Certains des soldats et policiers turcs prisonniers du PKK avaient averti dès 2018 que la Turquie les mettait en danger.
Dans un entretien avec l'agence de presse Firat News en juin 2018, neuf des policiers et soldats détenus par la PKK, tous tués récemment dans l'opération de l'armée turque à Garê, avaient accusé le gouvernement turc de les ignorer

Certains des soldats et policiers turcs prisonniers du PKK, tués dans l’attaque aérienne de l’armée turque sur la région de Garê, avaient averti dès 2018 que l’État turc ne se souciait pas de leur vie et les mettait en danger.

L’armée turque a bombardé, entre le 10 et le 14 février, un camp qui abritait des soldats et policiers turcs faits prisonniers par la guérilla kurde, dans la région de Garê, au Sud-Kurdistan (Irak). Treize prisonniers sont morts suite aux bombardements. L’État turc et les médias pro-gouvernementaux ont accusé le PKK d’avoir tiré sur les prisonniers. Le commandement de la guérilla a cependant déclaré que, contrairement aux affirmations de la Turquie, il ne s’agissait pas d’une « opération de libération, mais d’une opération d’extermination », accusant le gouvernement turc d’imputer son crime de guerre à la guérilla et de masquer ainsi sa défaite à Garê.

Vaines tentatives de médiation de l’IHD

Au cours des dernières années, l’État turc a systématiquement ignoré les efforts des organisations de défense des droits humains et des proches pour libérer les prisonniers, de même que les appels de ces derniers. À maintes reprises, l’Association des Droits de l’Homme de Turquie (IHD) avait proposé sa médiation pour faire libérer les prisonniers, sans jamais obtenir de réponse de l’État.

Lors d’une conférence de presse organisée à Ankara par l’IHD, avec les familles des prisonniers, en mai 2019, Öztürk Türkdoğan, Coprésident de l’organisation de défense des droits humains, avait, une énième fois, proposé aux autorités turques la médiation de l’association, rappelant que celle-ci avait permis en 2015 la libération de 20 douaniers turcs capturés par les Forces de Défense du Peuple (HPG, branche armée du PKK).

Rappelant que l’association avait organisé de nombreuses conférences de presse avec les familles des soldats et policiers concernés, M. Türkdoğan avait ajouté que maintes rencontres avaient eu lieu avec des responsables de l’État pour leur demander d’agir en faveur de la libération des prisonniers. « Cependant, rien n’a été fait malgré les discussions des familles avec le Premier ministre et les membres du gouvernement », avait-t-il déclaré.

Le père d’un prisonnier du nom de Müslüm Altıntaş avait également pris la parole lors de la conférence de presse : « J’ai élevé mon fils et je l’ai envoyé à l’armée. Cela fait quatre ans. Quelle cruauté ! Si je m’adressais à un mur, il comprendrait ; mais ceux qui sont en face de nous n’entendent pas, parce qu’ils n’ont pas de sentiments. Je m’adresse au gouvernement, quelles sont vos intentions ? Voilà quatre ans que ces gens tiennent en captivité tes soldats et tu continues à ne pas vouloir négocier. Doivent-ils mourir ? Après ça, vous allez organiser pour eux une cérémonie officielle et leur décerner des médailles ? Allons, arrêtez de nous prendre pour des enfants. »

« Pour le régime fasciste, la vie humaine n’a aucune valeur »

Un commandant des HPG, Mahir Deniz, avait averti dans un communiqué publié par l’agence de presse Firat News (ANF) le 17 septembre 2019, que l’État ne faisait rien pour les détenus et tentait au contraire de les éliminer. « L’Etat turc agit comme si ces policiers, ces soldats et ces agents du MIT n’existaient pas, il les ignore », avait déclaré le commandant. Et d’ajouter : « L’État turc a même tenté de localiser leur position à plusieurs reprises dans le passé pour les tuer avec des frappes aériennes ciblées. L’intention derrière cela est évidente. Le gouvernement veut tuer ces hommes pour ensuite imputer leur mort au PKK. Pour le régime fasciste, la vie humaine n’a aucune valeur. Seules les familles des prisonniers se préoccupent de leur sort. Cette attitude du régime turc était déjà évidente en 2008 ». « Il aurait été préférable qu’ils soient morts », avait alors déclaré le gouvernement, après la capture de huit soldats par la guérilla dans la région d’Oremar.

Le 7 juin 2018, neuf des soldats et policiers faits prisonniers par le PKK, aujourd’hui décédés, avaient, dans un entretien avec ANF, accusé l’État de les ignorer. Nous publions ici les déclarations de quelques-uns.

« Personne ne se soucie de nous »

Sedat Sorgun : « Je suis d’Erzurum, j’ai effectué mon service militaire dans la prison de type F à Van. Le 13 août, j’ai été capturé par des guérilleros du PKK. Je suis ici depuis environ trois ans. Nous sommes en bonne santé pour le moment. Il n’y a pas de gros problème. Nous savons que les partis d’opposition, le gouvernement et l’armée turque ne nous ont pas recherchés. Nous savons que personne ne se soucie de nous. Il y a des élections en Turquie le 24 juin. De nombreux candidats sont en lice pour le poste de président et de député. Ce que nous entendons à la radio le montre. Ils font comme si nous n’existions pas. Quel problème a été résolu par la force de l’arme jusqu’à présent ? Comment le problème kurde va-t-il être résolu ainsi ? Maintenant que nous sommes en période électorale, nous espérons que ces images attireront leur attention. »

Ümit Gıcır : « Je suis de Balikesir. Le 21 septembre 2016, j’ai été capturé lors d’un contrôle routier du PKK entre Hakkari-Çukurca. Je travaillais alors au commandement de la gendarmerie du district de Çukurca.

Nous appelons les politiciens, les organisations non gouvernementales et les représentants du gouvernement à agir pour nous. 

Quelle que soit votre orientation politique, faites quelque chose pour nous. Les associations de défense des droits humains ou les organisations de la société civile doivent intervenir. Nous voulons que le gouvernement, le CHP et le HDP, ainsi que tous les autres, agissent pour nous. Nous attendons également de nos familles qu’elles fassent quelque chose. »

Adil Kabaklı : « Je suis ici depuis environ trois ans. Jusqu’à présent, rien n’a été fait pour notre libération. Nous écoutons la radio depuis trois ans, et jamais personne n’a parlé de nous. L’AKP, le CHP, quel que soit le parti politique, nous nous adressons à tous d’ici. Pourquoi ne faites-vous rien pour nous ? »

« Ne sommes-nous pas leurs soldats, leurs policiers, leurs fonctionnaires ? »

Sedat Yabalak : « Je viens de Mersin, je suis policier. J’étais en service à Urfa. Le 28 juillet 2015, j’ai été capturé sur la route entre Diyarbakır et Lice. Depuis lors, je suis aux mains du PKK.

Je m’adresse à l’Etat. Il devrait faire quelque chose pour nous car jusqu’à présent, nous n’avons rien entendu. Je me demande si nous devons être des commandants de haut rang, des gouverneurs ou des personnes très riches pour qu’ils fassent quelque chose pour nous. Que sommes-nous censés faire et pourquoi sommes-nous ici ? Ne sommes-nous pas leurs soldats, leurs policiers, leurs employés ? »

Süleyman Sungur : « Je viens de Siirt. J’étais soldat à Bingöl. J’ai été arrêté par le PKK sur la route entre Diyarbakır et Lice lors d’un contrôle routier. Je suis emprisonné depuis trois ans. Que ce soit le CHP, le MHP, l’AKP ou le HDP, nous attendons quelque chose de ces partis politiques. De mois sont passés sans aucune nouvelle de nos parents. L’État et les partis ne doivent pas nous ignorer, nous avons des attentes vis-à-vis d’eux. Cette guerre dure depuis 40 ans et n’a donné aucun résultat. Elle n’a fait que causer des morts. Nous voulons la paix. Nous ne voulons pas voir mourir davantage de personnes. Nous voulons retrouver nos familles. »

Hüseyin Sarı : « Je suis de Maraş. J’étais en poste à Kars-Sarıkamış en tant que sous-officier. Le 13 août 2015, j’ai été arrêté alors que je me rendais de Sarıkamış à Maraş. Mon mariage devait avoir lieu le 16 août 2015. Sur le papier, je suis marié depuis trois ans, mais ma femme et moi n’avons pas encore eu de cérémonie de mariage, nous sommes séparés depuis trois ans. Je ne sais pas comment vont ma famille et ma femme maintenant. Personne ne nous a défendus ni demandé notre libération ces dernières années. Nous sommes aujourd’hui en juin 2018. Après tout ce temps, nous ne savons pas si des initiatives ont été prises en notre faveur ou non. Nous n’avons rien entendu à cet égard. »