Il y a onze ans, les militantes kurdes Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez étaient tuées à Paris de plusieurs balles dans la tête.

Il y a onze ans, les militantes kurdes Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez étaient tuées à Paris de plusieurs balles dans la tête. Un attentat terroriste commandité par les services secrets turcs.

Depuis le 9 janvier 2013, date à laquelle les militantes kurdes Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez ont été exécutées au coeur de Paris par un agent des services de renseignement turcs (MIT), les Kurdes et leurs amis n’ont cessé d’exiger la levée du secret-défense pour enfin obtenir justice.

Le Mouvement des Femmes Libres (TJA), a détaillé ce qui s’est passé ce jour-là et les jours qui ont suivi dans un texte complet.

« Vers 1 heure du matin le 10 janvier, leurs amis, inquiets de ne pas pouvoir les joindre depuis le début de l’après-midi, sont allés au 147 rue La Fayette [où se trouvait le Centre d’information du Kurdistan, CIK] et ont vu une lumière allumée au premier étage.

Ils parviennent à ouvrir la porte du centre et à découvrir les corps de Sakine, Fidan et Leyla dans le salon. Elles avaient été exécutées de plusieurs balles dans la tête. Une demi-heure plus tard, la police et les unités criminelles sont arrivées sur les lieux. Peu de temps après, lors de l’annonce de l’assassinat des trois militants, des membres de la communauté kurde ont commencé à se rassembler devant le siège du CIK. Dans la foule se trouvait également Ömer Güney, l’auteur du triple assassinat, qui sera placé en garde à vue et incarcéré une semaine plus tard.

À 9 heures, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, est arrivé sur les lieux du crime entouré d’une horde de journalistes, et s’est rendue directement au 1er étage, au siège du CIK. Vers 9 h 30, il a déclaré : « C’est une affaire grave, d’où ma présence. C’est un crime inacceptable. L’enquête ne fait que commencer sous l’autorité du parquet ; les services sont mobilisés pour faire la lumière sur cet acte complètement insupportable. Je suis également venu exprimer ma compassion pour les proches de ces trois femmes. Beaucoup de gens connaissaient la présidente du Centre d’information [Fidan Dogan].

À partir du 11 janvier, des milliers de Kurdes et d’amis du peuple kurde ont défilé vers le 147 rue La Fayette, en compagnie des députés kurdes Gultan Kisanak et Selahattin Demirtas [en prison depuis 2016] et de nombreux représentants d’organisations politiques françaises et d’élus.

Le président de la République, François Hollande, a décrit le meurtre des trois militants kurdes comme « horrible » et a souligné que Fidan Dogan était connue de lui-même et de nombreux acteurs politiques qu’elle rencontrait régulièrement.

Le 12 janvier 2013, 150 000 manifestants de toute l’Europe ont défilé dans les rues de Paris pour crier leur colère et leur tristesse, et pour exiger que les autorités françaises éclairent ce crime odieux.

Le 15 janvier 2013, les cercueils des trois militantes kurdes ont été transportés sur les épaules de leurs camarades, sur le lieu de la cérémonie funéraire, à Villiers-le-Bel, où une énorme foule a afflué pour rendre un dernier hommage à Sakine, Fidan et Leyla.

Le 16 janvier 2013, elles ont été accueillies à Diyarbakir, capitale du Kurdistan, par des centaines de milliers de personnes.

Le lendemain, chacune sera enterré dans sa ville natale : Sakine à Dersim, Fidan à Elbistan et Leyla à Mersin. »

Enquête

Le TJA a écrit ceci à propos de l’enquête sur le triple meurtre : « À partir du 10 janvier, lorsque la police a commencé à interroger l’entourage des trois militantes kurdes, elle a semblé se concentrer uniquement sur la voie du règlement de compte interne. Les associations kurdes, cependant, coopèrent activement, fournissant toutes les informations qui peuvent être utiles à l’enquête.

Quelques jours plus tard, alors que les préparatifs de la cérémonie funéraire étaient en cours, les dirigeants de l’association kurde ont découvert l’identité de la dernière personne à avoir vu Sakine Cansiz le 9 janvier 2013 et ont demandé à la police de l’interroger. C’est ainsi qu’Ömer Güney sera entendu en tant que témoin pour la première fois le 14 janvier 2013. Il sera arrêté le 18 janvier avec son colocataire.

Le 20 janvier, un courriel anonyme adressé au quartier général de la police de Paris (révélé par le magazine l’Express, dans un article du 15 juin 2013 intitulé Trois meurtres et une piste turque) affirme qu’Ömer Güney est un agent turc et donne des informations sur ses voyages en Turquie, des informations qui seront corroborées par les éléments figurant sur le passeport de Güney, découvert deux mois plus tard, caché derrière la console radio de son véhicule.

Le procureur, François Molins, a ensuite annoncé, lors d’une conférence de presse, l’incarcération d’Ömer Güney (31 ans), originaire de Sivas, et la libération de l’autre personne placée en garde à vue.

En février 2013, la presse turque a révélé que Güney s’était rendu en Turquie trois fois entre août et décembre 2012. Selon ses colocataires, Güney utilise 4 ou 5 téléphones portables qui n’ont pas été saisis lors de la première perquisition. À la demande des associations kurdes, la police a décidé de fouiller plus sérieusement l’appartement de Güney, mais a dû le faire deux fois. Les téléphones qui auraient dû être placés sous scellés lors de la première fouille ont été saisis un mois après le crime.

C’est le 12 janvier 2014 qu’un enregistrement sonore a été publié sur YouTube contenant une conversation entre Ömer Güney et deux personnes présentées comme membres du MIT, ce qui rend désormais indiscutable la thèse du crime d’État. Dans cet enregistrement, on entend Guney exposer ses plans d’assassinat contre plusieurs militants et représentants politiques kurdes en Europe.

Ce n’est qu’en août 2015, à la fin d’une enquête qui a duré deux ans et demi, qu’Ömer Güney a été renvoyé devant la Cour d’Assise. Dans l’ordonnance de renvoi, la juge d’instruction Jeanne Duyé souligne les « accointances » d’Ömer Güney avec le MIT. Par la suite, le procès qui devait initialement avoir lieu entre le 5 et le 16 décembre 2016 a été reporté sans raison à la fin du mois de janvier 2017. Mais Ömer Güney est décédé entre temps, en décembre 2016. Selon les dires, il souffrait depuis longtemps d’un cancer du cerveau. Affecté par la maladie des légionnaires, il serait mort d’une pneumonie.

En mars 2017, les avocats des familles ont déposé une plainte contre les commanditaire, ajoutant de nouveaux éléments au dossier de nature à identifier ces commanditaires.

Le comité exécutif de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK) a révélé en janvier 2018 des informations importantes fournies par deux hauts fonctionnaires du MIT détenus par le PKK depuis août 2017. En particulier, il a divulgué l’identité de l’agent du MIT responsable de la planification des assassinats. Ce dernier est Sabahattin Asal qui était à l’époque vice-président du département du MIT responsable des opérations internationales.

Il faisait également partie de la délégation envoyée par l’État turc à Imrali, au tout début du processus de pourparlers qui a commencé à la fin de décembre 2012, quelques semaines avant les assassinats. Cette information corrobore un élément important du dossier d’enquête français : le nom d’Asal figure parmi les signataires d’un document du MIT daté de novembre 2012 qui mentionne les préparatifs d’une attaque contre Sakine Cansiz. Ce document a été divulgué à la presse turque en janvier 2014.

En mars 2018, les familles ont déposé une plainte avec constitution de partie civile fondée sur les multiples liens d’Ömer Güney avec le MIT. À la suite de cette plainte, une nouvelle enquête a été ouverte sur le triple meurtre.

En mai de la même année, dans le verdict rendu à la suite d’une session sur la Turquie et les Kurdes tenue à Paris en mars 2018, le Tribunal permanent des peuples (TPP) a estimé que « l’audience a permis d’établir que l’État turc avait commis, organisé ou protégé des crimes de droit commun, ou des crimes d’État contre des individus ou des associations kurdes, sur son territoire et en dehors de son territoire. » Il souligne à cet égard que « le cas le plus récent est celui du meurtre de trois militantes kurdes à Paris, le 9 janvier 2013 : Fidan Dogan, Sakine Cansiz et Leyla Saylemez », l’enquête ayant montré « l’implication de hauts responsables des services secrets turcs, MIT ».

En 2020, le juge chargé d’enquêter sur l’affaire du triple assassinat a demandé au ministère de l’Intérieur de lever le secret-défense afin d’accéder aux informations en possession de la DGSI et de la DGSE concernant les circonstances du crime. Cette demande n’a aucun effet.

Le 16 février 2021, l’ancien chef du renseignement militaire turc Ismail Hakki Pekin a fourni une confirmation supplémentaire de l’implication du MIT dans l’assassinat des trois femmes kurdes. Dans une émission sur CNN Türk, le lieutenant général à la retraite dit que des liquidations ciblées doivent être effectuées contre les dirigeants du PKK en Irak, en Syrie et en Europe, ajoutant : « Nous devons faire quelque chose contre leurs éléments en Europe. Cela a déjà été fait une fois à Paris… »

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