Le Centre des études stratégiques du Rojava a organisé une conférence dans les environs de Qamishlo. Plus de 200 personnalités, incluant des politiciens des chercheurs et des représentants de la société civile de nombreux pays, ont participé à la conférence qui avait pour objet l’Organisation de l’état islamique (OEI) et la lutte contre les djihadistes et leur idéologie.
Lors de la conférence on a pu entendre de nombreux témoignages des victimes de Daech dont celui d’une femme yézidie dont la famille a été massacrée : « Les enfants ont été tués, car ils étaient considérés comme des koufars. Les djihadistes ont torturé et tué beaucoup de femmes. Des milliers d’entre elles ont disparu ou n’ont pas survécu. Certaines ont été vendues comme esclaves sexuelles. Lorsqu’elles se trouvaient à proximité de membres de Daech qui les retenaient prisonnières, elles ont été tuées par des frappes aériennes de la Coalition. »
Maaz al-Kassasbeh, le frère du pilote Jordanien qui a été brulé dans une cage de fer par les djihadistes en 2015, a fait part de sa souffrance et de sa douleur ainsi que celle de sa famille. Celle d’un peshmerga a raconté les atrocités qu’a subi leur fils, exécuté sauvagement. Une victime du 13 novembre, Inès Daïf, est également venue témoigner.
Parallèlement aux témoignages, un programme d’analyse a été mis en place afin d’essayer de comprendre pourquoi le « phénomène » Daech a réussi à prendre une telle ampleur. Pour Fahim Tashtakin, journaliste et écrivain, expert en politique étrangère de la Turquie : « La Turquie a apporté un soutien à certains groupes de terroristes, et cela dès 2011. Ils ont reçu de grandes quantités d’armes. La Turquie les a soutenus contre les Kurdes en leur apportant une aide logistique par l’intermédiaire du MIT, (Millî İstihbarat Teşkilatı), son service de renseignement. C’est dans ce contexte que des groupes comme Al Qaïda et Daech ont pu émerger. Erdogan a comme ambition d’empêcher les Kurdes de Syrie de réaliser leur projet de société. Les groupes djihadistes installés à Afrin appliquent la même politique avec la même violente détermination que Daech. »
Au sujet des femmes, Amy Austin Homles, universitaire du Caire, a déclaré : « La première chose à laquelle s’attaquent les djihadistes, c’est l’indépendance des femmes. Ils interdisent l’éducation et les marient afin de les contrôler. Ils réduisent leur possibilité de déplacement. ». Berivan Muhammed Yunis, jinéologiste (la « science des femmes » en kurde), souligne que : « Le but de Daech est de contrôler le corps de femmes de façon à détruire les communautés. Les djihadistes s’emploient à réduire les femmes en esclavage. Ils les détruisent physiquement et intellectuellement pour atteindre cet objectif. Ils s’efforcent d’abolir tout esprit de résistance chez elles pour n’en faire que des instruments aux mains des hommes afin de satisfaire leurs désirs sexuels. Ils s’acharnent à briser leur détermination. »
Mamoud Nurî, porte-parole des Unités de protection du peuple (YPG) insiste : « Nous avons combattu Daech, ce néo-fascisme, mais maintenant nous avons besoin de débattre de la situation de ces milliers de terroristes qui, avec femmes et enfant, sont encore dans des camps. La Turquie les a soutenus et elle continue à le faire à Idlib, à Afrin ou encore à Al-Bab. Nous devons appliquer les conventions internationales pour aboutir à un règlement de la situation qui respecte les droits humains. Nous avons détruit Daech. Il nous faut maintenant préparer la suite. »
Lors de la conférence, des interventions ont aussi mentionnées la lutte contre Daech. Les intervenants n’étaient uniquement des victimes mais aussi des résistants. Zozan Sima, une autre jinéologiste, a pris la parole : « La révolution des femmes passe par la démocratisation des familles. Il faut résoudre les contradictions à l’intérieur de la société. Pour ça, il faut que les femmes s’auto-organisent et préparent leur propre protection contre les discriminations. » Les femmes yézidies sont venues expliquer qu’elles ont créé une organisation d’auto-défense armée, les YBJ.
Wladimir van Wilgenburg correspondant et analyste spécialisé sur les questions kurdes, a affirmé que : « Les attaques en Europe des groupes djihadistes ont diminué depuis les nombreuses défaites de Daech, notamment depuis la perte de Manbij. » Cette ville – proche de la frontière turque – avait été le siège des terroristes préparant les attentats du 13 novembre à Paris.
La lutte contre Daech en Syrie n’a pas seulement protégé les populations locales mais aussi l’ensemble du monde à commencer par l’Europe, cible prioritaire des djihadistes. La défaite territoriale de Daech ne signifie pas la fin des actions terroristes. En effet, l’idéologie djihadiste imprègne encore de grandes parties du territoire occupés par les Forces démocratiques syrienne(FDS). L’aide internationale s’amenuise. Dans les zones comme Idlib ou Afrin, passées sous le contrôle de la Turquie par l’intermédiaire de milices islamistes, l’idéologie mortifère des djihadistes est toujours à l’œuvre.
Pour de nombreux imams présents à la conférence, la solution est celle d’un « islam démocratique ». Une version de l’islam compatible avec les valeurs de la démocratie, passant, notamment, par le respect de la liberté de conscience et par des prêches enseignant la paix et la tolérance.
Luqman Khider Iibrahim, avocat du Rojava plaide pour un tribunal international : « Des djihadistes de différentes nationalités sont responsables de crimes particulièrement graves, comme des tentatives de génocides ou encore de crimes contre l’humanité. Ils doivent comparaître devant un tribunal international. » Dominique Inchauspé, professeur de droit à l’Université de Paris, greffier à la Cour pénale internationale à la Haye, ajoute une donnée importante : « Nous ne pouvons nous satisfaire d’une simple cour pour juger les djihadistes. Pour créer une cour internationale nous avons besoin de nous appuyer sur les résolutions des Nations Unis. La Coalition ayant eu en charge la lutte contre Daech, elle doit utiliser les résolutions de l’ONU pour constituer un tribunal international. » Pour aboutir à ce résultat, il faut une reconnaissance de la Fédération démocratique de la Syrie du nord et de l’est. Toujours Dominique Inchauspé : « Il y a un état de fait au nord de la Syrie qui peut déboucher sur la reconnaissance d’un État de droit, car il y a un territoire avec une population et un gouvernement indépendant. Par conséquent, il y a une légitimité pour constituer soit un tribunal local, soit un tribunal international. »
En effet, l’organisation d’un tribunal international au Rojava n’est pas tant une question juridique – qui peut facilement être résolue selon Dominique Inchauspé – qu’une question politique. Qui est le mieux à même de juger les crimes de Daech que ceux qui l’ont subi puis vaincu ? Le Rojava sera-t-il enfin reconnu pour ce qu’il est : un territoire autonome en pointe en lutte contre les djihadistes ? N’est-il pas temps de juger les djihadistes enfermés dans des camps pour les atrocités qu’ils ont commises afin de pouvoir tourner la page ?