Après avoir quitté le 9 octobre 1998 la Syrie où il résidait avec l’accord de Hafez el-Assad et d’où il a dirigé le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) pendant plus de 20 ans, le leader kurde Abdullah Ocalan a été arrêté le 15 février 1999 au Kenya, dans le cadre d’une opération conjointe des services de renseignements américains, israéliens et turcs. Il a aussitôt été emmené en Turquie et condamné à la perpétuité.
Le PKK qui revendiquait initialement un État indépendant, avec la réunification des quatre parties du Kurdistan, adopte à partir de 2003, un nouveau paradigme politique inspiré des écrits de prison d’Öcalan. Ce nouveau paradigme s’appelle le « Confédéralisme Démocratique ». Il s’agit d’une forme d’autonomie politique et culturelle qui permettrait aux kurdes de s’autogouverner sans remettre en cause l’intégrité territoriale de chacun des pays dans lesquels ils se trouvent.
Avec l’adoption du paradigme proposé par Öcalan, le mouvement va suivre une ligne politique qui le rend plus flexible dans les négociations, particulièrement avec la Turquie. C’est ainsi que va avoir lieu entre 2006 et 2015 une période de pourparlers entre le PKK et l’État turc. Durant cette période, malgré une reprise partielle des affrontements, des rencontres ont lieu à Oslo, entre des représentants du PKK et de l’État turc, sous l’égide de la Norvège, afin de rechercher une solution à ce conflit qui dure depuis 1984.
Ocalan profite de la période des pourparlers pour élaborer le projet d’un nouveau Parti politique qui va donner naissance au HDP, Parti démocratique des Peuples. Le HDP dont le nom a également été proposé par le leader du mouvement kurde est un nouveau modèle de parti qui, dépassant le cercle kurde, a vocation à démocratiser la Turquie. Il va permettre au mouvement kurde de s’associer, au sein d’un même parti, avec d’autres composantes ethniques et confessionnelles, ainsi qu’avec des tendances politiques diverses, ceci afin de former une gauche d’opposition plus forte en Turquie. C’est ainsi que le mouvement kurde va gagner en audience dans l’opinion publique de Turquie et faire son entrée à l’Assemblée nationale, pour la première fois en tant que Parti politique, aux élections législatives de juin 2015, avec un score record de 13,1%.
Parallèlement, le mouvement kurde réorganise sa branche politique et fonde le Parti démocratique des Régions (DBP), qui s’adresse uniquement à la région du Kurdistan de Turquie, avec comme objectif de gérer les collectivités locales.
Parallèlement à ses efforts pour faire avancer le processus de paix en Turquie, Öcalan travaille aussi au développement du processus qui vient de commencer en Syrie. Le système actuel mis en œuvre par les Kurdes en Syrie est en effet entièrement puisé dans le modèle politique et sociétal conçu par Öcalan pour préserver l’existence kurde.
L’accord de Dolmabahçe du 28 février 2015 est le premier signé entre le PKK et l’État turc. Ce texte de 10 articles est rendu public par le porte-parole de la délégation de l’État turc et le Député du HDP Sirri Sureyya Onder qui représente alors Abdullah Ocalan. Mais, moins de deux mois après sa signature, Erdogan nie son existence.
Réalisant que le mouvement kurde gagne du terrain, non seulement au Kurdistan, mais aussi dans les villes de Turquie, le Président turc Recep Tayyip Erdogan ne peut plus se permettre de laisser faire Ocalan. Car Ocalan qui dirige directement ce processus dont il est à l’initiative, est en train d’ouvrir une nouvelle page pour les peuples de Turquie.
Erdogan a rompu le processus de paix car il avait perdu l’initiative, alors qu’Öcalan gagnait énormément de sympathie. Pour Erdogan, rien n’évoluait comme prévu. La rupture du processus a bouleversé l’atmosphère de paix en Turquie et conduit à la reprise de la guerre. S’en est ensuivi une répression sans précédent contre les élus du HDP et du DBP, les universitaires, les journalistes, les avocats et toute l’opposition. Des centaines de milliers de personnes ont été licenciées, des dizaines de milliers arrêtées, et de nombreuses autres contraintes à l’exil.
L’isolement carcéral total imposé à Ocalan
Ocalan qui était privé de la visite de ses avocats depuis 2011, s’est vu, avec la fin du processus de pourparlers, interdire tout contact avec le monde extérieur. L’isolement qu’il subissait depuis 2011 a ainsi été porté à un niveau supérieur. Depuis avril 2015, on n’a eu de nouvelles d’Öcalan qu’a deux reprises, lors des courtes visites accordées à son frère en septembre 2016 et janvier 2019.
C’est dans ce contexte que la Députée kurde Leyla Guven a entamé une grève de la faim le 8 novembre 2018, dans la prison de Diyarbakir, pour briser le régime d’isolement imposé à Öcalan. La greve de la faim s’est très vite répandue dans les prisons de Turquie et en Europe. Près de 350 militants, dont 14 à Strasbourg, ont rejoint ce mouvement qui fait trembler aujourd’hui la Turquie, et Erdogan en particulier. Leur objectif est d’en finir avec la politique de guerre menée par Erdogan à travers l’isolement imposé à Ocalan, politique qui est encouragée par le silence des institutions européennes, notamment le Conseil de l’Europe et son Comité pour la Prévention de la Torture (CPT).
Les grévistes de la faim demandent au Conseil de l’Europe et au CPT de réagir à la situation du leader kurde, car il est l’interlocuteur incontournable des négociations pour la résolution de la question kurde. Il est le Nelson Mandela du Peuple kurde, son leader le plus influent, sans lequel une solution politique à la question kurde est impossible de nos jours, ce qui explique que des centaines de personnes résistent depuis des mois, au péril de leur vie, pour rompre son isolement.
Malgré la mobilisation sans précédent contre l’isolement et pour la libération d’Ocalan, Erdogan poursuit sa politique de guerre. Il est grand temps que le Conseil de l’Europe et la communauté internationale réagissent, avant que des grévistes ne meurent et que ne s’ouvre une voie sans retour.