“Une délégation du parti turc pro-kurde DEM a remis dimanche un message du fondateur du Parti des Travailleurs du Kurdistan emprisonné, Abdullah Öcalan, au leader historique kurde d’Irak Massoud Barzani, dans le cadre de sa médiation entre Ankara et le PKK.” (AFP du 16 février 2025)
Rencontre d'une délégation du DEM avec le Président du PDK Masoud Barzani, le 16 février à Hewlêr (Erbil)

“Une délégation du parti turc pro-kurde DEM a remis dimanche un message du fondateur du Parti des Travailleurs du Kurdistan emprisonné, Abdullah Öcalan, au leader historique kurde d’Irak Massoud Barzani, dans le cadre de sa médiation entre Ankara et le PKK.” (AFP du 16 février 2025).

Les députés Sirri Sureyya Onder et Pervin Buldan, qui ont déjà rencontré Abdullah Öcalan à deux reprises, étaient porteur d’un message du fondateur et leader charismatique du PKK. Le DEM Parti, toujours à la manœuvre, poursuit sa longue marche pour que s’ouvrent enfin de vraies négociations pour une paix juste et durable.

Dans un communiqué publié après cette rencontre, le bureau de presse de Barzani a affirmé que ce dernier était prêt à soutenir les avancées du nouveau processus et à jouer un rôle actif en ce sens. C’est aussi le souhait d’Abdullah Öcalan.

La délégation a poursuivi ses entretiens à Erbil avec Nechirvan Barzani, président de la région autonome du Kurdistan irakien et à Souleimaniyeh, deuxième grande ville du Kurdistan irakien, avec Bafel Talabani, président de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), l’autre formation historique des Kurdes en Irak et rivale du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) du clan Barzani.

Barzani peut-il jouer le rôle de médiateur ?

Barzani peut-il jouer le rôle de médiateur ? A priori la réponse est oui : son pragmatisme et sa proximité avec Erdoğan, pour des raisons économiques, stratégiques, mais aussi politiques, plaident dans ce sens. Réussir cette médiation réglerait l’épineux problème de Qandil, camp retranché du PKK dans les monts Zagros très difficiles d’accès, objet d’incessantes attaques de l’armée turque sur son territoire, le Kurdistan irakien, en violation de toutes les règles internationales.

Son aura déclinante se verrait redorée à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Duplicité, despotisme et soupçons de corruption ont en effet terni son image et il lui faudra donner de sérieux gages à ses ‘’frères’’ kurdes qui se souviennent encore de sa visite très controversée et très médiatisée à Diyarbakir, en 2013, pour soi-disant relancer le processus de paix, mais vécue comme venant au secours du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan en campagne électorale. “Barzani, tu vas être candidat de l’AKP à Diyarbakir ?” pouvait-on lire sur une pancarte brandie ironiquement par des Kurdes en colère du parti pro-kurde, le HDP (Parti démocratique des peuples). Pragmatique, Barzani ne pourra non plus ignorer les Kurdes du Rojava. Il le sait : aucun accord ne pourra durablement tenir sur le dos du Rojava.

Barzani – Mazlum : le courant passe

Barzani connait bien Mazlum Abdi, le commandant général des Forces démocratiques syriennes (FDS), pour avoir combattu simultanément le groupe État islamique, l’un en Irak et l’autre en Syrie entre 2014 et 2019. Leurs relations furent difficiles, Barzani étant proche d’Ankara alors que Mazlum est l’allié du PKK. Mazlum Abdi est considéré, y compris par la Turquie qui a mis sa tête à prix, comme l’un des proches d’Abdullah Öcalan qu’il a rejoint des 1990 en adhérant à la branche syrienne du PKK et en prenant part à la lutte armée contre l’État turc. En 2011, il quitte le PKK pour organiser les activités des Unités de protection du peuple (YPG) en Syrie. En 2015, il prend le commandement des FDS et devient un interlocuteur incontournable. Le 17 janvier 2025, il est reçu, à Erbil, par Barzani. Les entretiens ont porté sur la situation en Syrie après la chute du régime baas ainsi que sur les développements politiques et sécuritaires, selon un communiqué du bureau de Barzani. De son côté, Mazlum Abdi ne cache pas sa satisfaction : « nous avons convenu que les Kurdes devaient adopter une position commune en Syrie et que le dialogue avec Damas devait permettre de protéger les droits du peuple kurde de manière pacifique. » Cette position se confirme, semble-t-il, avec cette nouvelle dépêche indiquant la volonté des FDS de s’intégrer dans l’armée syrienne, invitant le nouveau président syrien à se rendre officiellement au Rojava pour en fixer les conditions. Avec l’aval d’Abdullah Öcalan pour mieux contrer les ambitions de la Turquie en Syrie ?

La question préalable aux négociations avec l’Etat turc

« La clé de la solution et de la mise en œuvre de la paix au Moyen-Orient est entre les mains du leader Öcalan ; sa libération apportera une paix durable dans la région », a déclaré Mazlum Abdi, reprenant le ‘’Libérez Öcalan’’ crié par des milliers de manifestants partout en Europe, en Turquie et au Rojava. La question préalable aux négociations avec l’Etat turc et débattue avec tous les interlocuteurs est sans aucun doute la libération (ou l’élargissement) d’Abdullah Öcalan contre la paix des armes (trêve, cessez-le-feu…). Le deal est possible, mais pas certain. Tous sont dans l’attente de l’appel que doit faire Abdullah Öcalan avant la fin du mois, et qui sera soutenu par le DEM Parti et, sans aucun doute, par Qandil et le Rojava.

Que décidera Erdoğan ? Il ne semble pas avoir la volonté de faire la paix avec qui que ce soit. L’actualité le prouve, les combats continuent au Rojava et la répression ne faiblit pas en Turquie. Sa dialectique est guerrière, mais sa force est virtuelle. Le pays s’engouffre dans une profonde crise économique. La mèche de la dynamite sociale est allumée et pourrait faire tout exploser. La peur semble avoir changé de camp. De plus, l’arrivée de Donald Trump, l’imprévisible nouveau président des Etats-Unis, plonge le monde entier dans l’incertitude. La position d’Erdoğan s’en trouve fragilisée. Le contexte est plus que jamais favorable à l’ouverture de négociations. Il y a de bonnes raisons d’y croire… avec prudence.

André Métayer

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