Le drame d’Afrin avec la mise à sac de la ville par les djihadistes et des troupes turques est un pas supplémentaire vers une marche à la guerre régionale. Le président turc parle déjà de troisième guerre mondiale. Cette situation a été rendue possible par le silence complice des grandes puissances et en particulier par l’ouverture de l’espace aérien par la Russie. Après Afrin, la Turquie se tourne vers le reste de la Syrie du Nord et vers l’Irak. Jusqu’où va-t-elle aller ?
La plus grande surprise fut le repli des Forces démocratiques syriennes (FDS) des zones urbaines pour lancer une guérilla dans les régions montagneuses d’Afrin. Le choix a été motivé par plusieurs facteurs. Le premier était de protéger les populations civiles d’un massacre annoncé et d’une destruction de la ville à coup d’obus. D’un point de vue militaire. Si on regarde du côté des internationalistes morts au combat, tous l’ont été par des bombardements aériens. Une bonne part des morts des forces pro régimes sur place a été tuée de la même façon. En deux mois de combats, les FDS ont donné un bilan de plus de 800 morts dans leurs rangs. En comparaison, c’est plus de morts qu’en 6 mois de combats urbain à Kobané (environ 500 selon le bilan de l’époque). La majeure partie des FDS est organisée comme une armée de plus en plus conventionnelle. Elle était devenue une cible facile comparée à une guérilla.
Autre facteur, Une lutte de guérilla permet de bloquer de nombreuses troupes turques sur place. En effet, la Turquie va avoir besoin de beaucoup de troupes pour ces éventuelles opérations en Irak et en Syrie. Laisser une guérilla harceler les lignes ennemies est un bon moyen pour obliger l’ennemi à disperser ses effectifs derrière les lignes de front. Plusieurs opérations dans la ville et dans les régions montagneuses d’Afrin ont déjà été menées, à peine les troupes d’occupation installées.
Dernier point sur les raisons militaires et pas des moindres, le Rojava a de nombreux ennemis. Si les pertes dans la guerre contre la Turquie venaient à devenir irremplaçables, alors qu’est-ce qui empêcherait le régime et l’Iran d’envahir à leur tour le Rojava, profitant du manque de troupes. Il faut donc économiser un maximum le matériel et les combattant-e-s pour se préparer aux futurs affrontements. Le Rojava ne pouvait pas se permettre une hécatombe. Car même si la victoire avait été arrachée, à quel prix cela l’aurait-il été ? Le choix ressemble à celui de la sécurité, de la limitation des prises de risques.
D’autres raisons ont motivé la décision du retrait. Se retirer de la ville était aussi mettre en échec la stratégie du régime et de l’Iran qui proposaient de combattre l’armée turque avec les FDS à conditions que les FDS livrent leurs territoires et renoncent à leur projet politique. Les FDS ont refusé et les forces pro régimes se retrouvent avec un croissant vert encerclant à moitié Alep occupé par le deuxième contingent de l’OTAN. Le régime syrien est le deuxième acteur le plus menacé suite au drame.
Autre facteur qui explique cette décision, la situation instable pour la Turquie en interne et au niveau international. Son occupation du territoire syrien est illégale. Cela n’arrange pas certaines puissances internationales qui sont pour le moment plus terrorisées par l’arrivée de nouveaux migrants que par l’installation d’une base de djihadistes à deux pas de l’Europe. Certains États ont troqué la sécurité des populations contre l’accueil de nouveaux migrants en d’autres termes. Le gouvernement français porte une lourde responsabilité dans sa non-action en ayant une très bonne connaissance du problème. Les Etats-Unis se sont aussi tus parce qu’ils veulent garder la Turquie dans l’OTAN. En effet, pour eux, le problème n’est pas la Turquie en elle-même mais la personne d’Erdogan qui multiplie les dérapages. Sur le long terme, la politique de la Turquie mène droit vers la catastrophe. Les FDS attendront probablement une situation internationale qui leur est plus favorable pour reprendre Afrin.
Dernier facteur qui a cruellement manqué pour Afrin : un manque de solidarité internationale. Bien qu’il y eut des réactions partout dans le monde et une mobilisation. Celle-ci n’a pas été massive et décisive. Bien que l’opinion publique soit globalement favorable aux Kurdes et à leur combat, en France et dans de nombreux pays, la plus grosse manifestation à Paris a rassemblé quelques milliers de personnes dont la majorité était d’origine kurde. Il est dommage que des organisations non kurdes en France déclarant soutenir le Rojava n’aient visiblement pas suffisamment agi contre l’intervention.
Tous ces facteurs ont conduit au drame. L’occupation, les destructions, les pillages, les massacres, les exécutions, les tortures, le démantèlement d’un système révolutionnaire et démocratique, le nettoyage ethnique en cours, l’arrêt des opérations contre Daech, l’exode de centaines de milliers de personnes, la catastrophe humanitaire, les massacres de centaines de civil-e-s ont aujourd’hui montré les dangers qui pèsent sur les peuples du Rojava. Quand cela sera-t-il stoppé ?