André Hébert est un jeune français qui a rejoint le YPG au Rojava, une première fois entre juillet 2015 et avril 2016 puis entre juin et décembre 2017. Il a écrit un récit passionnant de ces mois de combats aux côtés des combattant-e-s kurdes et arabes contre l’ennemi commun, Daesh. Son livre, « Jusqu’à Raqqa », paru aux éditions Les Belles Lettres, explique les raisons de son engagement et décrit son vécu dans les rangs du YPG et des FDS. Nous l’avons rencontré à Paris.
André Hébert, qu’est ce qui vous fait vous enthousiasmer pour la cause du Rojava ?
Le déclic pour moi a été la bataille de Kobané. J’étais d’abord admiratif devant le courage des défenseurs de Kobané, je me suis renseigné sur pourquoi les Kurdes se battaient, quelle idéologie les motivait et je me suis rendu compte que dans les grandes lignes leur vision était très proche de la mienne. Je me définis comme communiste révolutionnaire et je m’étais souvent lamenté sur l’absence de révolutions en ce début de XXI e siècle, et voilà que j’avais trouvé l’occasion de joindre la parole aux actes. Je suis parti en juillet 2015, mais ma décision était prise depuis le début de l’année. J’avais lu des articles sur internet, dans les journaux, pas tellement de choses théoriques, à part le manifeste écrit par Abdullah Öcalan. J’ai été interessé par l’évolution politique du PKK dans les années 90.
Quand vous êtes arrivé au Rojava en juillet 2015, comment cela s’est il passé ?
J’ai été conduit,avec d’autres volontaires étrangers, dans une ancienne ferme reconvertie en centre de formation militaire, à l’est du Rojava. Là on nous a donné des uniformes et l’instruction de choisir un pseudonyme. J’ai choisi celui de Firat, le nom kurde de l’Euphrate. A cette époque il y avait peu de militants politiques parmi les volontaires étrangers, la plupart étaient d’anciens militaires britanniques et états-uniens. A part un Basque, Zagros, communiste comme moi, avec qui je me lie très vite. La tendance a changé à partir de la fin 2016, il y a eu plus de militants politiques et moins d’anciens militaires. Je précise qu’il n’y avait pas de militants d’extrême droite dans nos rangs, si quelques uns sont venus de façon marginale, ils ont très vite réalisé qu’ils n’avaient pas leur place dans les YPG, qui sont socialistes, internationalistes, laïcs et majoritairement athées ou sunnites.
Je n’avais jamais eu de formation militaire, je n’avais jamais touché une arme de ma vie, et j’ai été un peu déçu de me voir remettre une vieille kalachnikov neutralisée. Nous ne savions pas que nous étions très loin du front à ce moment là. À la fin de notre période d’entraînement, on nous a fait poser avec notre arme dans une vidéo (au cas où nous tomberions martyrs) et rédiger notre testament. Du coup j’ai réalisé qu’il fallait que je dise à ma famille où j’étais, ils ne le savaient pas.
Ensuite nous sommes partis sur le front de l’Euphrate . Notre unité est basée dans une maison en partie détruite sur la rive, non loin de la ville de Jarablus, occupée par Daesh . En arrivant, nous trouvons un cerveau humain au milieu d’une pièce. Un peu glaçant comme découverte.
Notre position avancée est chargée de faire barrage à nos ennemis s’ils traversent le fleuve. En fait nous passons de longues nuits de garde au bord du fleuve, dévorés par les moustiques, sur un front où rien ne bouge ou presque.
Ce qui m’a le plus plu, c’est la façon dont ils avaient introduit une forme de démocratie dans les forces armées avec le système du Tekmil, une assemblée de combattant-e-s où tout le monde a le droit de parler librement, de faire son autocritique mais aussi de critiquer le groupe ou des personnes, quelle que soit leur place dans la hiérarchie et ils peuvent être démis de leurs fonctions en cas de critiques répétées. Ce qui a été utile dans le bataillon international parce que certains responsables n’avaient pas les compétences militaires adéquates.
Après quelques semaines, nous décidons, avec le camarade basque, de rejoindre le bataillon international, composé de communistes et d’anarchistes.
C’est avec ce bataillon que j’ai participé à la prise de Hol, C’est là, après notre victoire, que j’appelle ma famille et que j’apprends que des attentats ont eu lieu à Paris.
En avril 2016, je décide de rentrer à Paris. Après quelques jours de prison à Erbil, j’ai pu regagner Paris où la police française m’attendait. Après un interrogatoire d’une heure, ils m’ont laissé rentrer chez moi. Et puis il y a eu la bataille de Membij, ou beaucoup de mes amis sont tombés.Je ne pouvais plus rester à Paris à attendre des nouvelles. Mais quand j’ai voulu repartir, 2 jours avant mon départ, ils sont venus chez moi, m’ont confisqué mon passeport et signifié une interdiction de sortir du territoire. Quelques temps après, j’ai pris un avocat , porté plainte, le tribunal m’a donné raison et j’ai récupéré mes papiers. J’ai pu finalement repartir, juste avant la bataille de Raqqa, à laquelle j’ai participé jusqu’à la prise de la ville et la défaite totale des Djihadistes. Je suis rentré en France en décembre 2017, l’esprit peuplé des fantômes de mes amis morts, mais convaincu d’avoir contribué à éradiquer Daesh, lutté pour un monde meilleur et soutenu la révolution du Rojava, qui le méritait. Et ça je ne le regretterai jamais.