Depuis le 15 novembre, une série de manifestations se sont propagées à travers l’Iran comme une traînée de poudre, embrasant le pays. Les manifestant.e.s ont demandé aux dirigeants cléricaux de se retirer du pays.
Le mouvement initial de protestation contre la décision du gouvernement d’augmenter le prix de l’essence dans ce pays riche en pétrole s’est rapidement transformé en manifestation contre l’ensemble de la République islamique et de la classe dirigeante. Les manifestations n’ont pas de centre et ne gravitent pas autour d’un lieu particulier. Elles n’ont pas de leader non plus, comme beaucoup d’autres pays qui ont connu une révolte récemment, au Liban, en Irak ou en Chili. Les rassemblements sont répartis dans tout l’Iran mais c’est dans les zones les plus marginalisées que les habitant.e.s hurlent de plus en plus fort – et sont le plus réprimé.es par les forces de répression. Les manifestant.e.s s’attaquent à des symboles du pouvoir politique et économique. Des stations service et surtout des banques sont incendiées à travers tout le pays.
La répression est féroce. En six jours, plus de 143 manifestant.e.s ont été assassiné.e.s, des milliers ont été blessé.e.s et plus de deux mille cinq cents arrêté.e.s, selon le dernier rapport d’Amnesty International. Les agences de presse de la République islamique elles-mêmes ont confirmé l’arrestation de plus de mille personnes. Les détenu.e.s sont emprisonné.e.s dans des lieux inconnus et leurs familles ne sont pas mises au courant.
En outre, les forces de sécurité ont arrêté à leur domicile plusieurs activistes civils connus, des étudiant.e.s, des ex-militant.e.s et des militant.e.s politiques. Les militant.e.s Soha Mortezaei, Sepideh Gholian, Ali Nanevaei, Yashar Darolshafa, Kaveh Darolshafa, Melika Gharagozlu et Kamyar Zoghi figurent parmi celles-ci. Dans les régions périphériques, comme au Kurdistan et au Khouzistan, des manifestants blessés ont été arrêtés chez eux. Dans ce contexte, selon l’ONG Kurdistan Human Rights Network (KHRN), les personnes blessées préféraient se soigner chez elles plutôt que de risquer une interpellation en se rendant à l’hôpital. De nombreuses familles attendent toujours désespérément des nouvelles de proches qui ont quitté la maison pour se joindre aux manifestations et ne sont jamais revenus. Des personnes qui ont appris la mort de leurs proches ont déclaré que les autorités ne les laissaient pas récupérer leurs corps pour les inhumations, par crainte que les funérailles ne se transforment en manifestations et en rassemblements politiques.
Ce qui inquiète réellement la population iranienne, c’est la menace d’exécutions et de sanctions sévères de la part des autorités iraniennes contre les manifestant.es, comparées à celles et ceux qui s’opposaient à la guerre entre l’Iran et l’Irak dans les années 80 considéré.es comme des traîtres à la patrie, ce qui laisse sous-entendre que de terribles sanctions vont tomber. La plupart des journaux conservateurs ont écrit lundi dernier : « Certains responsables judiciaires sont sûrs que l’exécution par pendaison attend les dirigeants des manifestations. » Le Corps des gardiens de la révolution a mis en garde lundi les manifestants anti-régime contre une décision « décisive ». Des mesures doivent être prises si les troubles liés à la hausse des prix de l’essence ne cessent pas, ont déclaré les médias, faisant allusion à une répression sévère de la part de la sécurité. « Si nécessaire, nous prendrons des mesures décisives et révolutionnaires contre toute poursuite des actions visant à perturber la paix et la sécurité de la population« , a déclaré l’IRGC dans un communiqué publié par les médias officiels. Ailleurs, Hassan Rouhani a qualifié les manifestants de « petit groupe anti-patriote opposé aux intérêts nationaux« . Il a également appelé à une répression contre les manifestant.e.s. « Nous devons agir de manière décisive contre les mercenaires qui sont contre la sécurité nationale« , a-t-il déclaré dans des commentaires repris par l’agence de presse officielle ILNA.
Le régime iranien a bloqué l’accès des Iranien.ne.s à Internet du samedi 16 novembre jusqu’aux environs du 24, rendant difficile la collecte d’informations et l’évaluation de la situation dans les rues. Ce véritable black out numérique empêché toute la population iranienne de communiquer avec l’extérieur. Le gouvernement n’a pas simplement fermé le réseau, en faisant taire la voix des peuples, les frontières se sont transformées en murs d’isolement, empêchant ainsi de recevoir des informations des autres quartiers ou de l’extérieur du pays. Les Iranien.ne.s en exil sont resté.e.s dans le flou et l’isolement concernant ce qui se passe dans les rues et les différentes villes en Iran. La communication et la circulation de l’information ne sont pas les seules choses bloquées en Iran ; le calendrier officiel a également été suspendu. Les universités, les écoles, les stades de sport ont été fermés et les transports en commun suspendus à plusieurs endroits dans le pays. Alors que le gouvernement iranien a bloqué l’accès des citoyens ordinaires à Internet, les quelques photos et vidéos reçues d’Iran montrent la répression brutale des autorités. Les Nations Unies ont demandé instamment à l’Iran de mettre fin à son blocage d’Internet.
Pour celles et ceux qui se sortent dans la rue, ce n’est plus le prix du carburant qui est en jeu, mais quarante ans d’un régime d’apartheid qui a regroupé divers types de minorité avec discrimination sexuelle, religieuse et de classe à l’égard des femmes, des moins-croyants et des défavorisés. L’establishment politique qui a dirigé l’Iran au cours des quatre dernières décennies, incarné par les réformistes et les conservateurs, n’a pas réussi à faire face à la crise qui touche le système dans son ensemble. Cette crise organique a ses propres racines structurelles, enchâssées dans les quatre décennies de l’économie politique de la République islamique. Les sanctions américaines ont servi de catalyseur à cette crise croissante.
La récente vague de manifestations spontanées contre la hausse du prix de l’essence doit être contextualisée dans le cadre du « processus révolutionnaire à long terme » en Iran. Peu de temps après la Révolution de 1979, les forces religieuses qui ont pris le pouvoir ont monopolisé le pouvoir politique et formé un gouvernement d’initiés basé sur une minorité perse-chiite, et après la guerre Iran / Irak, sur le capitalisme. L’économie iranienne a été dominée par cette oligarchie politico-économique. Une fois que la reconstruction de l’Iran après la guerre de 1980-1988 avec l’Irak a été mise en œuvre, une toute petite élite économique est née. Elle avait des liens étroits avec la politique et dirigeait principalement les classes supérieures.
Le mouvement de 2019 est également une continuation de la révolte de 2017 et une radicalisation du mouvement vert de 2009, les trois contre le système politique à différentes échelles. Le fait que les manifestations aient été si rapidement politisées montre que la mémoire des soulèvements réprimés en 2017-2018 n’a pas disparu. La crise organique de la République islamique ne peut être résolue dans le système existant. Si la crise fait partie de la construction même de l’économie politique post-révolutionnaire, une déconstruction fondamentale sera nécessaire. Depuis les soulèvements de 2017-2018, des travailleurs, des agriculteurs, des camionneurs, et des enseignants ont organisé des centaines de manifestations, pour ne citer que les quatre plus importantes. Les travailleurs de la Haft Tappeh Sugarcane Company dans la province du Khuzestan, au sud-ouest de l’Iran fournissent un exemple de ces protestations qui ont abouti à la présentation finale de leurs revendications contre la privatisation et à leur détermination à devenir des travailleurs autonomes.
La hausse du prix de l’essence a été le dernier déclencheur qui a suscité la colère accumulée de la population et n’a servi que de prétexte pour résister à l’appauvrissement des travailleurs et de la classe moyenne inférieure. La classe urbaine pauvre se soulève; une classe qui se caractérise par des conditions politico-économiques particulières du tiers monde et un mélange hétérogène de travailleurs pauvres et saisonniers, de commerçants, de petits vendeurs et de jeunes ayant des emplois instables ou au chômage et appartenant souvent à des groupes minoritaires ethniques inférieurs / qui ont été expulsés des villes plus petites par les politiques de développement économique et sont venus dans les périphéries des grandes villes pour trouver des emplois. C’est la classe qui a été la plus durement touchée par les politiques néolibérales au cours de la dernière décennie et à chaque étape du processus. La classe urbaine pauvre des villes descend dans la rue en raison de la hausse des coûts et des conditions de vie misérables. De par leur expérience, ils sont convaincus que la résistance et les actions collectives sont nécessaires en cas d’échec des stratégies individuelles, en l’absence d’organisations civiles ou de partis politiques, dans un état où la militarisation d’espaces publics urbains est une partie de la politique nationale d’une oligarchie théocratique.
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