L’auteur de ce livre « L’homme tempéré » n’est pas un tiède. Elie Guillou, écrivain, musicien, metteur en scène, a trempé sa plume dans le sang, dans les larmes, dans la peur, dans le doute, dans la colère, dans l’amour aussi, face à une situation qui le dépasse et face à l’indifférence qu’elle suscite. Cet écorché vif s’est trouvé plongé dans une aventure qu’il n’avait pas prévue :
« Lorsque Gaël m’a proposé de le suivre dans ce voyage, au Kurdistan, il ne m’a pas parlé de politique. Il a simplement mentionné les Dengbejs, des chanteurs-conteurs kurdes dont la pratique semble proche de ce que je veux faire en France. Il a aussi mentionné, mais sans s’étendre, l’atelier photo qu’il mène avec François, pour l’association des Amitiés kurdes de Bretagne ».
Elie a donc suivi Gaël et François, dont il dira qu’ils forment un couple équilibré de photographes militants « l’un apportant la tenue et l’autre le liant ».
Et en quelques encablures, il se trouve plongé dans une violente manifestation à Diyarbakir pour soutenir une grève de la faim de détenus politiques kurdes, et témoin d’un crime d’une brutalité inouïe. Le choc est rude.
Elie Guillou écrit dans une langue soignée, avec des mots simples, mais choisis, des adjectifs précis, parfois inattendus, qui excite la curiosité, maintient l’attention, envoute le lecteur. Ses faiblesses, ses craintes, ses hésitations, il en fait sa force de persuasion. Ses rencontres sont plein d’humanité… Rojda… dont la musique « filtre » dans son rêve, le vieux dengbej « qui sait déjà comment ça va finir », Jiyan qui lui explique qu’ici, à Diyarbakir, on a un rire particulier, « un rire noir, désespéré ». « Ici le deuil est un travail permanent », lui confiera une mère qui réclame vérité et justice pour son fils disparu. Les explosions de joie le surprennent :
« Depuis de le début de l’hiver, la ville est étranglée. Surprise par l’explosion, l’armée vient de faire son premier geste de recul. Les habitant de Diyarbakir ont appris à profiter de ces instants de stupeur. Leur vie s’infiltre entre les drames comme leur sang entre les pierres. Il n’y a pas une minute à perdre. On s’étire, on sort, on s’aime, on chante on danse, on claque en une soirée les quatre-vingt-dix jours du printemps … on se surprend à croire que les choses en resteront là ».
Il y a aussi Aram, cet ami militant antimilitariste qui soutient le PKK « parce qu’il n’y a pas d’autre solution que la lutte armée pour imposer le désarmement ».
Il y a aussi cet enfant malade, et la tentative d’escroquerie de son père, une blessure assurément : « hormis André et Heyber, je n’ai parlé de mon échec à personne.je me sens trop fragile encore pour exposer cette défaite ».
Dans ce livre, vont se reconnaitre les militants et les militantes kurdes qui ont tout sacrifié pour la « cause » et qui luttent, y compris les armes à la main, pour défendre leurs droits culturels et politiques. Dans ce livre, vont se reconnaitre aussi tous ceux et celles qui militent en faveur de la cause kurde : ils se reconnaitront avec les Gaël, les François, les Ronan, les Mikael, les Dilshad, les Nur, les Maryvonne, les Marie-Suzanne, et tous les autres.
Mais il y a un plus : « L’homme tempéré » fait passer des choses auprès d’un public plus ou moins intéressé par la question kurde, plus ou moins imperméable aux comptes-rendus officiels, aux témoignages « militants » parfois abscons qui n’arrivent pas toujours à convaincre. « C’est exactement ce que j’ai voulu faire. Passer par une approche sensible pour rendre sensibles les néophytes à la présence des Kurdes chez nous et chez eux, et la relation qui nous lie, même dans l’indifférence ».
Ne ratez pas la sortie de « L’homme tempéré » (prévue fin août 2023)
Par André Métayer