La décision de Trump d’enterrer l’accord sur le nucléaire iranien risque de conduire à une aggravation des tensions. Les différents puissances régionales et internationales présentes se préparent à un affrontement. On peut au moins en différentier un centre plus ou moins stable : un bloc Iran/Russie, un bloc États-Unis/Israël auxquelles sont entrain de s’attacher l’Arabie Saoudite et l’Égypte et un bloc qui fait cavalier seul et qui joue sur tous les tableaux : le bloc Turquie/Qatar. Bien entendu les États-Unis jouent un rôle dans ce dernier mais de façon de moins en moins important. Cela arrive à un moment où la quasi-totalité des troupes des rebelles islamistes sont tombées en Syrie, en particulier au nord de Homs et autour de Damas. 
Que peuvent faire les États-Unis après la fin de l’accord ? 
La décision de Trump de mettre fin à l’accord sur le nucléaire ne peut qu’entraîner de lourdes conséquences. En effet, il avait été mis en place pour lever les sanctions qui pèsent sur l’Iran au plus grand bénéfice des grandes entreprises, en particuliers européenne, et de l’économie iranienne. En ralentissement le moment où Téhéran obtiendrait la bombe. (L’objectif n’avait pas pour objet d’interdire à Téhéran d’obtenir une force de frappe nucléaire ad vitam aeternam ). Pour faire plier les états européens, Washington a une arme imparable : le dollar. La quasi-totalité des échanges internationaux se faisant avec leurs monnaies, ils ont un pouvoir de pression évident. Surtout depuis qu’ils ont fait adopté une loi qui leur permet de juger et de punir tout échange monétaire fait avec le dollar et cela même en-dehors des États-Unis. L’exemple français illustre la question. BNP Paribas a fait transiter de l’argent de plusieurs États sous embargo américain, dont l’Iran. Elle a plaidé coupable et a été contrainte à payer une amende de près de 9 milliards de dollars pour pouvoir continuer à travailler avec les américains. Les grands groupes français ont su tout de suite que l’accord serait validé malgré une opposition des États européens. Ils ont donc commencé à se retirer, à commencer par Total qui avait pourtant des intérêts considérables à être en Iran, première réserve gazière et quatrième réserve pétrolière mondiale. Les entreprises françaises avaient en plus fortement bénéficié de la levée de l’embargo avec plusieurs de milliards de contrat signés avec l’Iran dans de nombreux domaines. D’où l’obstination du gouvernement français, avec d’autre gouvernements européens, a essayé de bloquer l’accord à tout prix malgré des chances quasi-nulle.
Donc quelles alternatives restent-t-ils ? Mike Pompeo, le secrétaire d’État des États-Unis en charge des affaires étrangères, connu pour ses positions anti-iraniennes, a posé les conditions pour un nouvel accord. Elles sont inacceptables pour Téhéran tout comme le retrait intégral des troupes iraniennes de Syrie. Le secrétaire d’État a continué à affirmer avec véhémence que l’Iran connaîtra les pires sanctions. Israël et l’Arabie Saoudite ont applaudis avec ferveur cette déclaration. Israël l’a fêté à sa manière en bombardement lourdement la Syrie. Du faite qu’il n’y aura pas de négociation, que compte donc faire les États-Unis et ses alliées ?
Le leader mondial a un problème : alors qu’il souhaite porter les coups les plus durs à l’Iran, il tend à se retirer du Moyen-Orient. Les opinions publiques américaines sont largement défavorables à une intervention armée de grande ampleur. L’option d’une intervention directe semble peu probable, à court terme du moins. Il va leur falloir s’appuyer sur des acteurs locaux. Vue qu’une attaque sur le sol iranien semble peu probable à court terme, le plus pertinent semble de combattre les extensions régionales iraniennes, principalement présentes en Syrie, au Liban et en Irak. Au Yémen de façon plus secondaire, les houthis ne sont pas la priorité des Ayatollah. Il n’y a pas d’intérêt vital de l’Iran au Yémen. Par contre l’intérêt de garder le contrôle, ou du moins une influence importante, sur un axe allant de l’Irak au Liban avec un accès à la méditerranée est très important pour l’Iran pour des raisons géopolitiques et économiques. Cela permet un accès plus direct à Israël avec un régime qui lui est totalement dépend, l’État syrien, lui offre un moyen de pression et de propagande. De plus, L’Iran a bien l’intention de garder le contrôle des routes des pipelines. Car pour atteindre l’Europe, les pipelines doivent forcément passer par ces zones.  C’est sur cette axe que les efforts de ses ennemis vont se porter.

Au niveau des puissances, l’Arabie saoudite s’est déjà enlisée au Yémen, et son allié Emiratis s’est d’ailleurs montré plus performant. On est loin d’avoir une armée avec une grande force de frappe extérieur, elle n’est pas réputé pour sa discipline ni son efficacité. L’Arabie Saoudite fait plus figure de force militaire d’appoint.  Pour l’Égypte, une intervention extérieur paraît difficilement envisageable malgré son rapprochement avec les wahhabites contre les frères musulmans. Israël est parait donc beaucoup plus redoutable. Sa force de frappe est beaucoup plus importante, seule puissance nucléaire du Moyen-Orient, elle est capable de mener des interventions lourdes et d’occuper des territoires proches, comme le Liban ou le sud de la Syrie. Mais cela laisse un grand vide. Par conséquent, il va falloir que les États-Unis s’appuient sur des solutions plus radicales et d’autres acteurs pour mettre en difficulté l’Iran sur un axe qui se consolide de jour en jour.

La première faille est dans le bloc Iran-Russie lui-même. La Russie n’a pas exactement les mêmes intérêts que l’Iran. Déjà d’un point de vue historique, la relation entre les deux empires a été très tendu. Mais plusieurs choses différencient les intérêts de l’Iran. D’abord comme on l’a vue lors de l’invasion d’Efrin, l’avancée turque inquiète beaucoup plus l’Iran que les russes eux-mêmes. Cette intervention menace directement les positions de l’Iran sur Alep. Ensuite au niveau du gaz, la Russie est la deuxième réserve mondiale de gaz, elle est la principale exportatrice de gaz en Europe, elle en tire environ 30% de ses revenus et représente pour 24% de son PIB. C’est donc vital pour la Russie de maintenir son quasi-monopole ainsi que de multiplier les routes d’approvisionnements quand il y a des problèmes d’instabilité politique dans l’Est de l’Europe. Récemment le président turc a signé avec Poutine un accord pour construire un immense Pipeline passant par la mer noire jusqu’à la Turquie, assurant ainsi la continuité de son monopole sur l’Europe si le projet se réalisait. Bien sûr la construction d’un Pipeline concurrent partant du Qatar ou de l’Iran n’arrange pas ses affaires. Par conséquent, plus la situation dans ces pays reste instable, plus la concurrence évite ces zones. En d’autres termes, son rapprochement avec l’Iran est surtout lié à des intérêts géostratégiques pour garder une présence en Syrie ainsi qu’une influence sur la région. Plus récemment la Russie a même manifesté son intérêt pour Israël dans sa demande concernant les troupes encadrées par l’Iran qui s’éloignent le plus loin possible du plateau du Golan. Le bloc est donc fragile.

Une autre faille se trouve au Qatar. Ce minuscule État est assis sur la troisième réserve gazière mondiale, loin devant l’État saoudien. Ce dernier l’a bien compris, mais plus important encore, le gisement en question est partagé avec l’Iran. Par conséquent avoir accès au gaz du Qatar c’est avoir accès à celui de l’Iran. Mais le Qatar a des relations de bon voisinage avec l’Iran qui se partagent aimablement l’immense pactole. D’où la véhémence de l’Arabie Saoudite et de ses alliées, à commencer par les États-Unis, pour faire pression sur le Qatar au point de le menacer militairement. Bien que l’Arabie n’aime pas son voisin pour son soutien indéfectible aux frères musulmans qu’elle perçoit comme une menace, faire plier le Qatar ou l’envahir pourrait permettre de faire d’une pierre deux coups : avoir accès à l’immense gisement de gaz tout en bloquant l’accès à l’Iran, frappant ainsi son portefeuille. Le Qatar s’est donc mis sous la protection d’une autre puissance, allié aux frères musulmans : la Turquie.

Étrange allié qu’est la Turquie. Ce pays sulfureux, en pleine crise économique et politique qui va de mal en pire. Pour les États-Unis, il s’agit d’une grande déception.  La Turquie s’est avérée être un allié pas très satisfaisant contre l’Iran. Pendant le premier embargo, Ankara a aidé à effectuer des transactions venant de Téhéran sur son territoire au profit de la famille du président turc. L’homme d’affaire Reza Zarrab jugé aux États-Unis, il a plaidé coupable d’avoir contourné l’embargo. Il a expliqué en détail comment il avait reçu l’autorisation du président Recep Tayyip Erdogan. Ce dernier n’a pas hésité à protégé le Qatar et à déployer ses forces là-bas, probablement dans l’espoir de peser dans les négociations gazières. Il s’est équipé de missiles antiaériens de dernière génération, les S-400, venant de l’ennemi russe plutôt que d’acheter du matériel de l’OTAN. Allant jusqu’à régler à l’amiable ses contentieux avec l’Iran en Syrie lors de sommet à Astana, doublant les grandes puissances occidentales. Les États-Unis savent bien qu’ils ne peuvent pas compter sur la Turquie pour parvenir à leurs objectifs. Mais il ne s’agit pas là du principal problème, le président turc est allé jusqu’à menacer les intérêts américains. Il a de nombreuses obsessions, dont nous avons la volonté de rétablir l’empire Ottoman et celle d’écraser les kurdes. En vue d’avoir plus d’influence, il a semé le chaos en Syrie par l’intermédiaire de nombreuses milices islamistes comme l’EI. Obsédé par l’idée de faire tomber Bachar El Assad et mettre fin au projet d’autonomie kurde au nord de la Syrie, il a armé, financé, entraîné et entretenu l’EI. Le résultat est bien connu : l’EI s’empare de vaste territoire jusqu’à menacer les précieux intérêts des grandes puissances internationales qui se retrouvent obligées d’intervenir massivement pour stopper l’organisation. Les États-Unis ont été obligés de revenir dans un Moyen-Orient qu’ils avaient voulu quitter pour nettoyer « la merde » de leur allié turc. Ce dernier faisant tout pour bloquer les offensives contre l’EI en particulier en Syrie, allant jusqu’à restreindre l’accès à la principale base de l’OTAN de la région sur son territoire : Incirlik. C’est là que les kurdes syriens avec les YPG/YPJ (Unités de Défense du Peuple/Unités de défenses des Femmes) entrent en scène comme seul partenaire contre Daech.

Les États-Unis, la question kurde et l’Iran

Les kurdes ont la particularité d’être présents au Liban, en Syrie, en Irak et au cœur de la bête, en Iran. Ainsi sur l’axe que les États-Unis veulent attaquer. Au Liban il constitue une petite minorité qui fut très active historiquement notamment avec l’organisation Xoybûn et qui a occupé une place importante dans l’entraînement de certaines guérilla kurdes dans la vallée du Bekaa. En Syrie, les Forces Démocratiques Syriennes(FDS), dont l’épine dorsal sont les YPG/YPJ occupent plus du quart de la Syrie et sont sur la majeur partie des gisements pétroliers syriens. En Irak, ils occupent de vastes territoires montagneux mitoyens de la frontière iranienne et exactement de l’autre côté il y a encore de fortes populations kurdes se comptant par millions. Nous pouvons aisément comprendre qu’avoir les  kurdes de son côté dans la lutte contre les Ayatollah risquent de devenir extrêmement stratégique. Les mauvaises langues parlent de chair à canon parfaite : peuple de guerriers déterminés et prêts pour la guerre ! Mais il y a un bémol pour les États-Unis : la Turquie, et dans une moindre mesure l’Irak, ne veulent pas en entendre parler. C’est beaucoup plus juste quand on leur parle du PKK ou des YPG/YPJ.

Comment Washington fait pour retenir les turcs de ne pas (trop) s’arranger avec les iraniens et les russes tout en utilisant les kurdes pour contrer l’influence de l’Iran autant que possible ? En distribuant les points à tout le monde, un coup ils arment les YPG/YPJ massivement. Puis après ils offrent Afrin aux turcs, une fois les opérations contre l’EI presque terminées. Et voilà comment on maintien un équilibre fragile quand on compte garder la Turquie dans l’OTAN tout en utilisant ce qu’elle considère comme son pire ennemi pour réparer les erreurs de l’État turc. Tout en mettant la pression pour obtenir des gages comme les menaces de la part de certains sénateurs américains de pas livrer leur dernier avion de combat, le F-35 remplaçant du F16, à la Turquie. En retour, la Turquie menace de s’équiper avec des avions russes. Cette position d’équilibriste instable est difficile, alors comment en sortir ?

En échange de leur laisser faire d’Afrin, l’État syrien et ses alliées russes et iraniens en on finit avec les nombreux groupes de rebelles islamistes de Damas et à Homs. Les territoires intérieurs du régime stabilisé, celui-ci a de moins en moins de possibilité d’offensive sans rentrer en confrontation directe avec un État adverse. La situation dans la poche de Deraa, dernière grande poche au sud du pays et point de départ de la rébellion, a montré la complexité de la suite des opérations. Après un lâché de tract massif par l’État syrien pour appeler les rebelles à se rendre Israël a crié au scandale, demandant qu’aucune troupes iraniennes ou affilié, comme le hezbollah, ne s’approche à moins de 50 km du plateau du Golan a annexé illégalement depuis 1981. La Russie et les États-Unis ont soutenu l’initiative. Le régime syrien est en difficulté. Il manque cruellement de troupes, et en particulier de troupes expérimentées et déterminées comme le Hezbollah ou les gardiens de la révolution iraniens. Prendre Deraa sans le soutien de l’Iran s’avère être compliqué. Par conséquent, un assaut sur Deraa occasionnera des conséquences de part et d’autre. Autre possibilité, attaquer Idlib, Afrin ou Shebah plus au nord, contrôlé par les plus radicaux des islamistes, et y confronter la Turquie qui y installe ses bases. S’attaquer au FDS au nord-est pour prendre Rakka ou les champs pétroliers de Deir-Ezzor risquent de tourner au vinaigre avec les Etats-Unis qui n’hésiteront pas une seconde à bombarder massivement les troupes du régime comme ils l’ont déjà fait. De plus la Turquie menace de prendre Manbij aux FDS, ce qui renforcera l’encerclement d’Alep. Le régime a peut-être plus intérêt dans l’immédiat à passer des arrangements avec les FDS pour stopper l’expansion turque. Les États-Unis ne souhaitent évidemment pas que les FDS passent des accords avec l’État syrien, proxy de l’Iran. Donc chaque nouvelle offensive est un baril de poudre près à exploser.

L’Irak avec les dernières élections qui ont vu la victoire de Moqta al Sadr, clerc chiite islamo-nationaliste financé par les saoudiens sunnites et qui avait autrefois combattu militairement les États-Unis. Opposé à l’Iran et appelant au départ de Bachar El Assad ne doit pas rassuré l’Iran dont les candidats sont arrivés en deuxième position à l’élection. Il n’empêche un nouveau conflit en Irak serait extrêmement destructeur sachant que l’Iran contrôle une grosse partie des milices chiites du pays et à une grosse influence sur l’appareil d’État.

Pour les États-Unis, il s’agit donc d’affaiblir l’Iran en priorité dans les différents pays où il est présent et un maillon faible se trouve en Syrie où l’État syrien se retrouve en difficulté pour lancé ses offensives. Les kurdes et leurs alliés arabes et syriaques habitent à l’extrême nord du pays et contrôlent plus d’un quart de la Syrie ainsi que la production agricole et pétrolière. Ils possèdent une armée disciplinée, prête à l’emploie. La volonté de désengagement des États-Unis, qui doivent continuer à voir des soutiens locaux contre l’Iran, va passer par la transmission d’une partie des risques et des enjeux à ses alliées. La France en particuliers.

La France est le pays européen le plus libre pour agir. Contrairement à l’Angleterre et l’Allemagne, elle consomme beaucoup moins de gaz que ces deux pays et est donc moins dépendante de la route des pipelines. De plus ses sources sont diversifiées (environ 40% de son gaz vient de la Norvège, 10% à 20% de la Russie, puis des Pays-Bas, de l’Algérie…) contrairement aux gros consommateurs de gaz pressés de diversifier leur source d’approvisionnement. Le passage d’un pipeline en Anatolie l’affecte donc beaucoup moins et ainsi le gouvernement français a plus de marge vis à vis de la Turquie. Elle garde une autonomie stratégique grâce à une puissance force armée et souhaite revenir dans le Moyen-Orient. Historiquement allié aux kurdes, l’État français a été chassé de la région après la seconde guerre mondiale. Il est aujourd’hui le deuxième fournisseur en arme des FDS. L’opinion publique soutien largement le combat des kurdes et dans le même temps les populations locales souhaitent un soutien français pour les défendre. Les États-Unis sont d’accords pour donner plus de responsabilité à la France spécifiquement au Rojava. Les patrouilles communes à Manbij des forces armées américaines et françaises pour s’interposer entre les FDS et les turco-djihadistes sont là pour en témoigner. Cela a fait suite à une délégation officielle du Rojava reçu à l’Élysée. La responsabilité grandissante de l’État français dans la région a même été acté par une visite à Washington de Macron. Quelques temps auparavant une discrète délégation française était venue négocier avec les États-Unis leur insertion dans le jeu syrien à travers les FDS. Ainsi les États-Unis se retrouvent moins en confrontation direct avec la Turquie, laissant cela à la France, et ils peuvent rester plus en retraits de la région tout en perpétuant leur guerre par procuration.

La question de Manbij va déterminer si le gouvernement français, qui ne s’est pas prononcé pour le moment, est un soutien plus fiable que les États-Unis. De nombreux médias annoncent que l’administration Trump cherche à trouver un accord au dépend des populations locales et au profit de la Turquie. La réaction française peut être déterminante.

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