Suite à la tentative d'assassinat de dirigeants kurdes en Belgique, les regards se sont tournés vers les réseaux criminels turcs en Europe
Siège de l'agence du renseignement turc (MIT) à Ankara

Alors que le procès concernant la tentative d’assassinat des dirigeants kurdes Remzi Kartal et Zübeyir Aydar se poursuit en Belgique, tous les regards sont à nouveau tournés vers les escadrons de la mort turcs en Europe.

L’Europe est utilisée comme « zone d’opération » par l’État turc depuis plus d’un siècle. De nombreux dissidents y ont été ciblés par les réseaux criminels turcs. L’existence de ces escadrons de la mort remonte aux dernières années de l’empire ottoman. Créée par Enver Pacha, ministre de la guerre de l’empire ottoman connu pour être l’un plus grands protagonistes du génocide arménien, l’Organisation spéciale (Teşkilat-ı Mahsusa) est l’ancêtre des structures souterraines actuelles.

Les noms des escadrons de la mort ont changé, mais leurs méthodes et mentalité sont restées les mêmes. On a essayé de faire taire et d’éliminer les oppositions par l’oppression et les moyens criminels, tant dans le pays qu’à l’étranger. L’Organisation spéciale et ses émanations ont établi une relation symbiotique avec la mafia et les gangs de criminels libérés des prisons. Elles ont mené des activités de contre-espionnage et des assassinats dans le pays et à l’étranger. Cette structure s’est transformée en une machine à crimes en série ; elle a commis l’un des crimes les plus lourds de l’histoire avec le génocide arménien.

La dernière héritière de l’Organisation spéciale est l’Agence nationale du renseignement (MIT) fondée en 1965. Cette structure a créé de nombreux appareils criminels dans le triangle police-armée-gangs criminels. Tous avaient des liens étroits avec les politiciens, les patrons, les juges et les procureurs, les médias ainsi que les milieux sportifs et artistiques. L’un de ces escadrons de la mort était le JİTEM (Service de renseignement et d’antiterrorisme de la gendarmerie), un organisme mobilisé contre les Kurdes. L’existence de ce groupe paramilitaire a été dévoilée surtout avec l’accident de Susurluk en 1996. Abdulkadir Aygan, un ancien membre du JİTEM réfugié en Suède, a également fait des aveux importants sur cette structure. Aygan a raconté avoir participé à nombre d’actes de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées. Suite à ses aveux, une fosse commune a été découverte en 2009.

Accident de Susurluk dans lequel Abdullah Çatlı (photo de droite), chef des Loups gris, a trouvé la mort en 1996

L’accident de Susurluk a non seulement révélé les relations entre l’État, la mafia et les groupes paramilitaires, mais a également donné des informations sur les opérations de l’État à l’étranger. Abdullah Çatlı, mort dans l’accident suspect attribué au JİTEM, était un agent de l’État, un contre-guérillero, un chef mafieux et un membre du Mouvement nationaliste (Ülkücü Hareket), une organisation d’extrême-droite turque dont les membres se font appeler les Loups gris. Il était un « héros » pour les ultra-nationalistes turcs.

Avec l’affaire Ergenekon, les opérations criminelles menées à l’étranger ont également été décryptées. L’organisation Ergenekon, appelée aussi État profond ou Gladio turc, a fait l’objet de poursuites judiciaires dans le cadre d’une lutte pour le pouvoir entre la structure secrète réputée kémaliste et le gouvernement islamiste. Les informations qui ont fuité en 2008 ont montré qu’Abdullah Çatlı avait été recruté par Kenan Evren, chef du putsch de 1980, notamment contre les Arméniens de France dans les années 1980. Selon le rapport de Susurluk, les meurtres et les attentats à la bombe ont commencé le 22 octobre 1983, après un contact entre Abdullah Çatlı et les autorités de l’époque. Dans les années 1980, de nombreux crimes ont été commis sur le territoire français. Cependant, Çatlı a été arrêté une fois, uniquement pour trafic de drogue, en 1984, et envoyé à la prison de la Santé à Paris. Transféré en Suisse, il s’est évadé de façon suspecte de la prison en 1990.

RELATIONS ÉTAT-POLITIQUE-MAFIA

Après l’accident de Susurluk, le Premier ministre de l’époque, Mesut Yılmaz a demandé, sous la pression de l’opinion publique, un rapport d’enquête sur les relations entre l’État, les politiques et la mafia. Dans le rapport préparé par le sous-secrétaire du Premier ministère, Kutlu Savaş, il était dit que des groupes mafieux et nationalistes commettaient des meurtres à l’étranger au nom de l’État, au su du MIT, en prélevant des crédits sur le trésor public.

Mehmet Eymür, ancien chef du département de lutte contre le terrorisme, a reconnu la relation entre l’État et la mafia dans un procès intenté à Istanbul après la publication du rapport. « Nous en avions besoin, à la fois contre les activités de l’ASALA arménienne et contre celles du PKK à l’étranger. Il n’est pas possible pour des hommes normaux de le faire. Nous avions besoin de tueurs à gages », a-t-il déclaré.

Mehmet Eymür, ancien chef du département du contre-terrorisme du MIT

CONFESSIONS D’UN CADRE DU MIT

Dans ses déclarations, Eymür a admis que Hiram Abbas, membre du MİT, et Alaattin Çakıcı, chef de la mafia, avaient tué des Arméniens à Beyrouth, et que Çakıcı était également responsable de l’exécution d’Agop Agopian, un des fondateurs de l’ASALA tué le 28 avril 1988 à Athènes. Selon les déclarations d’Eymür, il y avait dans l’organisation des noms comme Mehmet Ağar, ancien ministre de la Justice et de l’Intérieur, Korkut Eken, commandant des forces spéciales de l’armée turque, et Mehmet Ali Aĝca, auteur de la tentative d’assassinat contre le pape Jean-Paul II à Rome le 13 mai 1981.

Le Pape Jean-Paul II rend visite à son agresseur Mehmet Ali Agca en prison, deux ans après la tentative d’assassinat

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