La répression qui frappe le HDP semble sans fin. La semaine passée, le procureur général d’Ankara s’est prononcé pour la levée d’immunité parlementaire de huit de ses député.es. Le Député HDP d’Urfa (Şanlıurfa), Osman Baydemir s’est exprimé sur la répression qui frappe la Turquie et le Parti Démocratique des Peuples (HDP) ainsi que sur le danger que représente la Turquie d’Erdoğan.
Pour l’ancien Maire d’Amed (Diyarbakır), de 2004 à 2014, « les Kurdes et le HDP ne sont pas les seuls à être attaqués par l’État turc. C’est toute la démocratie qui est mise sous pression, toute la société turque et son caractère séculier. » Membre de la direction de l’IHD (Association des Droits de l’Homme) durant les sombres années 90, il affirme que la situation actuelle est pire qu’à cette époque. Selon lui, les dérives autoritaires quotidiennes d’Ankara ont été rendues possibles par « le coup d’État manqué du 15 juillet 2016 à la suite duquel Erdoğan a réalisé un contre-coup en supprimant l’État de droit au profit d’un état d’urgence (OHAL). »
Derrière ces quatre lettres se cache la fin des droits les plus élémentaires. Les régions kurdes de Turquie connaissent bien leur signification, après y avoir été contraintes de 1987 à 2002. Aujourd’hui, c’est l’ensemble de la Turquie qui en fait l’expérience : « plus de 40 000 employé.es de la fonction publique ont été licencié.es. L’État turc a supprimé 148 médias et plus de 160 journalistes sont en prison. 15 universités ont également fermé leurs portes. Plus de 1200 associations, fondations ou syndicats ont été dissous. Toutes ces personnes ou organisations font face à une terreur totale de la part du gouvernement. Les personnes qui émettent la moindre critique à l’égard du pouvoir sont licenciées, détenues ou emprisonnées. »
« Si le fascisme turc n’est pas arrêté, le monde entier court à sa perte »
Comme dans les années 90, le terrorisme d’État porte la marque du nationalisme turc mais la relative laïcité du XXème siècle a cédé la place à l’islamisme politique d’Erdoğan. Un tournant religieux assumé par l’autocrate d’Ankara qui attise un choc des cultures et des civilisations dans un voisinage régional déjà instable. Pour Osman Baydemir, « la collaboration AKP/MHP (ndlr : parti ultranationaliste, allié d’Erdoğan) avec des groupes terroristes tels que Daesh ou al-Nosra constitue une grande menace pour le monde entier. Le manque de réalisme et de précautions vis-à-vis de l’Allemagne dans les années 30 a conduit à un désastre pour l’humanité. Malheureusement, l’histoire se répète aujourd’hui. La Turquie porte une part de responsabilité dans les attaques de Daesh en Europe (…). Le président français a critiqué l’attaque turque sur Afrin et deux jours plus tard, vous avez été attaqué.es en France, à Carcassonne. Ces deux faits ne sont pas indépendants et nous devons stopper cela. Si le fascisme turc n’est pas arrêté, le monde entier court à sa perte. »
« Le HDP n’est pas mort politiquement mais chaque jour torturé »
Erdoğan est un danger pour le Moyen-Orient, l’Europe et le monde, mais c’est aussi et surtout un grand péril pour la Turquie. Face à cette politique intérieure faite d’intimidation et de répression, le HDP est devenu, de fait, la seule force d’opposition politique. Mais, depuis son entrée historique à l’Assemblée en juin 2015, «environ 12 000 de nos sympathisant.es ont été incarcéré.es, tout comme 4 000 membres du HDP. 750 personnes présentes à divers niveaux de notre direction ont également été jetées en prison » constate l’avocat de formation. « Ils n’ont même plus besoin de fermer le HDP car dans les faits, c’est déjà le cas. Nos ancien.nes co-président.es sont en prison (Figen Yüksekdağ et Selahattin Demirtaş), certain.es de nos député.es, nos sympathisant.es et militant.es… Et chaque jour, d’autres s’ajoutent à ce nombre. Cette situation est pire qu’une fermeture pure et simple. S’ils fermaient le HDP, la politique kurde en Turquie trouverait une nouvelle voie. Le HDP n’est pas mort politiquement, mais chaque jour torturé. Il n’y a aucun endroit au monde où les parlementaires soient en prison. »
« Pourquoi vivons-nous cela ? » reprend-il. « Depuis 2015, la Turquie est engagée dans une voie sans issue. Le gouvernement d’Erdoğan, avec notamment son alliance avec le MHP, a montré sa préférence pour les mouvements fondamentalistes musulmans tels que Daesh ou al-Nosra au Moyen-Orient. Aux côtés de ces groupes et à leur image, le gouvernement turc a déclaré le peuple kurde comme son ennemi. Depuis 2015, Erdoğan cherche à contrecarrer les progrès et acquis effectués par le mouvement kurde. Il s’agit de mettre un terme aux droits gagnés par les Kurdes car il les considère comme une menace à l’existence de la Turquie. »
« Dans le terme parlementaire, il y a le mot « parler » »
La guerre contre les Kurdes a lieu à tous les niveaux, que ce soit militaire, culturel ou politique. Le HDP, identifié à juste titre comme un porte-parole des droits des minorités, subit un acharnement sans précédent de la part du gouvernement AKP. « 14 procédures judiciaires sont actuellement engagées contre moi, en plus de 28 investigations en cours. La plupart de ces affaires concernent mes discours passés, mes critiques à l’égard du gouvernement et la discussion que l’on a actuellement pourrait faire l’objet d’une enquête également » déplore Osman Baydemir, pour qui une peine de 18 mois de prison a été confirmée en appel début avril pour avoir « insulté » un policier il y a quelques années. Pour l’heure, il est encore protégé, mais pour combien de temps ? Il sait que son immunité parlementaire ne tient qu’à un fil, qu’une fois celle-ci levée, les peines prononcées à son égard deviendront effectives, que de nouvelles seront émises par un pouvoir judiciaire à l’indépendance disparue. « Ma situation personnelle est malheureusement celle que vivent beaucoup de mes ami.es parlementaires. »
C’est dans ce contexte de répressions tous azimuts que le procureur général d’Ankara a requis la levée de l’immunité parlementaire contre huit député.es du HDP, à savoir Feleknas Uca, Sibel Yiğitalp, Dilek Öcalan, Mizgin Irgat, Nadir Yıldırım, Osman Baydemir, Alican Ünlu et Garo Paylan. La parité est respectée et les minorités représentées avec Feleknas Uca, députée d’origine yézidie et Garo Paylan, député d’origine arménienne. Plus jeune représentante du peuple à l’Assemblée turque et nièce d’Abdullah Öcalan, Dilek Öcalan est accusée avec ses sept camarades parlementaires de propagande terroriste, d’humilier la nation turque, d’insultes au président turc ou de violer la loi sur les partis politiques. Entre autres.
Si elles venaient à être confirmées, les requêtes du procureur général d’Ankara (qui n’ont pas encore été suivies) affaibliraient un peu plus le groupe parlementaire du HDP. Lors de son entrée à l’Assemblée il y a deux ans et demi, il comptait 59 député.es. Depuis, neuf élu.es ont été incarcéré.es, neuf autres ont été destitué.es de leur mandat sans être emprisonné.es, tandis que trois député.es ont choisi le chemin de l’exil. Sur 59 représentant.es du HDP, seul.es 38 peuvent actuellement remplir leurs fonctions. « La Constitution turque et le droit international garantissent pourtant l’immunité aux parlementaires afin de préserver une opposition démocratique au pouvoir en place » relève le député de 47 ans. « Cette immunité parlementaire existe depuis plus de 300 ans et a servi à protéger les parlementaires contre les rois ou sultans à travers le monde. Aujourd’hui, le moindre de nos discours à l’Assemblée est retenu contre nous et sert d’élément d’accusation. A l’extérieur aussi, chaque parole fait l’objet d’enquêtes ou de procédures. Dans le terme parlementaire il y a le mot « parler ». Mais aujourd’hui on ne peut plus parler, Erdoğan veut des député.es qui ne parlent pas. Tout cela est fait pour nous décourager. »