Afrin: Recep Tayyip Erdogan rêvait d’une guerre-éclair contre la région d’Afrin. Mais les choses s’annoncent beaucoup plus compliquées qu’il ne l’avait espéré dans cette partie de la Fédération démocratique de Syrie du Nord, auto-gérée depuis 2012.

Douze jours que les forces armées turques et leurs supplétifs de l’ »Armée syrienne libre » (ASL, parapluie regroupant une trentaine de factions diverses et variées) se sont rués à l’attaque d’Afrin. Le but ultime de cette agression est de réduire à néant la présence kurde pourtant pluriséculaire dans cette région du nord-ouest syrien. Le régime d’Ankara ne s’en cache pas et les risques de nettoyage ethnique, pourtant bien réels, ne provoquent à l’étranger aucune réaction à la hauteur du péril encouru par les populations kurdes de cette province. Dans sa folie meurtrière, Erdogan ne fait preuve d’aucune retenue. Sa haine des Kurdes est un désastre pour les minorités qui vivent en paix à leurs côtés et qui se battent aujourd’hui avec eux contre l’envahisseur. Les bombes et les obus ne font pas de distinction entre les communautés, que l’on soit Arabe, Chrétien, Turkmène, Yézidi ou Kurde, ils tuent de la même façon dans un vacarme assourdissant bientôt suivi d’un silence mortel.

Les frappes aériennes et les pilonnages d’artillerie se sont intensifiés ces derniers jours. La banlieue d’Afrin, jusqu’à présent relativement épargnées par les forces turques, a subi mercredi 31 janvier des bombardements sans précédents qui ont fait une douzaine de blessés civils selon les autorités locales. Ce recours intensif à l’aviation et à l’artillerie à travers toute la région traduit la difficulté avec laquelle l’armée turque et ses groupes affiliés progressent au sol.

L’offensive militaire turque se concentre principalement à l’ouest et au nord de la ville d’Afrin tandis que le sud et l’est restent pour l’heure préservés par les combats. Les forces d’occupation ont percé le front en sept points mais éprouvent les plus grandes peines à se maintenir sur les maigres territoires conquis. Il en va ainsi du mont Barsaya où les Turcs et ses miliciens ont dû s’y prendre à plusieurs reprises avant de pouvoir proclamer en avoir pris le contrôle. Une situation qui n’a rien de figée puisque les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont lancé depuis le mardi 30 janvier une vaste contre-offensive pour reprendre cette hauteur stratégique qui domine le ville d’Azaz, occupée par la Turquie depuis l’été 2016.

Outre le mont Barsaya, les combats les plus violents ont actuellement lieu autour des localités de Jindires, Ma’mal et Rajo, situées à l’ouest d’Afrin. Les affrontements y sont intenses et il n’est pas rare de voir un hameau, un village ou une position stratégique changé plusieurs fois de mains en l’espace de quelques jours. Plus au nord, les forces turques et ses milices ont pris pied dans les districts de Shengal et de Shaykh Khawruz. C’est dans ce dernier district que l’avancée turque a été jusqu’à présent la plus significative, là où le relief est le moins important.

La progression des forces turques et de la malnommée « Armée syrienne libre » est bien loin de se faire de manière progressive et régulière. Face à la supériorité matérielle et humaine de l’agresseur turc, les FDS, avec les YPJ/YPG en fer de lance, s’appuient sur la topographie de la région pour repousser l’armée turque et l’ASL. Les reliefs accidentés de la province d’Afrin favorisent sa défense et conviennent tout à fait aux combattant.es habitué.es à ces collines et montagnes escarpées qu’ils connaissent sur le bout des doigts. Elles et ils s’y sont solidement retranché.es et il ne sera pas aisé de venir les déloger.

La nature du terrain sur lequel sont engagés les affrontements réduit ainsi le déficit numérique des Forces démocratiques syriennes. Cette infériorité quantitative est difficile à chiffrer tant les évaluations des forces engagées des deux côtés sont variables. On peut néanmoins estimer que le rapport de force est d’un pour deux ou trois, en défaveur des FDS. Outre le relief, la densité forestière de ces zones ne permet pas un déploiement massif et une utilisation optimale par l’armée turque de ses véhicules blindés. Elle favorise à l’inverse les mouvements des FDS qui peuvent se déplacer à l’insu de l’ennemi tout en menant contre lui des actions militaires de type guérilla. La détermination au combat est un autre facteur, psychologique cette fois-ci, en faveur des FDS. Lutter avec détermination pour défendre une cause à laquelle on croit profondément est une arme inestimable. Et cette arme, elle repose entre les mains de celles et ceux qui défendent Afrin.

Selon des chiffres fournis par l’Observatoire syrien de Droits de l’Homme (OSDH) et repris par l’Agence France Presse (AFP), 91 combattants des FDS auraient péri depuis le déclenchement de l’agression turque. Ankara a reconnu sept militaires tués au combat tandis que les pertes parmi l’ASL s’élèveraient à 85 miliciens pro-turcs. Par ailleurs, les affrontements mais surtout les bombardements aveugles de la Turquie auraient tué une centaine de civils et en auraient blessés deux fois plus selon les autorités locales d’Afrin. Cette tactique de la terreur mise en œuvre par les forces armées turques a conduit un 15 000 civils à fuir les zones de combats et les frappes aériennes selon l’ONU. Bien qu’un millier d’entre eux aient choisi de trouver refuge dans la région d’Alep contrôlée par le régime de Bashar al-Assad, la majorité demeure dans la région d’Afrin et cherche un abri dans des zones moins exposées. La Turquie espérait provoquer un exode massif de la population d’Afrin, isoler les FDS et ainsi se faciliter la tâche. Il n’en est rien.

Afrin vit toujours, même blessée elle ne rendra jamais les armes. Bien sûr elle est triste, écœurée de se sentir aussi seule alors que la guerre fait rage. Elle regrette que les sacrifices de ses cousines de Kobanê et d’ailleurs aient si vite été oubliés par ses alliés d’hier et leurs médias. Elle se bat avec la conviction de celles et ceux qui portent en eux ce qu’ils savent être juste : la liberté, la tolérance, la justice, l’égalité, l’amour de l’autre… Pour elle ce ne sont pas de vagues idées. C’est son essence même, ce qui lui a permis de se construire, ce qui lui permet aujourd’hui de se tenir seule, fière et déterminée face à l’appareil étatique destructeur turc qui assassine chez elle comme il respire. Bien peu la connaisse et pourtant on l’aime. Sans doute parce qu’elle se bat pour toutes ces choses, appelées valeurs ou idéaux peu importe, que l’on partage à travers le monde et qui nous rassemble. Elle lutte pour sa propre survie mais aussi pour vous, pour toi et pour moi. Ce n’est pas seulement Afrin qui est attaquée par la Turquie, c’est une partie de chacun d’entre nous.

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