L’invasion turque était prévisible
Manifestation contre l'invasion militaire turque à Strasbourg, samedi 12 octobre 2019. Crédit: Jean-Jacques Régibier

La Turquie a attaqué le Rojava, territoire géré démocratiquement par l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES) immédiatement après que Donald Trump ait décidé d’en retirer les troupes américaines et d’ouvrir son espace aérien. Réagissant aux premiers massacres de civils dès le premier jour de l’attaque, nous avons demandé au président de la République de rompre sans attendre les relations diplomatiques et économiques avec la Turquie, d’initier des actions directes visant à protéger les populations des bombardements aériens et à repousser les troupes turques et leurs supplétifs djihadistes hors du territoire de l’AANES. 

La France, l’Europe, par la voix de leurs dirigeants, disent qu’abandonner les Kurdes de Syrie, fer de lance des combats au sol contre les djihadistes du prétendu « Etat islamique » (E.I.) serait une tragédie, qu’il faut arrêter cette guerre et imposer un règlement du conflit par des accords politiques. Nous en avons pris acte, mais nous disons aussi que l’invasion du Rojava (Kurdistan de Syrie) est la suite logique de la dérive autocratique d’un président-dictateur qui remplit les prisons turques de milliers d’universitaires, d’enseignants, de journalistes, d’écrivains, de militaires, de magistrats, d’étudiants, de syndicalistes, d’avocats, de défenseurs des droits de l’homme, de militants et cadres politiques – dont des députés – et qui destitue des maires démocratiquement élus. Toute opposition à son pouvoir absolu, qu’elle soit politique ou armée, est considérée comme “terroriste”. 

Nous n’avons cessé depuis des années d’attirer l’attention sur la situation en Turquie où la démocratie est vraiment en danger. Mais la France et l’Union européenne ont toujours feint de l’ignorer, considérant que la Turquie était un Etat de droit. Leur position concernant le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) tient du sophisme bien connu, “tout ce qui est rare est cher, un cheval bon marché est rare, donc un cheval bon marché est cher” : c’est selon le même raisonnement que le PKK se trouve inscrit sur la liste des organisations terroristes, “toute opposition armée dans un Etat de droit est terroriste, or la Turquie est un Etat de droit, donc l’opposition armée (le PKK) est terroriste.” CQFD.

A l’heure où ces lignes s’écrivent, il est difficile de prévoir une évolution positive de la situation. Les Forces démocratiques syriennes (FDS), fédérant les Kurdes des Unités de Protection du Peuple (YPG·YPJ) et leurs alliés arabes et syriaques, ont conclu un accord militaire avec les forces armées de Bachar al Assad afin d’obtenir la couverture aérienne de l’aviation russe, couverture qui se fait attendre. L’annonce d’une invitation de Vladimir Poutine à son homologue turc, qu’il s’est empressé d’accepter, n’est pas du meilleur augure. Donald Trump semble se réviser et menace à son tour la Turquie de sanctions économiques sévères. Mais quel crédit peut-on apporter à ces tweets présidentiels qui soufflent le chaud et le froid ? Erdoğan excluait hier tout arrêt de l’offensive, aujourd’hui la Turquie annonce la suspension temporaire de son opération contre les forces kurdes pour qu’elles évacuent le nord de la Syrie. Comment les Kurdes pourraient accepter cette capitulation ? Seule la mise en place d’une force d’interposition internationale sous le contrôle de l’ONU serait acceptable pour un peuple qui a perdu 11 000 combattants en luttant pour nous contre l’E.I. 

Et les Européens ? Leur position n’a pas l’air d’effrayer le dictateur de Turquie, qui ne connait que les rapports de force. Il faudra donc hausser le ton et en venir à des gestes plus significatifs, comme rompre les relations diplomatiques avec la Turquie, stopper le partage d’informations stratégiques, demander la suspension de la Turquie de l’OTAN, décider d’un embargo progressif, geler et saisir les avoirs du clan Erdoğan, fournir des armes anti-aériennes et anti-chars aux FDS, comme nous le demandons dans la pétition que nous vous invitons à signer et à faire signer.

Retirer le PKK de la liste des organisations terroristes enlèverait toute légitimité à l’invasion du Rojava par la Turquie, qui justifie son agression au motif que les FDS sont une extension du PKK donc des “terroristes” eux aussi. Le règlement politique souhaité devra prendre en compte la reconnaissance les droits culturels et politiques auxquels les Kurdes aspirent légitimement, en Syrie, mais aussi en Turque et en Iran. La paix est à ce prix.