Détenue par le régime d’Erdogan depuis le 6 novembre 2016, l'ancienne députée HDP Sebahat Tuncel livre ses observations sur la répression politique à l’encontre des Kurdes.
Sebahat Tuncel, ancienne députée du HDP, est détenue depuis novembre 2016 dans les geôles turques

Détenue par le régime d’Erdogan depuis le 6 novembre 2016, l’ancienne l’ancienne députée du Parti démocratique des Peuples (HDP) Sebahat Tuncel livre ses observations sur la répression politique à l’encontre des Kurdes, dans un entretien écrit accordé à l’agence de presse kurde Firat News (ANF).

Sebahat Tuncel a été condamnée en 2019 à 15 ans d’emprisonnement pour « appartenance à une organisation terroriste », une décision qui, par la suite, a été cassée par la cour de Cassation. Un nouveau mandat d’arrêt récemment émis à son encontre dans le cadre de l’enquête dite de « Kobanê » a cependant permis aux autorités turques de la maintenir en détention.

Dans l’entretien écrit accordé à ANF, l’ancienne coprésidente du Parti démocratique des Régions (DBP) et Députée du HDP a parlé du mandat d’arrêt récemment émis contre elle dans le cadre de l’enquête portant sur les manifestations en soutien à Kobanê survenues 6 ans plus tôt, lors de l’invasion de cette ville kurde du nord de la Syrie par Daesh en octobre 2014.

Nous publions ci-dessous un extrait de cet entretien :

« L’enquête dite « Kobanê » et les arrestations qui l’accompagnent sont le résultat de la pratique anti-kurde du gouvernement fasciste AKP-MHP. L’Alliance populaire [alliance électorale formée en 2018 pour les élections présidentielles et législatives entre l’AKP islamiste et le MHP ultra-nationaliste d’extrême droite, ndlr] utilise tout son poids pour empêcher la participation des Kurdes à la définition de nouveaux rapports de force et d’équilibre, remettant ainsi implicitement en cause le statut kurde.

La ligne anti-kurde est au centre de l’action gouvernementale, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Lorsque l’AKP s’est lancé dans l’anéantissement de la société kurde avec son « plan de destruction » en 2014, nous étions au milieu d’un processus de paix. Parallèlement aux discussions avec Abdullah Öcalan sur l’île-prison d’Imrali, l’État turc s’est également assis à la table des négociations avec la délégation du HDP, pour une solution pacifique à la question kurde.

Avec l' »Accord de Dolmabahçe » [plan en dix points définissant le cadre des négociations de paix entre l’État turc et le PKK, ndlr], résultat des pourparlers politiques, une étape importante a été franchie dans la transition vers des négociations directes. Mais Erdoğan a renversé la situation et renforcé l’isolement d’Abdullah Öcalan. Ce faisant, il a fait en sorte que les opinions et les suggestions d’Öcalan ne parviennent pas à la société.

La question kurde non résolue et cette politique d’escalade orientée vers la guerre et les conflits ont mis la Turquie dans une situation économique et politique chaotique. Durant cette phase, l’AKP a utilisé la tentative de coup d’État de juillet 2016 pour réprimer l’opposition sociale, organiser une chasse aux sorcières contre tous les « ennemis » et rassembler tous les pouvoirs entre ses mains à travers la création d’un système présidentiel, institutionnalisant ainsi le « régime d’un seul homme ».

Un mécanisme de répression omniprésent a été mis en place contre l’opposition démocratique, mais surtout contre le peuple kurde. La répression a atteint son point culminant avec la politique de destitution des maires légalement et librement élus. La volonté politique du peuple kurde a été usurpée par le régime de tutelle et l’arrestation de maires élus, de dirigeants de partis et de milliers de fonctionnaires des structures du HDP/DBP.

Ce processus se poursuit encore aujourd’hui. Les prisons du pays sont devenues des camps d’internement pour les Kurdes. L’enquête sur les manifestations de Kobanê et les arrestations six ans après les incidents reflètent essentiellement l’attitude vengeresse de l’AKP envers le peuple kurde. Quand on se remémore cette époque, on se rappelle que le gouvernement a soutenu Daesh et d’autres groupes radicaux de toutes les manières possibles, afin de saper les acquis du peuple kurde au Rojava. Le monde entier est conscient de ce fait et de nombreux États disposent de documents qui prouvent ce soutien.

Malgré le soutien de la Turquie à Daesh, le peuple kurde a fait preuve d’une résistance admirable et vaincu les mercenaires de Daesh coupables des pires crimes contre l’humanité. Partout dans le monde, les gens ont manifesté leur solidarité avec cette résistance, car la résistance de Kobanê a créé un nouvel espoir pour tous les peuples de la planète.

Le 1er novembre a été déclaré Journée mondiale de Kobanê. À l’époque, l’AKP était furieux que la solidarité de la communauté internationale soit dirigée vers la résistance de Kobanê. Car c’est le peuple de Kobanê et le peuple kurde qui ont gagné – les perdants ont été l’AKP et sa politique. Même si l’AKP a assuré à plusieurs reprises être contre Daesh, sa pratique montre exactement le contraire. Lorsque Recep Tayyip Erdoğan a déclaré avec satisfaction, en octobre 2014, dans un discours prononcé à Gaziantep lors de la bataille défensive contre le siège de Kobanê, que la ville était « sur le point de tomber », il a exprimé son véritable souhait. »