L’offensive turque contre le canton d’Afrin, le troisième canton de la Fédération du nord de la Syrie, n’est en rien une surprise. Le président turc Erdogan claironnait son intention d’attaquer Afrin depuis des mois.
La seule question était de savoir quand l’agression allait se déclencher et quelle serait la réaction des puissances impérialistes à l’œuvre dans la région, Russie et USA. Si les FDS (Forces démocratiques syriennes) ont mis beaucoup plus de temps que nécessaire pour reprendre Raqqa, c’est que les préparatifs de défense d’Afrin avaient besoin de ce temps, pour acheminer armes et combattants dans l’enclave.
Faux prétextes, vraies raisons
La visite médiatisée de membres de l’état-major turc à Moscou quelques jours avant le début de l’attaque ne laissait plus de doutes, l’attaque allait avoir lieu avec la bénédiction des Russes, maîtres du jeu au nord-ouest de la Syrie. Les raisons de cette carte blanche donnée par les Russes à l’armée turque sont apparemment multiples, d’une part une faveur faite à Erdogan en récompense des gros accords signés par Gazprom avec la Turquie, mais aussi un jeu inter-impérialismes qui consiste à affaiblir l’influence étatsunienne et celle de l’Otan dans la région. L’annonce récente par les USA de la constitution d’une force de « gardes-frontières » de 30 000 hommes et femmes, en fait principalement des Kurdes membres du YPG, chargée de la sécurité de la frontière nord de la Syrie, même si elle a été ensuite précipitamment démentie, a fourni un prétexte inespéré à Erdogan. Car sa hantise est la jonction possible des trois cantons, Ceziré, Kobané et Afrin, qui formeraient une continuité à sa frontière. Pour l’empêcher, la Turquie occupe le territoire syrien qui sépare les trois cantons, la région de Jarablous et d’Al Bab, auparavant occupée par l’État islamique, et colonise de fait le territoire, chassant des Kurdes de leurs villages, et installant ses services postaux, son administration et même ses propres programmes scolaires dans les écoles.
Nationalisme turc exacerbé
L’absence de réaction concrète du gouvernement syrien témoigne d’une collusion de fait entre Erdogan et Assad. Pour l’instant, le dictateur turc a partiellement réussi son pari : il suscite un élan de soutien nationaliste dans la population turque et dans les partis politiques kémalistes ; même le CHP social-démocrate soutient son intervention. Tous ceux qui voudraient s’y opposer sont en danger d’emprisonnement ou de mort. « C’est bien pire que pendant le coup d’État fasciste de 1980 », nous dit un militant d’extrême gauche turc, « le moindre tweet ou like sur Facebook peut nous envoyer en prison, alors les rassemblements ou les manifestations, c’est du suicide ! »
Erdogan peut aussi se vanter d’avoir le soutien d’une partie de l’opposition syrienne, puisque certaines brigades djihadistes de l’ASL marchent devant ses tanks, drapeaux déployés. Pour l’heure, à notre connaissance, seul le Courant de la gauche révolutionnaire syrienne a déclaré son total soutien à la résistance d’Afrin contre l’invasion turque.
Résistance kurde
Le problème d’Erdogan, c’est la féroce résistance que rencontre son armée. Malgré les centaines de raids effectués par ses F16, les tonnes de bombes lâchées, on parle même de l’utilisation de napalm dans certains secteurs, il n’avance pas. Au dixième jour de l’intervention, ses tanks n’ont pu progresser que de 200 mètres à la frontière et ses troupes d’une dizaine de kilomètres au maximum dans quelques villages, alors que le nombre de victimes civiles augmente, dans une population composée pour la moitié de réfugiés ayant fui les atrocités de l’EI et des brigades djihadistes, ainsi que les bombardements du régime.
La population civile d’Afrin, autochtones ou réfugiés, reste solidaire de la résistance des FDS/YPG/YPJ, parce que ce petit territoire a mis en place l’égalité des droits pour touTEs,comme dans les deux autres cantons de la Fédération, et qu’une stabilité et une prospérité relatives y régnaient. L’agression turque replonge des centaines de milliers de réfugiéEs dans le cauchemar qu’ils avaient fui.
Les Kurdes d’Afrin espèrent que la solidarité internationale leur viendra en aide. Pour le moment, les fortes mobilisations, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en France, sont portées par la diaspora kurde. La présence des partis de gauche, des syndicats, reste très faible. Nous devons très vite apporter notre soutien à ces combattantEs qui défendent un projet pluraliste, antifasciste, féministe et multiethnique à rebours total des évolutions politiques et sociales au Moyen-Orient.
Par Mireille Court