Comment titrer un article sur les élections, présidentielle et législative, qui se sont déroulées dimanche en Turquie, tant elles sont une honte pour la démocratie ? Il a fallu à Erdogan, pour l’emporter, avoir recours au bourrage des urnes, ce qui ne l’empêche pas de déclarer : » nous avons donné au monde entier une leçon de démocratie » Comment peut-on être sourd et aveugle au point de gober de telles grossièretés ?

Erdogan ne voulait pas perdre, ne pouvait pas perdre sans courir le risque de se retrouver au banc des accusés pour corruption en tous genres, lui, sa famille, son clan, son parti.

Après avoir pris les grand moyens pour museler toute opposition (rappelons : des milliers de militants politiques, associatifs, syndicaux, incarcérés, des dizaines de milliers de fonctionnaires licenciés, les grands corps de l’Etat –Justice, Armée, Police, Education, Information, Santé – épurés), tous les moyens d’information ont été mis à la disposition exclusive du monarque. Ainsi, selon Transparency International Turquie, la chaîne de télévision publique TRT n’a accordé que trois secondes de temps d’antenne à Demirtas dans ses journaux en mai, contre 105 minutes à Erdoğan. Pour autant, Erdoğan a été contraint, pour forcer le destin, de se livrer à des manipulations à grande échelle.

Nous en publierons les preuves au retour des délégations d’observateurs dont certaines ont été empêchées, interpellées et même mises en garde à vue. « On avait déjà constaté cela (les fraudes) lors du référendum de 2017, il y avait visiblement des fraudes concernant 1 à 1,5 million de bulletins de vote, même si on n’a jamais réussi à le prouver formellement », dit le très sérieux Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de la Turquie

« victoire » donc au premier tour : « D’après les résultats, il apparaît que Recep Tayyip Erdoğan a remporté la majorité absolue des voix valides, ce qui lui permet d’être réélu au premier tour  » a indiqué le chef du Haut comité électoral (YSK), Sadi Güven, lors d’un point presse à Ankara. Mais

Recep Tayyip Erdoğan n’avait pas attendu la proclamation du résultat pour se déclarer vainqueur, au grand dam de son challenger, le kémaliste du CHP qui dénonçait des tentatives de fraude et réclamait un 2° tour. Opposant bien friable qui vient de se coucher en reconnaissant sa défaite.

La Bourse a salué timidement la victoire d’Erdogan

La Bourse est stable : L’indice de la Bourse d’Istanbul, après avoir enregistré une hausse de 3,55 % à l’ouverture emmenée par la banque Garanti, Turkish Air et Akbank, ne gagnait plus que 0.55% à 11 heures.

Depuis le début de l’année, la devise a perdu 20 %, malgré les interventions massives de la banque centrale pour enrayer le plongeon. L’institut monétaire avait relevé ses taux de 300 points de base à 16,5 %, la livre turque faisant les frais d’une économie fragile et d’une inflation en forte hausse. Rappelons que l’agence de notation économique mondiale Standard & Poor’s (S&P) a déjà tiré la sonnette d’alarme en abaissant la note de crédit de la Turquie.

Les électeurs ont envoyé 67 députés kurdes au parlement, dont 25 femmes

C’est incontestablement un succès que remporte le HDP, parti de la Démocratie des Peuples, dont l’ossature est kurde, en envoyant 67 députés, dont 25 femmes, à la « Grande assemblée de Turquie ».

Pour mémoire, le groupe parlementaire HDP était composé, après le scrutin de novembre 2015 de 59 députés, dont 16 femmes, avant qu’il ne soit complètement atomisé par des destitutions, des mises en examen et des mises en détention, à commencer par les deux co-présidents du HDP, Selahattin Demirtaş et Fiden Yüksekdağ. Le travail d’élimination par le président dictateur de la 3° force politique du Parlement est à recommencer. On peut lui faire confiance sur ce point.

A l’élection présidentielle, Erdoğan a récolté 52.55 % des voix, Score minable quand on sait les moyens de propagande mis en place, allant du sac de charbon à la confiscation de tous les moyens d’information et de propagande à son profit, en passant par l’encouragement à la délation et par la répression en tous genres. Son opposant kémaliste est accrédité de 30.67%, et Selahattin Demirtaş, du fond de sa prison, réussit un score de 8.36%.qui le met dans une remarquable 3° position, devant le MHP (extrême droite), le futur allié d’Erdoğan. L’ambition du CHP est, aux prochaines municipales, d’arracher la mairie métropolitaine d’Istanbul aux mains de la formation islamo-conservatrice d’Erdoğan, l’AKP (Parti de la justice et du développement), mais pour ce faire, il aura besoin du HDP qui a fait une percée avec 13.05 %. Istanbul, 15 millions d’habitants dont 4 millions de Kurdes, est un enjeu considérable avec un budget de 2,5 milliards d’euros, employant entre 30 000 et 40 000 personnes.

Elections législatives en Turquie (600 sièges à pourvoir)

Aux élections législatives l’AKP a obtenu 42,5 % des voix et ses alliés du MHP (Parti d’action nationaliste) recueillent 11,1 %. Le HDP, avec 11.63% conserve sa 3° place. Le CHP est second, mais avec seulement 22.63 %.

Le combat pour la démocratie, comme le conçoit Selahattin Demirtaş, « à commencer par la liberté, l’égalité, l’indépendance de la justice, les droits des femmes, en passant par la protection de l’environnement  et la réforme des administrations locales » est loin d’être gagné. Mais on peut lui faire confiance : Il ne reculera pas http://www.akb.bzh/spip.php?article1316 , quel qu’en soit le prix à payer.

Tableau comparatif des élections législatives en Turquie

 

  2011 Juin 2015 Novembre 2015 Juin 2018
  % sièges % sièges % sièges % sièges
AKP 49.83% 327 40.00% 259 49.50 % 317 42.56% 295
CHP 25.98% 135 25.00% 131 25.30 % 134 22.64% 146
HDP (Indépendants) 6.57% 22 13.00% 81 10.80% 59 11.70% 67
MHP 13.01% 53 16.00% 79 11.90% 40 11.10% 49
IYI Parti *             9.95% 43

* İyi Parti ou İYİ (Le Bon Parti) est une formation nationaliste et laïque fondée le 25 octobre 2017 par Meral Akşener avec des dissidents du Parti d’action nationaliste (MHP, extrême droite) et rejoints par des éléments de l’aile droitière du Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste). Ce mouvement a pour objet premier de trouver un champ d’expression politique à la droite conservatrice laïque, aux militants du MHP déçus de l’alliance de Devlet Bahçeli avec Recep Tayyip Erdoğan, à l’occasion du référendum constitutionnel du 16 avril 2017, ainsi qu’aux kémalistes du CHP désireux d’une confrontation plus frontale avec le pouvoir islamo-conservateur qu’incarne l’AKP.