Le HDP a publié une déclaration sur l'attentat de novembre à Istanbul et l’opération lancée dans la foulée au nord de la Syrie par Ankara.
Drapeau du HDP

Le HDP a publié une déclaration sur l’attentat de novembre à Istanbul et l’opération lancée dans la foulée au nord de la Syrie par Ankara.

La commission des affaires étrangères du Parti démocratique des peuples (HDP) a publié un communiqué de presse sur l’attentat qui a coûté la vie à six personne sur l’avenue Istiklal d’Istanbul , ainsi que sur l’agression militaire turque lancée quelques jours après contre le Rojava (nord de la Syrie). Nous publions ici l’intégralité de cette déclaration. 

« Dans la nuit du 19 au 20 novembre, la Turquie a lancé une attaque aérienne majeure sur le nord et l’est de la Syrie (Rojava). Cela a été présenté comme une réponse à l’attentat d’Istanbul survenu six jours plus tôt, que le ministre turc de l’Intérieur, Süleyman Soylu, a attribué, le lendemain matin, au « groupe terroriste PKK/YPG » (le gouvernement turc refuse de faire la distinction entre le PKK et les YPG). Au lendemain de l’attentat à la bombe, l’interdiction faite à la presse de communiquer sur l’événement d’autres d’informations que celles données par le gouvernement a permis de limiter les contestations de l’opinion publique.

Chaque attentat à la bombe exige une enquête approfondie sur ses motivations et ses auteurs, et encore plus lorsqu’il est utilisé comme casus belli – même si nous devons également noter que le droit international ne justifie en aucun cas une telle réponse militaire à une attaque terroriste de ce genre. Le HDP a déposé une proposition au Parlement turc pour une enquête complète sur l’attentat à la bombe, mais cette proposition a été rejetée par les votes d’une coalition majoritaire AKP-MHP qui soutient pleinement le président Erdoğan. Mazloum Abdi, le commandant en chef des Forces démocratiques syriennes (FDS), qui travaille en étroite collaboration avec la Coalition internationale contre l’Etat islamique (EI) a, de son côté, demandé une enquête internationale.

Même si elle devait effectivement avoir lieu, une telle enquête n’aboutirait pas avant plusieurs années. En attendant, nous voulons expliquer en quoi le récit du gouvernement turc ne repose sur aucune preuve tangible et contredit toute logique. Accorder le moindre crédit à ce récit, c’est soutenir une guerre d’agression.

Jusqu’à présent, les seules informations que nous avons des faits proviennent des médias pro-gouvernementaux. Il nous est donc impossible de vérifier leur véracité. Cependant, il est clair que le récit officiel donné par le ministre de l’Intérieur et la police sous son contrôle est truffé d’incohérences, de contradictions et d’invraisemblances, qui augmentent à chaque nouvel indice. Le PKK et les YPG ont fermement nié leur implication dans l’attaque et ont exprimé leurs condoléances aux victimes. Le gouvernement turc a utilisé cet attentat à la bombe comme prétexte pour légitimer une autre attaque contre les Kurdes de l’autre côté de la frontière, affirmant qu’il s’agissait d’un cas de « légitime défense ».

Incohérences, contradictions et improbabilités

Les détails de base de l’histoire ne cessent de changer. Par exemple, on nous a dit d’abord qu’Ahlam Albashir, la femme accusée d’avoir posé la bombe, était entrée en Turquie par Afrîn. Plus tard, on a changé de version, en disant qu’elle était venue d’Idlib. On nous a dit qu’elle était en Turquie depuis quatre mois. Mais des voisins ont rapporté qu’elle vivait là depuis un an. On nous a dit qu’elle avait laissé le sac avec la bombe, puis qu’elle était revenue sur les lieux avec un moment, mais cela a été contredit par les preuves de CCTV. On nous a dit qu’elle était une agent formée du PKK et qu’elle allait fuir en Grèce et qu’elle allait être « éliminée ». Mais elle a été capturée à Istanbul et les vêtements qu’elle portait au moment de l’attentat ont été retrouvés dans son appartement. Plus de vingt-cinq personnes ont été arrêtées après l’attaque, mais pas une seule d’entre elles n’est kurde. Toutes sont d’origine arabe et beaucoup d’entre elles, y compris Albashir, ont déjà travaillé avec l’État islamique ou les forces supplétives de la Turquie en Syrie, telles que l’Armée syrienne libre (ASL), ou ont des liens familiaux avec de telles organisations. Tout cela fait voler en éclats le récit officiel du gouvernement turc qui a instantanément blâmé les Kurdes de Syrie, ce que nous considérons comme un effort pour dissimuler et mystifier la situation, plutôt que de révéler la vérité et de découvrir qui est vraiment derrière l’attaque.

Mazloum Abdi a déclaré à Al Monitor que les FDS avaient enquêté sur les antécédents d’Albashir et avaient établi qu’elle venait d’une famille liée à l’État islamique. Trois de ses frères sont morts en combattant pour l’État islamique. L’un est mort à Raqqa, un autre à Manbij et un troisième est mort en Irak. Un autre frère est un commandant de l’opposition syrienne soutenue par la Turquie à Afrin. Elle était mariée à trois combattants différents de l’État islamique et la famille est originaire d’Alep.

Ahmad Haj Hasan, accusé d’avoir organisé l’attentat à la bombe, aurait déclaré à la police que son frère était mort en combattant dans l’Armée syrienne libre.

Le téléphone d’Albashir a montré qu’elle avait reçu quelques appels téléphoniques de Mehmet Emin İlhan, le président de district du Parti du mouvement national (MHP), qui est en alliance avec le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir et fournit au gouvernement un soutien vital. Répondant à cette découverte, İlhan a hésité entre admettre et nier qu’il avait été appelé à témoigner à la police. Il affirme qued le compte téléphonique qui avait communiqué avec le kamikaze avait usurpé son iddedntité. Il n’y a eu aucune information sur des enquêtes ultérieures sur ce compte téléphonique pour vérifier la véracité de cette affirmation. S’il s’agit bien d’un cas d’usurpation d’identité, il faut alors retrouver le véritable appelant. Il n’est pas du tout difficile d’identifier qui est l’appelant, mais il n’y a absolument aucun progrès à cet égard. Nous soupçonnons qu’il n’y a pas d’autre appelant.

Pour conclure:

Nous avons vu comment les bombardements ont été utilisés comme excuse pour attaquer le nord et l’est de la Syrie, conformément à l’objectif publiquement déclaré du gouvernement turc de contrôler une bande de 30 km le long de toute la frontière. Notons que ce ne serait pas la première fois que le gouvernement attribue à tort un attentat au PKK (voir par exemple l’attentat d’Ankara en octobre 2015 ou l’attentat de Diyarbakir en novembre 2016 revendiqué par l’Etat islamique) ; qu’il y avait de fortes suspicions (y compris dans un rapport de sécurité de l’Union européenne) d’implication des services de renseignement turcs dans les attentats à la bombe de l’Etat islamique qui ont précédé les élections de novembre 2015 ; et que la Turquie a mené des invasions en Syrie à l’approche de toutes les élections majeures de ces dernières années, à commencer par celle Jarablus avant le référendum de 2017.