La situation dans le Nord-Est syrien reste particulièrement tendue. Polat Can, l’un des commandants des Forces Démocratiques Syriennes (FDS), nous précise dans un entretien par téléphone que : « La guerre contre Daesh, comme guerre territoriale, est terminée mais les djihadistes commettent maintenant des attentats à la bombe ou à la voiture piégée. Des actions destructrices et préjudiciables à la sécurité de la région. »
Avec l’objectif de créer du désordre pour mieux prospérer sur le chaos, les groupes islamistes – Daesh en premiers lieu – ainsi que des combattants arabes favorables au régime de Damas lancent des vagues d’assassinats, de sabotages et d’attentats contre les nouvelles autorités du nord et de l’est de la Syrie. Cela peut conduire à un mécontentement des populations locales. Exaspérées, elles pourraient se retourner contre l’Administration autonome du Nord et le l’Est de la Syrie (AANES). Si, pour l’instant, on n’en est pas là, il est malgré tout urgent de prendre des mesures, de conforter le sentiment de sécurité qui s’est installé dans la région gérée par les FDS et d’accélérer la reconstruction du pays.
Rapahaêl Lebrujah : Quelle est votre position actuelle ?
Polat Can : Avec d’autres, je suis à l’origine de la création des YPG (Unités de protection du peuple) et, depuis 2013, je suis l’un de leurs portes paroles. De 2014 à 2017, je les ai représentées. Commandant des FDS, j’exerce cette mission à Deir Ezzor depuis trois ans. Je suis aussi écrivain. J’écris en kurde, en turc et en arabe. J’ai déjà douze livres à mon actif.
RL : Quelle est la situation militaire au Rojava ?
PC : Il y a plusieurs formes de lutte. La guerre contre Daesh, sous la forme d’affrontements territoriaux est terminée. Les djihadistes mènent maintenant des actions insurrectionnelles en recourant aux attentats. C’est aussi redoutable que la guerre conventionnelle. En plus, depuis 2102, le gouvernement turc menace d’envahir le Rojava. Les Turcs ont aidé plusieurs groupes terroristes comme Al Qaïda et Daech. On peut affirmer qu’ils les ont quasiment aidés de façon officielle. Aujourd’hui, la Turquie occupe Afrin et elle menace l’ensemble du Rojava. Pour autant, des actions de résistance sont menées à Afrin contre l’État turc et ses troupes d’occupation. Quand le conflit a éclaté, le Rojava ne voulait pas d’une guerre avec Assad. D’ailleurs, des éléments de l’administration de Damas sont restés en place à Hassaké et à Qamishlo. Après que Daech ait été repoussé, al-Assad a exigé de pouvoir revenir sur les terres libérées. Depuis l’annonce du départ des États-Unis il n’entend plus rien négocier.
Pour la plupart, les djihadistes sont issus des tribus arabes sunnites, notamment à Deir-Ezzor. Maintenant les FDS contrôlent la région. Mais Daesh y conserve une forte influence. Nous avons bien compris l’importance des tribus arabes et intégré leurs dimensions nationales et religieuses. Depuis 2015, nous avons commencé à nous rapprocher de certaines d’entre elles menacées par Daesh. Nous avons créé une coalition en dehors du Rojava car les tribus arabes qui habitent au Rojava sont en général favorables à l’administration autonome. Dans la région du Rojava, l’alliance avec ces tribus est solide. Mais à Deir Ezzor, par exemple, il y a des personnes qui soutiennent Assad, Daesh ou encore la Turquie. Fort heureusement, d’autres personnes, nombreuses aussi, nous apportent leur soutien. C’est grâce à ça que nous arrivons à contrôler la région.
Nous luttons pour le socialisme, la démocratie et la fraternité des peuples.Chacun, Kurde ou Arabe, chrétiens ou musulmans, peut trouver sa place dans notre nouveau système politique. Certaines personnes sont très religieuses, d’autres se revendiquent d’un nationalisme arabe. On tente de toutes les comprendre. On veut uniquement les convaincre grâce à l’éducation. Le travail est très difficile mais pas impossible. On souhaite être proche des tribus et avoir une approche modérée. A Deir-Ezzor ou à Raqqa, ce sont les gens de toutes les communautés qui font partie de l’administration, il n’y a pas que des Kurdes. Tous les postes dans l’administration locale sont occupés par des habitants de la région. C’est ce qui permet que les actions contre celle-ci diminuent avec le temps.
RL : Quels moyens pour la reconstruction ?
PC : Nous avons lutté contre Daesh avec l’aide de la coalition. La guerre n’est pas finie. La reconstruction nous pose beaucoup de problème. Il y a au moins un million de Syriens déplacés au Rojava. La coalition composée de la France, du Koweit ainsi que d’autres états du Golfe, de la Grande-Bretagne, et des États-Unis – détient aussi une responsabilité dans l’aide à la résolution des problèmes humanitaires. Le manque d’aide renforce Daesh et le régime d’Assad dans ses régions ravagées par la guerre.
RL : Comment gagner la guerre de l’information en occident ?
PC : On a gagné la guerre populaire au Rojava et dans le nord et l’est de la Syrie. Nombreux sont celles et ceux qui ont sacrifié leur vie contre Daesh et les occupants. Il y a une désinformation continue sur notre lutte réelle et la mise en place de notre système politique démocratique et pluraliste. Nous constatons qu’en général les journalistes s’intéressent à la guerre, mais ne font pas suffisamment état du système politique que nous sommes en train de mettre en place. La presse kurde existe aussi en Europe, et nous publions en plusieurs langues, notamment en français avec Rojinfo. Ceci étant, nous devons faire plus d’efforts pour diffuser cette information.