Dans le cadre d’une interview réalisée par le journaliste Tomas Spahn pour le magazine Tichys Einblick, Cemil Bayik, co-président du conseil exécutif du KCK (Union des Communautés du Kurdistan), a parlé des objectifs du PKK, de sa finalité et de son rôle. Bayik a par ailleurs abordé la position de l’Europe vis à vis des Kurdes.
Pour Cemil Bayik, l’Europe et de l’Occident ont tout intérêt à changer d’attitude vis à vis du PKK. « Le PKK, qui reste attaché aux valeurs de la Convention de Genève, ne lutte pas seulement pour la liberté du peuple kurde mais aussi pour l’Humanité. Que cette organisation soit encore considérée comme terroriste juste pour plaire à la Turquie n’est pas juste. Vous pouvez juger le PKK par la façon de vivre de ses sympathisants en Allemagne ou en Europe. Le peuple qui soutient le PKK agit-il à la manière des membres d’une organisation terroriste ? » déclare-t-il.
Dans son article, Tomas Spahn rappelle le combat des Kurdes pour leur indépendance depuis la fin de l’empire Ottoman puis les effets du traité de Lausanne. Il souligne que les Kurdes sont divisés par les frontières de quatre Etats et attire l’attention sur la politique d’assimilation turque qui les nomme « les turcs des montagnes ». Spahn explique que pour cette raison, un million de Kurdes ont migré en Allemagne, exportant ainsi la question kurde dans ce pays. Il rappelle que c’est suite aux tentatives d’assimilations de la Turquie que le PKK a débuté la lutte dans les années 70, et que les activités du PKK étaient interdites en Allemagne car jugées « criminelles ».
Nous partagerons ici la première partie de l’entretien du journaliste avec Cemil Bayik :
« Monsieur Bayik, le PKK est toujours considéré comme une organisation terroriste. L’occident refuse de vous considérer comme un représentant légitime des Kurdes de Turquie. Lorsqu’on se remémore le passé sanglant du PKK, pensez-vous que cette qualification est correcte ? »
« Je souhaiterais tout d’abord rappeler cela : les pays européens considèrent le PKK comme une organisation terroriste seulement pour des raisons politiques. C’est suite à des décisions politiques que le PKK a été placée dans la liste des organisations terroristes, et c’est l’Allemagne qui a débuté cette campagne. En Novembre 1993, les interdictions ont commencé en Europe : les symboles du PKK ont été bannis. 1993 fût une année très intense militairement. 17 000 personnes ont été assassinées, d’autres ont été emprisonnées, des milliers de villages ont été détruits. Il suffisait d’être humain pour s’indigner. C’est dans ce contexte que les Kurdes ont commencé à manifester en Europe en 1993.
Pour que la communauté européenne soit mise au courant, des autoroutes ont été occupées. L’Europe participait à cette sale guerre. Peut-être ces protestations n’étaient-elles pas légales mais le Kurdistan vivait un génocide. L’Etat turc n’agissait pas conformément aux droits de l’Homme, opprimait, oppressait tellement le peuple kurde que si nous en parlions là les lecteurs en seraient perturbés. Par conséquent, l’Allemagne doit comprendre dans quelles conditions et pour quelles raisons les Kurdes avaient organisé ces manifestations, utilisées comme prétexte pour censurer le PKK.
A partir de la fin des années 80, des civils ont perdu la vie lors d’opérations contre les protecteurs de villages (civils kurdes payés par l’état pour combattre le PKK). Cette situation a été condamnée par le leader Apo [Abdullah Öcalan] lors des congrès du PKK et des comités. Ces actions ont été désignées comme des « pratiques de bandes criminelles ». Ceux qui y avaient participé, ont quitté l’organisation ou ont été punis. C’est pourquoi, certaines interdictions qui existent depuis 1980 et continuent à toucher le PKK ne sont plus fondées aujourd’hui.
Le XXème siècle a connu beaucoup de guerres et si on enquête sur l’importance des droits de l’Homme lors des conflits, on peut remarquer que c’est le PKK qui y prête le plus d’attention. Le PKK n’a jamais accepté d’attaquer des civils et a toujours condamné ces pratiques. Le parti a accepté d’agir conformément à la Convention de Genève en 1994 et y est attaché depuis cette date.
De ce fait, que le PKK soit toujours considéré comme organisation terroriste alors qu’il est soutenu par une grande partie du peuple kurde est une décision politique adoptée pour faire plaisir à la Turquie, membre de l’OTAN. Que les membres de l’OTAN s’engagent auprès de la Turquie lorsque celle-ci est confrontée à une lutte est totalement compréhensible. Cependant, continuer d’agir comme lors de la Guerre Froide alors que celle-ci n’est plus d’actualité n’est pas correct. »
La lutte et les actions du PKK sont claires. Le PKK est une organisation qui ne se dissimule pas, il n’y a aucune organisation au monde aussi transparente qu’elle. Elle fait son autocritique interne sans le cacher, de même pour les critiques externes. Elle met ouvertement en avant ses positions politiques et leurs applications. De ce fait, nous pensons qu’il faut que l’Europe, et même l’Occident tout entier change sa vision du PKK. Pas seulement pour le peuple kurde, mais pour toute l’Humanité et les intérêts de l’Europe. L’Europe, l’Allemagne, doivent observer le caractère, la mentalité, la façon de vivre des sympathisants du PKK et c’est ainsi qu’ils doivent juger l’organisation. En les observant, ils peuvent mieux comprendre notre parti. Peut-on dire que le peuple qui soutient le PKK a la mentalité des membres d’une organisation terroriste ?
L’Allemagne est sans principe et incohérente
Le ministre des affaires étrangères allemand Sigmar Gabriel a accepté de s’engager auprès des Turcs pour mener une lutte contre le PKK en Allemagne. Les Turcs ont essentiellement souhaité que l’Allemagne cesse d’aider financièrement les Kurdes. Cette demande a été faite car ils prétendent que le PKK est une organisation criminelle. Le PKK agit-il comme une organisation mafieuse en Allemagne ?
Il n’y a rien de plus honteux et inacceptable que ces actions que l’Allemagne entreprend suite aux demandes de la Turquie. Le monde entier peut voir aujourd’hui le caractère de la Turquie et cela, l’Allemagne le sait. La Turquie ne souhaite avoir aucun adversaire face à elle, c’est pourquoi elle fait pression et attaque. Que ce soit en Turquie, en Syrie, en Irak, en Iran ou ailleurs elle ne veut pas que les Kurdes aient une liberté politique, qu’ils puissent vivre librement en démocratie.
Aujourd’hui elle agit ainsi non seulement pour les Kurdes qui vivent en Turquie, mais aussi pour les Kurdes de Syrie. La Turquie souhaite que tous pensent comme elle et la soutiennent. Est-ce possible ?
L’Allemagne apparaît sans principe et incohérente. Elle s’est soumise aux volontés de la Turquie et a interdit les drapeaux du PYD et des YPG/YPJ qui luttent pour la liberté au Rojava. Cela a montré clairement les relations entre ces deux gouvernements.
S’il pouvait, l’Etat Turc interdirait même de respirer aux Kurdes, nulle part dans le monde. Ceci n’a aucun lien avec le PKK. Même si c’était une autre organisation kurde l’état turc agirait de la même façon. Parce qu’il est génocidaire, souhaite exterminer les Kurdes et n’accepte pas leur existence. Durant la Première Guerre Mondiale, les Arméniens ont subi un génocide. Est-ce au tour des Kurdes de vivre un génocide soutenu par l’Allemagne ?
L’Allemagne accepte d’agir selon les volontés de la Turquie et prend part à la politique génocidaire menée par la Turquie. Nous le répétons : l’Allemagne doit cesser de collaborer. Si l’Allemagne dit que la Turquie n’est pas en train de mener une politique génocidaire, c’est autre chose. C’est alors une honte pour l’Allemagne, ou alors elle ne veut pas voir ces politiques pour des questions d’intérêts.
L’Allemagne connait bien le PKK.
La Turquie exige que l’Allemagne cesse d’aider financièrement les Kurdes ! Il est clair que les Kurdes d’Allemagne s’organisent. Et l’Allemagne connait mieux que tous cette organisation et son fonctionnement. Y a-t-il une chose que l’Allemagne ne sait pas à propos du PKK en Allemagne ? Une organisation qui est si transparente peut-elle être mafieuse ?
Sans aucun doute les Kurdes d’Allemagne et d’Europe comme ceux de Turquie ressentent de la sympathie pour ce mouvement de libération. Les Kurdes qui sont en Turquie soutiennent le PKK malgré la répression et l’oppression alors c’est tout à fait normal que les Kurdes d’Allemagne le défendent aussi. De plus, la principale raison de l’émigration des Kurdes en Allemagne était la guerre en Turquie. Ils sont donc sympathisants du PKK et l’encouragent. Les Kurdes s’organisent selon les lois allemandes et européennes et c’est dans ce cadre-là qu’ils manifestent contre l’oppression de la Turquie.
Tel est le caractère de la Turquie : elle mène librement sa politique génocidaire et personne n’a le droit de s’y opposer. Aux Etats Unis les Kurdes, les Arméniens et les Chaldéens ont manifesté contre Erdogan. Et qu’a-t-il fait ? Il n’a pas supporté ces protestations et les a attaqué avec ses gardes du corps ; trainant les manifestants par terre. Voilà la réalité de la Turquie. Et vous croyez que les Kurdes d’Europe ne vont pas réagir ? C’est tout à fait compréhensible que les Kurdes d’Allemagne nouent des liens avec le PKK. Notre leader Abdullah Öcalan et les sympathisants du PKK n’ont jamais violé les lois européennes, que ce soit dans leurs manifestations ou dans leurs pratiques.
Que les Kurdes expriment leurs sentiments de temps en temps, manifestent vigoureusement contre l’oppression en Turquie est aussi compréhensible. Peut-être que si un peuple souffrait autant dans une autre partie du monde, lui aussi montrerait son mécontentement en Europe et partout dans le monde, parce qu’il s’agit là d’un système génocidaire ? Dans ce contexte, emprisonner les patriotes kurdes en Allemagne se fait-il seulement pour des raisons politiques ? L’Allemagne entretient des relations économiques, politiques avec la Turquie et c’est justement pour cela qu’elle adopte un comportement intransigeant avec les Kurdes. Aujourd’hui celles et ceux qui souhaitent renouer des liens avec la Turquie se déclarent ennemis du PKK, des Kurdes et les attaquent. Est-ce correct ? Nous n’acceptons pas cette situation. C’est une honte pour l’Allemagne et l’Europe.
Aujourd’hui les forces militaires kurdes luttent avec l’idéologie du leader Ocalan face au prétendu état islamique au Moyen-Orient. Des milliers de combattants ont perdu la vie. Au lieu d’accorder des faveurs au gouvernement turc, l’Allemagne devrait essayer de comprendre celles et ceux qui combattent face au prétendu état islamique.
Par rédaction ROJINFO avec TICHYS EINBLICK