Murat Karayılan : « Le PKK préfère le dialogue à la lutte armée, mais… »

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Dans un entretien avec le "Jerusalem Post", mené par Hadeel Queis et Jonathan Spyer, Murat Karayılan, commandant en chef des forces armées du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). a abordé, sans détours plusieurs sujets d'actualité particulièrement brûlants : la nature des relations entre le PKK et les Etats-Unis, la politique néo-ottomane du président turc Recep Tayyip Erdoğan, les perspectives d'un cessez-le-feu avec la Turquie, la situation en Syrie, le regard du PKK sur Israël, l'Iran et la Syrie de Bachar al Assad. Sans oublier l'incontournable d’Abdullah Öcalan qui, depuis sa prison d'Imrali, reste le leader incontesté du peuple kurde.
Murat Karayilan, membre du Comité exécutif du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) salue les guérilleros lors d'une célébration dans une zone controlé par le PKK au Sud-Kurdistan (Kurdistan irakien).

Dans un entretien avec le « Jerusalem Post », mené par Hadeel Queis et Jonathan Spyer, Murat Karayılan, commandant en chef des forces armées du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a abordé, sans détours plusieurs sujets d’actualité particulièrement brûlants : la nature des relations entre le PKK et les Etats-Unis, la politique néo-ottomane du président turc Recep Tayyip Erdoğan, les perspectives d’un cessez-le-feu avec la Turquie, la situation en Syrie, le regard du PKK sur Israël, l’Iran et la Syrie de Bachar al Assad. Sans oublier l’incontournable d’Abdullah Öcalan qui, depuis sa prison d’Imrali, reste le leader incontesté du peuple kurde.

Rappelons que Murat Karayılan, l’un des plus anciens cadres du PKK, membre du comité exécutif du (PKK), est membre du Conseil exécutif de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK). Murat Karayılan est en quelque sorte le « ministre des armées ». Ses paroles sont rares mais précises. 

Relations entre les États-Unis et le PKK 

En ce qui concerne la nature des relations entre les États-Unis et le PKK, Murat Karayılan a déclaré que le PKK n’avait d’hostilité envers aucun pays, y compris les États-Unis : « nous n’avons jamais visé les États-Unis. L’Amérique ne nie pas les droits de l’homme pour les Kurdes, mais elle n’a pas non plus de politique claire reconnaissant les Kurdes en tant que nation. Je pense que l’Amérique a été nourrie d’informations trompeuses et frauduleuses à notre sujet. Qu’elle s’engage résolument en exposant une politique claire envers les Kurdes et elle contribuera ainsi à résoudre le problème kurde. L’inscription des dirigeants du PKK sur la liste des terroristes n’est qu’une manœuvre politicienne américaine pour apaiser l’Etat turc et nous appelons les États-Unis à nous retirer de cette liste. Le PKK a joué un rôle majeur en empêchant l’Etat islamique de se développer dans la région. Les États-Unis devraient en tenir compte. Une telle approche profiterait diplomatiquement aux États-Unis et à leurs alliés dans la région ».

A la question de savoir si les États-Unis pourraient jouer un rôle de médiateur, Murat Karayılan répond : 

«  Oui, l’Amérique peut le faire si elle y met tout son poids. Lorsque la république turque a été créée en 1919, le fédéralisme kurde a été approuvé par les fondateurs qui ont promis aux Kurdes une région autonome. Mais en 1923, le Kurdistan a été réparti sur quatre pays. Les États-Unis et les Européens peuvent aider à négocier un accord de paix tout comme ils ont fait en Irlande. Le 66e article de la constitution turque dit que celui qui vit à l’intérieur des frontières turques est turc, et c’est en vertu de cet article que la Turquie commet des crimes contre notre peuple. Quelques vingt millions de Kurdes vivent à l’intérieur de la Turquie. La constitution de la Turquie doit être modifiée. Sans reconnaître les Kurdes en Turquie et sans libérer tous les prisonniers politiques, y compris Abdullah Öcalan, nous ne pouvons signer un accord de désarmement ». 

La politique néo-ottomane d’Erdoğan

Concernant la politique actuelle de l’Etat turc, Murat Karayılan observe que l’AKP, le « Parti de la justice et du développement « , aux mains du président Erdoğan, suit la doctrine du CUP, le « Comité Union et Progrès », parti politique nationaliste créé en 1889, plus connu sous le nom de « Jeunes-Turcs » qui planifia le génocide arménien et mit en œuvre la turquification de l’Anatolie, pourchassant non seulement les Arméniens, mais aussi les Grecs, les Syriaques, les Assyriens et tous les chrétiens. 

« Erdoğan est maintenant dans une coalition avec le MHP, parti ultra-nationaliste (MHP) qui est anti-américain, anti-occidental et anti-laïque. Ils travaillent tous les deux à l’islamisation de la Turquie en adoptant une approche néo-ottomane, qui est une réelle menace contre les peuples kurde, grec, syriaque et assyrien. Regardez comment ils sont intervenus au Liban, en Syrie, en Grèce, en Arménie et dans le sud du Kurdistan. Regardez comment ils s’appuient sur des éléments d’Al-Qaïda et d’autres organisations islamiques radicales. Regardez comment Erdoğan a réagi parce que nous avons défendu les Yézidis à Sinjar« .

Perspectives d’un cessez-le-feu

 « Lorsque nous avons commencé la résistance armée en 1984, c’était quelque chose que nous étions obligés de faire. On ne l’a pas choisie. La Turquie était une dictature militaire et opprimait notre peuple. Mais notre vision a toujours été la lutte non violente. Turgut Ozal [président de la République de Turquie de 1989 à 1993, décédé dans des conditions suspectes, sans doute, empoisonné] a tenté de résoudre la question kurde par le dialogue, mais « l’Etat profond » en Turquie l’a arrêté dans son élan]. Beaucoup de ses assistants, comme Adnan Kahveci et Esref Bitlis, ont été assassinés. Les idées d’Orzal ont été rejetées et l’État turc a commencé une guerre à grande échelle contre nous. Depuis cette date, nous avons pris neuf initiatives de cessez-le-feu. Aucune des négociations avec l’Etat turc ne s’est transformée en accord. Nous avons arrêté les campagnes militaires pendant cinq ans. En 2005, nous avons rencontré une délégation d’anciens fonctionnaires de l’ONU qui travaillaient directement avec moi. Par l’intermédiaire de l’ONU, nous avons rencontré indirectement la Turquie pendant trois ans à Oslo. Pendant que nous nous rencontrions et discutions de la paix, la Turquie, la Syrie et l’Iran ont tous convenu de travailler ensemble contre nous. Cet accord a mis fin au dialogue. En 2012, l’État turc a répondu à l’appel notre dirigeant Öcalan et nous sommes parvenus le 1 mars 2015 à un accord officiel [en dix points] au palais de Dolmabahce : nous avons immédiatement entamé le processus de désarmement. Dix-huit jours après, M. Erdoğan déclarait qu’à sa connaissance il n’y avait pas d’accord, qu’il n’y avait aucun accord. Sur la base de cette déclaration, une autre campagne militaire a commencé contre nous et n’a cessé depuis. Nous préférons le dialogue à la lutte armée mais nous sommes dans la situation de devoir nous défendre ». 

Regard du PKK sur Israël, l’Iran et la Syrie de Bachar el-Assad

A la question sur Israël, Murat Karayılan a déclaré :

« Israël a le droit d’exister et les Juifs d’avoir leur propre État indépendant, tout comme les Palestiniens. Nous soutenons les résolutions de l’ONU visant à résoudre le conflit entre Israéliens et Palestiniens avec une solution à deux États. C’est pourquoi nous sommes d’accord avec ce traité de paix. Nous croyons au confédéralisme pour résoudre les problèmes du Moyen-Orient. Le Moyen-Orient a une population très diversifiée, et nous avons une grande histoire de vivre en paix et en harmonie les uns avec les autres ».

Concernant la Syrie,

«  Les Kurdes de Syrie ont combattu Al-Qaïda et l’Etat islamique et ont joué un rôle clé dans la défaite de ces organisations. Si l’Etat islamique n’avait pas été vaincu à Kobanê et Sinjar, l’Etat islamique aurait pu contrôler toute la Syrie et l’Irak, et mener des raids contre le monde. Les YPG et les YPJ qui ont joué un rôle vital dans cette résistance se sont ensuite associés à des groupes syriaques et arabes. Ils sont tous unis sous les valeurs d’une fédération démocratique non fondée sur l’ethnicité, et ont prouvé qu’ils sont capables de travailler ensemble. Les FDS ont ensuite été créées en tant que coalition militaire multiethnique. Les Kurdes de Syrie et d’ailleurs ont été blessés en voyant les États-Unis les abandonner à Afrin, à Ras al-Ayn et à Tell Abyad. Le nettoyage ethnique effectué est unique à notre époque, avec ces crimes commis par la Turquie, un pays qui est membre et soutenu par l’OTAN. Les Kurdes du Rojava vivent dans une nouvelle ère, mais les menaces sont toujours là, de la Turquie, de l’Etat islamique et du régime syrien de Bachar el-Assad qui refuse toute réconciliation. 

Concernant l’Iran : 

« La Turquie, l’Iran et la Syrie ont toujours travaillé contre nous. La Syrie et l’Iran ont le même programme et la même vision envers les Kurdes. Contrairement à ce que prétend la propagande turque, nous sommes très actifs contre l’Iran, et les Iraniens nous attaquent à maintes reprises. Le PJAK [Parti de la vie libre du Kurdistan] et de nombreux autres groupes kurdes sont actifs contre l’oppression par l’Iran. Nous privilégions toujours la lutte pacifique, que ce soit en Turquie ou en Iran, mais ces pays nous attaquent avec une force meurtrière Nous restons malgré tout favorable à une solution pacifique ».

Abdullah Öcalan

Murat Karayılan parle avec respect d’Abdullah Öcalan avec qui il fonda le PKK en 1978, et le considère comme le guide du mouvement de libération du peuple kurde :

« Lorsque nous avons fondé le PKK, nous avons été influencés par le marxisme-léninisme mais nous avons toutefois critiqué l’idéologie soviétique. C’est pourquoi, nous avons toujours gardé nos distances avec l’Union soviétique. Notre chef, [Abdullah] Öcalan a essayé de résoudre la question kurde avec diplomatie, mais cela a échoué avec son arrestation en 1999. Ce fut une vraie déclaration de guerre contre notre peuple. Si Öcalan n’avait pas été arrêté, la question kurde aurait pu être résolue. Depuis Imrali [où il est emprisonné à vie depuis 1999] Öcalan a révisé bon nombre de nos idées de parti. Il a mis l’accent sur la démocratie, l’environnementalisme et les droits des femmes. Nous sommes toujours prêts pour une solution politique ».

Et de conclure :

« Nous sommes 50 millions de Kurdes dans le monde, et nous ne sommes pas reconnus par l’ONU comme une nation. Les Kurdes se sont révélés être les champions de la démocratie, de la liberté, de la laïcité, de la liberté pour les femmes et ils se sont battus contre tous les types de terrorisme. Nous continuerons à le faire ».

Par André Métayer