Erdoğan aurait obtenu le feu vert de Poutine pour attaquer Afrin et sommerait les Américains, qui soutiennent jusqu’à lors les Forces démocratiques syriennes (FDS) de se retirer immédiatement de Minbej, une ville située à une centaine de kilomètres à l’est de la région d’Afrin. Les Kurdes, ces combattants de premières lignes, fantassins indispensables pour faire reculer l’Etat islamique (E.I.) seraient-ils lâchés par ceux qui les ont si largement utilisés? Tout joueur d’échec un peu expérimenté sait qu’il ne peut impunément sacrifier sa première ligne de pions. Il sait que la victoire est souvent gagnée grâce à ces pions apparemment fragiles qui peuvent, en fin de partie, mettre le roi adverse en « échec et mat ». Certains même atteignent la ligne qui les fait « reine ».

La situation est évidemment plus complexe sur le grand échiquier que constitue le Moyen-Orient : il ne s’agit plus d’un jeu de stratégie mais de la paix dans le monde. D’aucun parle déjà de prémices d’une troisième guerre mondiale. La partie requiert donc de la part de nos gouvernants beaucoup de lucidité et un brin de courage politique.

« Ah les c…, s’ils savaient ».

Inqualifiable, insupportable, et inadmissible est l’invasion des troupes turques en territoire étranger, en l’occurrence le Rojava, région du Nord de la Syrie, libérée des djihadistes de l’Etat Islamique (E.I.) par les combattants kurdes et arabes issus de la population elle-même, avec l’appui logistique de la coalition internationale. Cette population, à majorité kurde, qui, tout en gagnant la guerre, a réussi à mettre en place une gouvernance, appelée confédéralisme démocratique, associant toutes les composantes ethniques, religieuses, sociales, culturelles, au point de devenir un laboratoire pour tout le Moyen-Orient.

L’invasion turque rappellera à certains d’entre nous l’Anschluss : Erdoğan veut annexer Rojava comme Hitler a annexé l’Autriche en 1938 avant d’envahir le pays des Sudètes, en Tchécoslovaquie et déclencher la deuxième guerre mondiale. La réprobation des pays européens fut faible et le résultat fut les honteux accords de Munich, sensés « sauver la Paix ». On prête au négociateur français, Edouard Daladier, ovationné par la foule parisienne à son retour d’Allemagne, des mots marmonnés loin des micros : « Ah les cons, s’ils savaient« .

« Un peu de courage politique morbleu »

La différence est qu’aujourd’hui, nul peut avoir l’excuse de ne pas savoir. Nous ne pouvons plus nous contenter de déclarations lénifiantes de nos gouvernants faisant état de leurs « préoccupations ». Nous demandons que leurs analyses objectives de la situation qui leur inspirent de « vives inquiétudes » se doublent d’un courage politique qui leur a jusqu’à présent fait défaut. Comment peut-on encore, demander à Erdoğan de « faire preuve de retenue » ? On nous susurre qu’il s’agit là d’une formule de réprobation, en langage diplomatique ! Mais quelle formule humiliante pour les victimes! Un peu de courage politique morbleu !

Nous ne pouvons plus nous taire et des milliers de personnes sont descendues dans les rues le 27 janvier pour soutenir les Kurdes et condamner l’offensive turque, à Paris mais aussi à Marseille, à Lyon, à Strasbourg et ailleurs, partout en Europe. A Rennes aussi où on pouvait lire sur les pancartes :  » La paix au Moyen Orient passe par Rojava »

Un millier de manifestants à Rennes

« Les enfants et les femmes devant, les hommes à l’arrière d’un cortège de près d’un millier de personnes : la manifestation des Kurdes n’est pas passée inaperçue cet après-midi au centre-ville de Rennes » (Ouest-France)

L’appel d’Amara, le centre démocratique kurde de Rennes (CDKR), soutenu par les « Amitiés kurdes de Bretagne », a été entendu par des associations ou parti politiques comme l’Union démocratique bretonne –UDB – (membre de la Coordination nationale « Solidarité Kurdistan), la Gauche indépendantiste bretonne, le Mouvement des Jeunes communistes, le Mouvement de la Paix, Europe Ecologie Les Verts, Parti de gauche. Ce fut une forte mobilisation qui a rappelé à l’opinion rennaise les enjeux qui se jouent pour l’avenir du monde dans une région à la fois si lointaine et si proche, qui a également interpellé nos élus et nos gouvernants. L’intervention de Tony Rublon, président Amitiés kurdes de Bretagne (AKB), ainsi que les représentants des autres organisations, n’ont pas manqué de le souligner :

  » Les AKB dénoncent les attaques de l’armée turque sur le canton d’Afrin, et dénonce également la répression qui s’abat en Turquie sur toute opposition. Il est important de dénoncer les attaques que mène Erdoğan depuis maintenant depuis plus d’une semaine sur le territoire syrien. Les Kurdes, comme le souligne avec pertinence le communiqué du CDKF, ont combattu avec acharnement les groupes de Daech et les ont vaincus. Ils ne demandent aujourd’hui que de pouvoir vivre en paix! Pendant que des civils meurent sous les bombes turques, les puissances internationales qui s’appuyaient jusque-là sur les Kurdes pour combattre Daech, se taisent ou, au mieux, appellent à la retenue! L’agresseur d’aujourd’hui est le même qu’hier. Il a juste changé de nom et d’apparence! Les AKB appellent le gouvernement français à prendre une position radicale, une position claire et nette pour dénoncer les attaques du gouvernement turc sur le Rojava! Biji Kurdistan et vive le Rojava! »

« Belle mobilisation #kurde à #Rennes cet après-midi. 1000 personnes pour dénoncer les attaques turques à #Afrin. Une dizaine de militants @UDB_BZH pour représenter le parti dont le porte-parole @NilCaouissin qui a fait un super discours. #bijikurdistan @AmKurBret« .

L’imposture turque : PKK = « terroriste »

« La police allemande a ordonné samedi la dispersion d’une manifestation tendue de près de 20 000 Kurdes à Cologne dénonçant l’offensive turque en Syrie, en raison de la présence dans le cortège de nombreux symboles du PKK, interdits dans le pays. L’organisation PKK est classée terroriste par la Turquie et ses alliés occidentaux et il est interdit de montrer en public ses symboles en Allemagne » (Le Parisien)

Inutile de se boucher les yeux et les oreilles : il n’y a pas de manifestions kurdes ou pro kurdes, dans le monde entier, sans de nombreux drapeaux à l’effigie d’Abdullah Öcalan, sans de nombreux drapeaux aux couleurs du PKK, sans pancartes « nous sommes tous PKK », sans slogans réclamant la libération du leader du PKK, un Kurdistan libre. La clef est là : nous le répétons sans cesse depuis 20 ans : il faut sortir le PKK de la liste des organisations terroristes et ouvrir des négociations. C’est la seule façon de régler politiquement et pacifiquement la question kurde. Tout le monde le sait. Nos gouvernants ne peuvent pas ne pas le savoir. Ils sont tétanisés pour de bonne fausses raisons que le lobby parisien « pro turc » distille sournoisement : le danger marxiste, la solidarité entre membres de l’OTAN, les marchés juteux, le chantage aux migrants, et j’en passe.

Je lis aussi avec attention les déclarations du ministre des Affaires étrangères reprises sur le site de l’ambassade de France https://tr.ambafrance.org/ENTRETIEN-TELEPHONIQUE-DE-M-JEAN-YVES-LE ainsi que le soutien aux journalistes injustement condamnés https://tr.ambafrance.org/Turquie-Condamnation-de-plusieurs-journalistes-Quai-d-Orsay-Declarations-du Elles renforcent ma conviction que ces « bonnes intentions » affichées sont d’aucune efficacité tant que la diplomatie française et européenne ne sortira pas du piège « PKK= terroriste ». Cette martingale sert de prétexte pour éradiquer toute opposition. Dernier exemple en date : Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a averti dimanche que ceux qui manifesteraient publiquement à l’appel de milieux pro-kurdes contre l’offensive menée par Ankara dans le nord de la Syrie paieraient « un prix très élevé ». Le HDP qui organise le 11 février prochain son Congrès à Ankara est dans le collimateur. L’AFP nous apprend à l’instant que « Les autorités turques ont arrêté plus de 300 personnes soupçonnées d’avoir fait de la « propagande terroriste » sur les réseaux sociaux contre l’offensive que mène Ankara contre une milice kurde dans le nord-ouest de la Syrie. (AFP Lundi 29 janvier 2018 à 10h14)

Comment faire valoir ses droits dans un Etat qui n’est plus un Etat de droit ?

J’invite tous les donneurs de leçons de démocratie, bien assis dans leur fauteuil et sur leurs certitudes, de répondre à ce cruel dilemme.

Par André Métayer