Le député du Parti pour l’égalité des peuples et la démocratie (DEM Parti), Ömer Faruk Gergerlioğlu, tire la sonnette d’alarme après sa visite à la prison de femmes de Gebze.
Selon lui, le recul du gouvernement sur la réforme judiciaire tant attendue a provoqué une onde de choc parmi les détenus, nourrissant une profonde défiance envers l’État.
La présentation du 10e paquet de réforme judiciaire par le Parti de la justice et du développement (AKP) au Parlement a suscité une vive déception dans l’opinion. Annoncée comme une étape clé du processus politique en cours, la réforme est jugée largement insuffisante. La société civile, de nombreux juristes et les partis d’opposition, dont le DEM, dénoncent un projet déconnecté des attentes et du contexte.
Un espoir brisé
Au lendemain du dépôt du projet au Parlement, Gergerlioğlu s’est rendu à la prison de Gebze pour recueillir les témoignages des détenus, qu’ils soient politiques ou de droit commun. « Dès le matin jusqu’à 17 heures, j’ai rencontré des prisonnières de tous profils. Leur sentiment est unanime : une immense déception », a-t-il confié à l’agence ANF.
Le député rapporte que nombre de détenues s’étaient préparées à une éventuelle libération, espérant passer la fête de l’Aïd avec leurs proches. « Certaines n’ont pas dormi de la nuit. D’autres ont pleuré devant moi. Cela en dit long sur l’impact psychologique de ce revirement. »
Parmi les personnes concernées, des détenues malades, des prisonnières handicapées privées de soins adaptés, ou encore des femmes incarcérées depuis trois décennies et coupées de leurs familles. « Beaucoup prenaient déjà des traitements psychiatriques. Le nombre de prescriptions a grimpé. Le désespoir est palpable », affirme le parlementaire.
Une réforme perçue comme discriminatoire
Gergerlioğlu avance une hypothèse pour expliquer le changement de cap gouvernemental : la méfiance viscérale du président Erdoğan envers le mouvement Gülen. « Plusieurs détenus m’ont dit que le retrait de certaines mesures s’expliquait par la possibilité que des personnes affiliées à ce mouvement soient libérées », indique-t-il. Une interprétation partagée dans les rangs du DEM.
Ce rejet toucherait indirectement la question kurde, selon certains détenus. « Ils pensent que le gouvernement instrumentalise la lutte contre Gülen pour durcir sa position sur la question kurde. Même un petit pas symbolique était attendu. Ce retrait brutal est vécu comme une trahison. »
Une confiance rompue
L’échéance d’octobre, qui pourrait marquer un nouveau tournant dans le processus judiciaire, est désormais attendue avec appréhension. « Les détenus disent : ‘Vous avez lancé un processus, promis des avancées, puis vous vous rétractez. Qu’en sera-t-il en octobre ?’ », rapporte Gergerlioğlu.
La méfiance est généralisée. « Tous les profils – politiques ou non – estiment que le gouvernement a agi de manière brutale, sans considération pour les espoirs suscités. Il ne s’agit pas seulement d’eux, mais aussi de leurs familles. »
Des conditions de détention alarmantes
Outre la déception, le député souligne l’état alarmant des prisons surpeuplées. « Des établissements prévus pour 200 personnes en accueillent plus de 500. Certains détenus souffrent de claustrophobie. Ils restent des heures dans les cours pour respirer. »
Le message des prisonniers est clair : s’il doit y avoir une réforme en octobre, elle devra être inclusive et non discriminatoire. « Ils craignent que la même logique perdure et qu’aucune libération n’ait lieu. Ce sentiment est particulièrement fort chez les prisonniers kurdes, qui dénoncent une insensibilité du gouvernement à leur sort. »