Afrin-Kurdistan-Syrie-kurde-réfugié-Turquie
Réfugié.e.s d'Afrin dans le camp Berxwedan ("Résistance") à Fafinê, canton de Shehba (photo Centre d'Information de la Résistance d'Afrin)

Nous publions toutes les semaines les bulletins hebdomadaires des nouvelles d’ Afrin, écrits et traduits en français par le Centre d’Information de la Résistance d’Afrin. Les bulletins informent à la fois sur la situation militaire, politique et humanitaire autour d’Afrin et plus largement au nord de la Syrie, sur les initiatives de solidarité exprimées à travers le monde et analysent les prises de positions des différents acteurs politiques.

Créé au début de l’offensive turque sur Afrin, le Centre d’Information de la Résistance d’Afrin dispose d’un compte twitter, d’une chaîne Youtube et d’un site internet, où sont publiés les bulletins mais aussi des dossiers d’information écrits directement par le centre ou par différentes institutions du Nord-Syrie (Croissant Rouge du Kurdistan, TEV-DEM…) ; des analyses politiques de la situation ; des photos et vidéo documentant les crimes de guerre, la résistance populaire et témoignant du quotidien des populations d’Afrin, maintenant pour la plupart devenues réfugiées.

La plupart des informations sont en anglais mais des traductions régulières vers le  français sont effectuées, comme c’est le cas pour tous les précédents bulletins, que vous pouvez aussi trouver sur le site.

Les développements autour d’Afrin – du 1er au 7 juin 2018

Introduction

Avec la défaite de l’Etat islamique en Syrie et particulièrement après la libération de Raqqa à l’Octobre 2017, l’Etat turc a intensifié ses menaces et attaques contre la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie. Dans ce contexte, la Turquie a commencé sa guerre d’invasion à Afrin le 20 janvier, transgressant le droit international et violant la souveraineté de son pays voisin. L’armée turque a déclenché cette guerre en coopération avec des groupes djihadistes issus des rangs de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Beaucoup d’entre-eux sont liés à Al-Qaïda à l’auto-proclamé Etat islamique. À compter de début mars, tous les districts et la ville d’Afrin ont été sous les bombardements de l’aviation, de l’artillerie et des drones de l’armée turque, qui ont particulièrement ciblé les civils. Les 17 et 18 mars, plus de 200 000 personnes ont quitté Afrin et ont été évacués de la ville afin d’éviter un génocide physique. Depuis, la majorité des personnes sont réfugiées dans le canton de Shehba, sans garanties pour leur sécurité ni soutien international. Dans cette nouvelle étape de la guerre, la confrontation entre les puissances internationales et leurs intérêts se fait plus intense de jour en jour.

Les développements de la semaine dernière autour d’Afrin

Après 137 jours de résistance contre la deuxième plus grande armée de l’OTAN, des centaines de personnes du canton d’Afrin sont toujours déplacées de leurs terres et font face à des conditions de vie difficiles. L’armée turque et ses alliés de l’ASL appliquent des politiques de nettoyage ethnique, d’assimilation et de colonisation, empêchant la population de retourner dans leurs villages et poursuivant les préparatifs pour annexer la région d’Afrin au territoire de l’Etat turc. Actuellement, la résistance des forces YPG-YPJ dans tous les districts du canton d’Afrin continue ainsi que la résistance des personnes déplacées d’Afrin dans la région de Shehba.

Afrin

Dans la ville d’Afrin, des manifestations ont éclaté contre les violences continues, les enlèvements et les détentions. Le 3 juin, deux manifestations ont eu lieu dans la ville d’Afrin contre les factions islamistes et l’armée turque, exigeant la libération d’un journaliste militant et la fin des violences commises par l’ASL [1]. Une autre manifestation a eu lieu dans la ville de Shera, devant le quartier général de la police militaire [2].

Après la réparation du barrage de Meydanki, l’approvisionnement en eau de la ville d’Afrin est de nouveau regulier, mais il a été constaté que l’eau n’est pas propre, est non-potable et peut provoquer des maladies [3].

Le 5 juin, les membres de l’ASL ont tiré sur l’artiste kurde Baharin Berno au poste de contrôle de Tarnada à Afrin [4]. Selon l’ANF, 40 autres familles amenées de la Ghouta orientale par l’armée turque ont été installées dans le village de Kaxure, dans le district de Mabeta d’Afrin. La plupart d’entre eux seraient des familles de combattants djihadistes et de l’ASL de la Ghouta orientale [5].
Le 1er juin, le bureau de presse de YPG a publié une nouvelle déclaration a propos des actions menées à Afrin par les forces des YPG et YPJ au cours des deux jours précédents. Les actions ont conduit à la mort de nombreux soldats turcs et membres de l’ASL. 3 combattants des YPG ont perdu la vie dans ces actions [6].

Dans la première déclaration faite par les clans Bubana à Afrin – après les affrontements qui ont eu lieu le 31 mai entre eux et d’autres factions de l’ASL – les clans ont juré de tuer les membres de l’ASL. Ils avaient rejoint l’opération « Rameau d’Olivier » lors de l’attaque contre Afrin [7].

Shahba et Syrie du Nord

Le Croissant-Rouge kurde a alerté sur la mauvaise qualité de l’eau dans le canton de Shehba. Beaucoup de maladies se sont propagées parmi les réfugiés Afrin. Ils ont appelé les autorités à réagir rapidement pour rendre l’eau potable [8]. 90% des voitures sont hors service en raison de la pénurie de diesel induite par l’embargo du régime.

Dans le camp de Berxwedan (district de Fafine), les communes organisent des distributions quotidiennes de pain pour les familles réfugiées, poursuivant ainsi le système d’autogestion qui était en place dans leur villes et villages [9].

Le 1er juin, des femmes de Deir Ezzor et Raqqa se sont réunies pour un atelier de travail de la Fédération démocratique de Syrie du Nord organisé par le Conseil des femmes syriennes avec le soutien de l’agence des Nations Unies pour les femmes pour trouver des solutions pour les femmes victimes du régime oppressif de l’Etat islamique. [10].

A Tabqa, une année apres la libération de la ville de l’emprise de l’Etat islamique, le Comité de l’éducation de l’administration civile démocratique a delivré 50 000 certificats scolaires. C’était la première année d’école dans la ville de Taqba en sept ans [11].

La prochaine phase de l’opération Tempête de Cizirê menée par les FDS pour débarrasser les dernières zones syriennes de la présence de l’Etat islamique a commencé, comme l’a annoncé le porte-parole des FDS Kino Gabriel le 3 juin : « La prochaine phase de l’Opération Round Up / Tempête de Cizirê commence bientôt. La fin du califat est proche. Nous voulons la liberté et la démocratie pour tout le peuple de Syrie « [12]. Dans la poche nord de l’OEI, les FDS avancent vers la ville de Dashisha pour « poursuivre les efforts pour protéger la sécurité de la frontière syro-irakienne au sud-est de Heseke et de tous les villages de Heseke », a déclaré le porte-parole des FDS Lilwa El Ebdullah [13]. Dans ce contexte, le 5 juin, le village d’Al-Faqah a été libéré par les forces des FDS après de violents combats contre l’Organisation de l’Etat islamique. Dans leur déclaration les SDF ont répété que l’opération Tempête de Cizirê « avait été interrompue en raison des attaques de l’armée turque et de leurs bandes alliées contre le canton d’Afrin, et a recommencé le 1er mai ».
Le 2 juin, l’armée turque a tiré des grenades à gaz vers différents endroits à l’ouest de Serê Kaniyê, à la frontière turco-syrienne, et a tiré des balles réelles vers les silos de la région et le village de Jan Temer. Aucune victime civile n’a été signalée [14].

Turquie, Irak, Syrie, Iran

En Turquie, les élections présidentielles anticipées auront lieu le 24 juin. La campagne est en cours, alors qu’un candidat, Selahattin Demirtaş, du parti HDP, fait campagne depuis sa cellule de la prison d’Edirne. La rapporteuse du Parlement européen en Turquie, Kati Piri, a déclaré qu’il devrait être libéré pour permettre des élections équitables [15].

Dans le village Nêrduşê du district de Şemzînana à Colemêrg (Kurdistan du Nord, Etat turc), des soldats turcs ont torturé les bergers Nasir Taş et Ramazan Aktaş pendant deux heures, leur infligeant de graves blessures au dos [16].

Selon Jalal Khalo, maire adjoint de Shingal, les Etats-Unis construisent une base à Sinjar (Etat irakien): « Aujourd’hui, 15 véhicules militaires américains sont arrivés au sommet du mont Shingal et se sont postés près du pic de Mira sur la montagne » [17].

Suleyman Soylu, ministre turc de l’Intérieur a déclaré: « Maintenant, nos enfants [les soldats turcs] ont avancé de 26 à 27 kilomètres dans le nord de l’Irak », parlant de l’occupation turque au Kurdistan du Sud – Irak [18]. Lors des attaques contre le Kurdistan du Sud, l’armée turque a bombardé le village de Bêdehê, près de Kanimasi [19]. 13 députés du parlement de la Région Kurde d’Irak ont signé une déclaration demandant au Gouvernement Régional du Kurdistan (KRG) et aux autorités irakiennes d’arrêter l’occupation turque au Kurdistan du Sud-Nord de l’Irak [20].

Le 3 juin, les autorités judiciaires irakiennes ont délivré un mandat d’arrêt contre Rebwar Talabani, chef du Conseil provincial de Kirkouk pour avoir « hissé le drapeau kurde sur les bâtiments officiels de Kirkouk et organisé le référendum [d’indépendance] dans la ville » [21].

Le même jour, le Parlement irakien a tenu une session d’urgence sur la crise de l’eau provoquée par la construction du barrage d’Ilısu en Turquie, l’accusant de réduire de moitié les débits d’eau du Tigre et a alerté des risques d’importantes migrations forcées [22].

Le ministre russe de la Défense, Sergei Shoigu, a discuté le 31 mai d’une zone de désescalade dans le sud de la Syrie avec le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman. Les forces iraniennes se retireraient du territoire syrien situé à moins de 70-80 km de la frontière syro-israélienne [23]. Le 3 juin, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid al-Muallem, a insisté sur le fait que les forces américaines devaient évacuer al-Tanf, une petite base dans le sud-est de la Syrie, le long de la frontière irakienne et jordanienne. Le site stratégique est situé sur une route importante reliant l’Irak à Damas [24].

Solidarité avec Afrin 

Le 3 juin, des femmes kurdes de Stockholm ont organisé une manifestation pour soutenir le boycott de la Turquie. Elles ont distribué des tracts informant de l’invasion, des massacres et des violations des droits commises par l’Etat turc à Afrin, au Kurdistan du Nord (Turquie) et au Kurdistan du Sud (Irak) [25].

Le 4 juin, la co-présidente Zehra Silêman de l’Administration Autonome de Shengal (Sinjar) et la dirigeante du Mouvement pour la liberté des femmes Ezidi (TJAÊ) Zehrî Şemp sont arrivés au nord de la Syrie au nom des femmes de Shengal en solidarité avec Afrin et pour remettre l’aide humanitaire qu’elles ont collecté pour les réfugiés à Shehba [26].

Déclarations et analyses

La Coordination des Femmes du Rojava a condamné les abus de l’armée turque d’occupation à Afrin: « L’enlèvement des femmes, les viols, les conversions religieuses forcées des Ezidis, les pillages se produisent tous les jours danq le silence de la communauté internationale » [27].

Bachar Al-Assad a menacé de réoccuper les zones tenues par les FDS en Syrie: « Le seul problème qui reste en Syrie est les FDS […] Nous avons une option, de vivre ensemble en tant que Syriens. Sinon, nous allons recourir … à la libération de ces régions par la force » [28]. Le porte-parole des FDS, Kino Gabriel, a dit qu’ils étaient prêts à négocier avec le régime et ne cherchaint pas à résoudre les problèmes par la guerre: « Toute solution militaire, du point de vue des FDS, entraînera plus de pertes, de destructions et de difficultés pour le Peuple syrien » [29]. Le général Kenneth McKenzie, directeur de l’équipe commune de la coalition, après la menace d’Assad a dit: «Toute partie intéressée en Syrie devrait comprendre qu’attaquer les forces américaines ou nos partenaires au sein de la coalition serait une mauvaise manoeuvre politique.» Il a refusé de fixer un délai à la présence américaine dans le pays.

Le 4 juin, Mike Pompeo a rencontré le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, à Washington pour discuter de Manbij. La déclaration conjointe signale que les deux Etats vont « prendre des mesures pour assurer la sécurité et la stabilité à Manbij. Ils ont approuvé une feuille de route à cette fin et ont souligné leur engagement mutuel à sa mise en œuvre, reflétant un accord pour suivre de près les développements sur le terrain  » [31].

Le Centre de presse des YPG a annoncé le retrait de ses conseillers militaires de Manbij, après le retrait de leurs forces sur le terrain en 2016. Le Conseil militaire de Manbij reste responsable de la sécurité dans la ville et la région. Cependant, il n’est pas clair comment l’accord entre les États-Unis et la Turquie sera mis en œuvre. Les menaces turques semblent également être liées aux élections à venir en Turquie le 24 juin, puisque le parti d’Erdogan, l’AKP, tente d’obtenir plus de soutien en utilisant la guerre et les politiques sécuritaires et en exaltant les sentiments nationalistes dans sa population. Pendant ce temps, les FDS, en coordination avec les forces irakiennes, libèrent les dernières poches tenues par l’Organisation de l’Etat islamique. Les opérations en direction de Dashisha se poursuivent et de nombreux combattants de l’OEI se rassemblent autour de Hajin où l’on pense que les commandants en chef de l’OEI se cachent. Alors que le régime syrien et la Russie préparent des opérations militaires dans le sud de la Syrie, les tensions augmentent entre la Russie et l’Iran.

Sources et informations supplémentaires :

[1] http://www.syriahr.com/en/?p=94172

[2] https://twitter.com/ICafrinresist/status/1003642416530894849

[3] https://twitter.com/ICafrinresist/status/1003552862411075584

[4] https://twitter.com/afrinactivists/status/1003925314865524736

[5] https://twitter.com/ICafrinresist/status/1002507833471094784

[6] https://twitter.com/DefenseUnits/status/1002534551514701825

[7] https://twitter.com/afrinactivists/status/1002624588973518849

[8] Video : https://www.youtube.com/watch?v=_QDPpB02cas

[9] https://twitter.com/ICafrinresist/status/1003291838596440064

[10] https://alshahidwitness.com/northern-syria-women-workshop/

[11] http://www.hawarnews.com/en/haber/50-thousand-students-receive-school-certificates-in-al-tabqa-city-h1775.html

[12] Video de la déclaration en anglais :

https://twitter.com/KinoGabriel1/status/1003153185861722112

[13] https://anfenglishmobile.com/rojava/sdf-statement-on-operation-cizire-storm-27193

[14] https://twitter.com/ICafrinresist/status/1003521320632676352

[15] https://bianet.org/english/world/197841-ep-rapporteur-kati-piri-demirtas-should-be-released-for-fair-election

[16] https://ahvalnews2.com/torture/shepherds-make-turkish-military-torture-claims

[17] http://www.kurdistan24.net/en/news/c3ed70bf-429e-4592-99e2-0dd78668fcc6

[18] http://www.rudaw.net/english/kurdistan/020620183

[19] https://twitter.com/ICafrinresist/status/1003348641329934339

[20] http://english.ajansfirat.com/anf-news-kurdistan/members-of-krg-parliament-against-turkish-occupation/

[21] http://www.rudaw.net/english/kurdistan/030620184

[22] http://www.nrttv.com/EN/News.aspx?id=1651&MapID=2

[23] http://theregion.org/article/13559-russia-promises-israel-that-iran-will-be-out-of-its-way-amid-tensions-on-southern-border-of-syria

[24] http://www.kurdistan24.net/en/news/69cd88ce-f25d-4f37-be79-de9cb1e0da16

[25] https://twitter.com/ICafrinresist/status/1003349111255584768

[26] https://twitter.com/ICafrinresist/status/1003332952569327621

[27] http://tev-dem.com/?p=2639

[28] https://sg.news.yahoo.com/syrias-assad-threatens-force-against-us-backed-kurds-071705224.html?guccounter=1

[29] https://uk.reuters.com/article/uk-mideast-crisis-syria-sdf/u-s-backed-sdf-says-military-solution-will-not-work-in-syria-idUKKCN1IW237

[30] https://www.thenational.ae/world/the-americas/pentagon-responds-to-assad-any-attack-on-our-partners-will-be-a-bad-policy-1.735875

[31] https://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2018/06/282929.htm