Déclaration du HDP sur la "torture par hélicoptère" de deux villageois kurdes
Portrait des deux villageois jetés depuis l'hélicoptère de l'armée turque à Van.

Feleknas Uca et Hisyar Ozsoy, co-porte-paroles de la commission des affaires étrangères du HDP (Parti démocratique des peuples), ont publié hier, 30 septembre, un communiqué sur les tortures brutales subies par deux civils kurdes dans une zone rurale de la province de Van, suite à la mort le même jour de l’une des victimes, Servet Turgut

Le communiqué du HDP se lit comme suit :

Le 11 septembre 2020, l’armée turque arrêté deux villageois à Catak, dans la province de Van, à savoir M. Servet Turgut (55 ans), père de 7 enfants, et M. Osman Şiban (50 ans), père de 8 enfants. Les familles n’ont pas pu obtenir de nouvelles d’eux pendant deux jours. Le 13 septembre 2020, les familles ont été informées que les deux détenus étaient en soins intensifs à l’hôpital régional de Van, dans un état inconscient. Ayant rencontré les familles à l’hôpital, les représentants du HDP à Van ont appris que Turgut et Şiban avaient été emmenés en hélicoptère et battus deux jours auparavant. D’après des sources journalistiques et les témoignages recueillis par les députés du HDP, Turgut et Siban ont tous deux été torturés et jetés d’un hélicoptère.

Le 14 septembre, Cengiz Şiban, frère d’Osman Şiban, a déclaré à la presse avoir été témoin de l’arrestation de son frère : « Ils ont pris Servet et sont venus au village. Puis ils ont pris aussi Osman et les ont emmenés tous les deux en hélicoptère. Comme il s’agissait d’une opération militaire, nous ne pouvions aller nulle part pour avoir des informations. Comme nous n’avons pas eu de nouvelles d’eux pendant un certain temps, je suis venu au centre-ville et j’ai appelé les militaires. Ils m’ont dit que mon frère était en soins intensifs. J’ai dit : « Quand vous avez emmené mon frère, il était en bonne santé. Comment se fait-il qu’il soit maintenant sous soins intensifs ? Mais ils ne m’ont pas répondu. Quand ils ont arrêté mon frère, il allait bien. »

Dans une autre déclaration à la presse, Cengiz Şiban a donné plus de détails sur l’événement : « Après la reconnaissance, les soldats ont été déployés. Nous ne sommes pas allés sur les hauts plateaux ce jour-là. Seul Servet Turgut est allé sur son terrain. Puis l’hélicoptère a atterri au milieu du village et les soldats nous ont appelés. Ils nous ont fait nous agenouiller sur la place du village. Ils ont dit : « Les terroristes sont venus ici ». Nous avons dit : « Nous ne savons pas et nous n’avons vu personne. » Ils nous ont demandé nos papiers d’identité. Ils ont pris nos papiers et ont dit : « Vous resterez agenouillés ici jusqu’à ce que nous quittions le village. » Ils ont amené Servet Turgut sur la place du village. Ils ont demandé qui était Osman Şiban. Osman a fait un signe de la main. Ils ont emmené Osman avec Servet. Nous les avons suivis. Un des militaires a pointé son arme sur nous et nous a dit : « Ne venez pas, nous vous tirerons dessus si vous venez. » Ils les ont emmenés sur la colline, dans le village. Nous sommes allés à l’endroit où se trouvait le grenier à foin de Servet. Ils ont jeté Osman et Servet dans l’hélicoptère. Leurs chaussures et leurs chapeaux sont restés là. Nous n’avons pas eu de nouvelles d’eux pendant trois jours. Il n’y avait pas de réseau téléphonique dans le village ».

Les avocats des victimes et des familles ont déclaré ceci : « l’allégation selon laquelle les victimes ont été jetées d’un hélicoptère est fondée sur la déclaration-même de la personne [officier militaire] qui a amené Şiban et Turgut à l’hôpital. Celle-ci a déclaré que les intéressés avaient été jetés d’un hélicoptère. Cette information figure également dans le rapport de l’hôpital. »

Naif Turgut, frère aîné de Servet Turgut, a également dit qu’il avait rencontré Osman Şiban deux fois pendant qu’il était à l’hôpital et que ce dernier lui avait dit qu’ils avaient été jetés de l’hélicoptère. Turgut a poursuivi ainsi : « Son état n’était pas bon non plus, il a eu une hémorragie cérébrale. Quand il a repris conscience à l’hôpital, je lui ai rendu visite deux fois dans sa chambre. Il était effrayé et pleurait. Il a dit en pleurant que ses yeux et ses mains avaient été bandés et qu’il avait été projeté d’un hélicoptère d’une hauteur de 15 à 20 mètres. »

Dans le rapport médical de Servet Turgut, daté du 17 septembre, la mention « Un patient anonyme a été amené à cause d’une chute de hauteur » renforce l’affirmation des témoins selon laquelle il a été jeté de l’hélicoptère ». Le 20 septembre, le rapport hospitalier d’Osman Şiban note que celui-ci a été amené au service d’urgence avec le motif de « chute de hauteur ». Le rapport indique que Şiban a été « amené au service d’urgence après être tombé d’un hélicoptère ». Malgré cela, le gouverneur de Van a publié une déclaration le 21 septembre pour couvrir l’incident, affirmant que Turgut était tombé d’un rocher et que Şiban était dans un bon état de santé.

Le 20 septembre 2020, Osman Şiban, dont le traitement était « terminé » selon les médecins, est sorti de l’hôpital. Pourtant, le 21 septembre à 5h30 du matin, il a de nouveau été transporté dans un hôpital militaire sur ordre du procureur général de Van. Les avocats d’Osman Şiban ont déclaré : « Le procureur nous a dit que son état de santé serait contrôlé pour voir s’il pouvait témoigner. Mais un officier de gendarmerie a déclaré : « Ce sujet était sur les médias sociaux, alors nous avons peur. Nous l’avons amené ici pour le garder à l’œil ». Şiban a été emmené à l’hôpital militaire le jour même où le porte-parole du groupe parlementaire du HDP, plusieurs députés, des membres du conseil exécutif et de l’assemblée du parti se sont rendus à Van pour enquêter sur la question. Des centaines de policiers ont encerclé les membres de la délégation du HDP qui voulaient faire une déclaration à la presse après leur visite à l’hôpital et aux familles. La presse a été empêchée de suivre la déclaration et de la publier.

La Commission d’enquête sur les droits humains du Parlement turc, à laquelle le HDP a fait appel pour enquêter sur la question, n’a toujours pas réagi.

Au 25 septembre, aucune enquête n’a été engagée et aucune mesure de suspension ou de renvoi n’a été prise à l’encontre des militaires qui ont arrêté les deux villageois kurdes.

Au 30 septembre, Osman Şiban, dont le traitement se poursuit à Mersin, souffre toujours de pertes de mémoire suite à de graves traumatismes résultant de la torture. Quant à Servet Turgut, il est malheureusement mort aujourd’hui, après avoir lutté pendant 20 jours en soins intensifs.

Cas similaires à Van au cours des trois derniers mois

– 14 juin 2020 : Suite à l’incendie déclenché par des soldats dans le quartier Kaşkol (Qaşqol) du district Başkale, Emrah Görür (20 ans) a perdu la vie et Saim Yılmaz a été gravement blessé.

– 16 juillet 2020 : Azat Bağa, 15 ans, a été gravement blessé par les tirs des soldats turcs alors qu’il faisait paître des moutons dans le quartier Yukarı Çilli (Çiliya Jor) du district Çaldıran de Van. Malgré toutes les interventions médicales, son corps porte des séquelles à vie. 

– 29 juillet 2020 : Trois bergers nommés Zahir Teker, Harun Akkaya et Lokman Koç dans le quartier Sualtı (Derişk) du district Başkale ont été torturés et gravement blessés par des soldats turcs qui menaient une opération militaire contre des « passeurs de frontières ».

– 4 août 2020 : İbrahim Baykara (46 ans), père de 6 enfants, engagé dans le commerce frontalier, a été tué par les soldats turcs dans le quartier de Yukarı Çilli (Çîllî) du district de Çaldıran.

– 17 septembre 2020 : Orhan Hanay, qui vit dans le quartier de Dayanç (Davan) de Çaldıran, dans la province de Van, a été gravement blessé par les tirs des soldats turcs alors qu’il faisait paître ses moutons. Hanay poursuit toujours son traitement médical.

Les actes de torture infligés aux villageois par hélicoptère ou par des agressions et meurtres à la frontière ne sont pas des situations exceptionnelles : ils ne sont pas perpétrés par « certains éléments indisciplinés au sein de la bureaucratie de l’État et de l’armée ». En fait, ces cas de torture et de meurtre révèlent le caractère très raciste, militariste et totalement illégal du « nouvel État turc » dans les provinces kurdes. Ils nous adressent le message que les « forces de sécurité turques » peuvent tuer les Kurdes où et quand elles veulent et en toute impunité. Ces « forces de sécurité » ont toujours été entièrement protégées par le gouvernement et la bureaucratie de l’État qui assurent leur impunité.

Une fois de plus, nous constatons malheureusement que les vies kurdes ne comptent pas comme des vies humaines en Turquie ! La communauté internationale devrait agir et être la voix de Servet Turgut, qui n’est plus, et d’Osman Siban, qui souffre encore du traumatisme de la torture.

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