu’à présent, l’essence du régime n’a pas changé, sa mentalité reste la même. De son point de vue, tout le monde devrait lui être soumis et il continue à agir de cette même manière autoritaire dans les zones qu’il contrôle. S’il veut vraiment faire quelque chose de positif pour le peuple syrien, il doit alors travailler pour plus de démocratie. Et cela passe par des changements dans sa façon d’être et d’appréhender les évènements en Syrie. »
Cohabitation avec le régime à Qamishlo
« Nous vivons avec le régime à Qamishlo, il existe un accord entre nous : ils ne nous touchent pas, nous ne les attaquons pas. En fait, ces zones contrôlées par le régime sont un atout pour nous. Si nous n’avions pas cette présence du régime, nous n’aurions aucune aide en provenance des Nations-Unis comme des vaccins pour les enfant, qu’elles sont les seules à fournir. Les Nations-Unies et les organisations non-gouvernementales ne traitent qu’avec les autorités de Damas, elles nous considèrent comme illégales, donc elles ne dialoguent pas avec nous. Sans ces zones appartenant au régime, nous n’aurions pas accès à ce soutien en provenance de l’extérieur.
Jusqu’à présent, nous n’avons pas nos propres passeports, nous avons toujours le passeport syrien. Si nous forçons le régime à quitter Qamishlo, le bureau des passeports suivra, et nous aurons besoin d’aller à Damas pour en obtenir un. Nous devons travailler avec eux, nous ne sommes pas des ennemis et ils doivent nous accepter. Ils se doivent de respecter les populations qui vivent ici, c’est un de leur problème. Lorsque nous faisons des erreurs, nous pouvons les corriger. Qu’ils en fassent de même !
Il est vrai que parfois, le régime essaye d’attraper quelques personnes qui travaillent pour l’administration autonome. Quand ils y parviennent, alors nous prenons à notre tour quelques-uns des leurs, en guise de réponse. Ces problèmes se règlent alors en général assez rapidement.
Au sujet de l’aéroport, beaucoup de nos amie.s peuvent l’utiliser et arriver directement à Qamishlo par avion. Seulement, nous n’avons pas le droit de nous y rendre et d’y entrer pour les accueillir. Ils arrivent et ensuite nous rejoignent, mais nous ne pouvons pas aller les chercher là-bas. Ce n’est pas possible de trouver un accord politique au sujet de l’aéroport pour le moment, pour des raisons techniques. »
Relations économiques et commerciales avec Damas
« Le blocus n’est plus aussi important qu’il y a deux ans, aujourd’hui la situation est plus tenable. Nous avons des ressources naturelles comme le gaz ou le pétrole et nous les vendons. Peu importe quels sont les clients, ils viennent avec des camions-citernes, les remplissent et nous leur garantissons juste qu’ils peuvent traverser la frontière. Nous avons besoin de cette entrée d’argent, c’est tout ce qui nous préoccupe. Nous avons besoin d’échanges commerciaux pour payer les salaires et apporter un soutien aux population locales. Nous essayons d’améliorer les conditions de vie de tout le monde. À part qu’une bonne partie de notre production pétrolière part à Alep pour être vendue, nous ne savons pas où vont ces ressources naturelles. Nous n’avons pas d’accord avec le régime, peut-être qu’il y aura une solution politique à l’avenir et donc des échanges de ressources naturelles et de matériaux. »
Le jeudi 26 juillet, a eu lieu à Damas une rencontre entre une délégation du Conseil démocratique syrien (CDS) menée par Ilham Ahmed, et des officiels du régime de Bashar al-Assad. À la suite de cette prise de contact officielle, la première depuis le début de la guerre en Syrie, l’administration autonome de Syrie du Nord a « décidé de former des comités, à plusieurs niveaux, pour favoriser le dialogue et les négociations afin de mettre un terme aux violences qui ravagent la société syrienne (…) » comme le déclare un communiqué du CDS.
Organisée de longue date pour évoquer la situation générale en Syrie, une conférence de presse a été tenue par Saleh Muslim ce samedi 28 juillet à Qamishlo. Il a été invité par certains des quelque quarante journalistes présents à réagir sur l’entrevue de Damas : « cette rencontre était comme une prise de contact, nous avons seulement discuté, et il y a une grande différence entre des discussions et des négociations. C’était l’occasion de comprendre les intentions de chacun et, jusqu’à présent, aucun accord politique n’a été trouvé ».
Désormais, il s’agit de voir quelles seront les réactions du régime d’al-Assad à ces pourparlers préliminaires. L’administration autonome reste dans l’expectative, l’attente. La gouvernance de Damas est très attachée à ce centralisme fort sur lequel elle a été bâtie depuis plus de quarante ans. De son côté, l’administration autonome fait de la décentralisation politique une condition inévitable pour reconstruire un futur en Syrie. Si les deux parties semblent être d’accord pour mettre fin au conflit et trouver une issue à plus de sept ans de guerre, c’est à peu près leur seule position commune. Si le régime souhaite que ces éventuelles négociations, qui seraient longues et difficiles, aboutissent, il lui faudra tenir compte d’un point important pour la Syrie du Nord. Comme le souligne Saleh Muslim, « notre peuple a fait de grands sacrifices en combattant le terrorisme et pour établir une administration autonome. Aujourd’hui, il vit l’autogestion et nous n’abandonnerons pas ces acquis. »