En lisant l’éditorial d’Ouest-France (28 août 2019) «Turquie-Occident, le divorce?», point de vue de Bruno Tertrais, je m’attendais de la part du directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique à une analyse plus fine de la situation complexe du Moyen Orient, même traitée sous l’angle volontairement réducteur du conflit majeur, ou supposé comme tel, entre la Turquie et les Etats-unis.
« La relation entre Washington et Ankara se dégrade, et la Turquie se tourne vers la Russie. Au risque de remettre en cause son appartenance à l’Alliance atlantique ». J’ai bien compris que c’était là le sujet principal et non celui de la place des Kurdes dans la situation complexe du Moyen-Orient, mais il est difficile d’accepter de ne les voir citer qu’en n’évoquant que leur rôle de forces supplétives utilisées pour chasser les islamistes de Daech. La paix au Moyen-Orient ne se fera pas sans un règlement politique de la question kurde. Il faudra y contraindre RT Erdogan. Et, dans le cadre d’une recherche stratégique pour le Moyen Orient dans son ensemble, il faut se souvenir que le peuple kurde, ce sont 40 millions de personnes influant en Turquie, en Iran, en Irak et en Syrie, sans oublier les Kurdes de la diaspora, notamment en Europe.
La Russie, alliée préférée des Turcs ?
Ce sous-titre m’interpelle et la soi-disante « connivence de deux hommes forts qui se respectent, l’un à Ankara et l’autre à Moscou » me laisse dubitatif. Il y a bien ce joli pied de nez qu’Erdogan a envoyé à l’Alliance Atlantique, à l’instigation de l’homme fort du Kremlin qui lui a livré pour cela ses fameux S-400, mais les évènements qui se profilent à Idlib auraient plutôt tendance à montrer que la réciproque n’est pas certaine. L’armée turque, qui soutient les forces rebelles anti-Assad retranchées dans la province d’Idlib, est à son tour encerclée par l’armée syrienne, épaulée par l’aviation russe et ce malgré la visite surprise d’Erdogan à Moscou, quelques jours après qu’un convoi militaire turc ait été pris pour cible par des raids aériens du régime de Damas, épaulé par l’aviation russe.
La Turquie a changé, dit M. Tertrais, et de citer « les ultranationalistes et cercles eurasiens qui tiennent le haut du pavé aujourd’hui » mais il oublie de citer les Frères musulmans et les forces islamistes dont les liens avec Erdogan sont avérés. M. Tertrais n’ignore pas non plus que les forces iraniennes sont présentes sur le terrain, mais aussi, en élargissant le cercle, on peut citer, outre les Américains et les Russes, le Hezbollah? libanais, les Israéliens, les Saoudiens… on dit même que les Chinois sont aussi présents. Les Français aussi. Les grandes manœuvres sont commencées. « Turquie-Occident, le divorce ? », Oui, peut-être, mais quel est le rôle d’Erdogan dans ce « divorce à l’italienne » ? Celui, principal, du mari volage et peu scrupuleux qui arrive à ses fins, ou celui peu glorieux et obscur de l’amant utilisé à des fins qui finalement le dépassent ?
Par André Métayer