Le 15 avril 2021 vers 13h, Ludovic de Foucaud, correspondant de France 24 en Turquie tweetait un message de remerciement à la république turque pour avoir organisé la vaccination des journalistes étrangers en Turquie, avec le vaccin allemand Biontech.
Comment le correspondant en titre d’une chaîne française largement diffusée, et prétendument expert sur la Turquie, ne peut-il pas se rendre compte de l’indécence d’un tel message ?
Indécent, car ces journalistes expatriés bénéficient d’un passe-droit par rapport au reste de la population. La plupart des personnels soignants par exemple n’ont pas reçu le vaccin allemand, mais la version chinoise, dont le processus de validation reste plus obscur.
Indécent, car même si en Turquie le processus de vaccination est bien plus avancé qu’en France, nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui en ont un besoin vital et ne l’ont pas encore obtenu alors que la pandémie repart de plus belle, avec 297 morts le 15 avril. Ainsi, le syndicat d’enseignant Egitim Sen a organisé des mobilisations en avril face aux centaines de contaminations d’enseignant.es (200 rien que dans la ville de Manisa en avril), avec plusieurs dizaines de décès…
Indécent, car pour être considéré comme « journaliste » en Turquie il faut une carte de presse validée par le pouvoir, ce qui implique de ne rien publier qui ne le gêne – et donc de faire profil bas, tout le contraire de ce tweet. La Turquie est l’un des pays qui emprisonne plus de journalistes d’opposition. Près d’une soixantaine sont actuellement sous les barreaux, exposés à une contamination au coronavirus sans possibilité de recevoir de soins ou de traitements. Nombre de journalistes étrangers ont été expulsés pour avoir travaillé sur des sujets comme la répression du peuple kurde, des militant.es politiques d’opposition ou des droits humains… Pire, des témoignages d’opposant.es emmenés en garde à vue ou emprisonné.es dans l’attente de leur procès montrent que les autorités pénitentiaires mélangent volontairement des malades du covid avec des prisonnier.es « politiques ». Nombre d’entre elles et eux, en sortie de garde à vue, développent des symptômes.
Il ne s’agit pas de demander aux journalistes étranger.es en Turquie qui vont bénéficier du privilège d’être vacciné d’avoir le courage de le refuser. A titre individuel, tant mieux pour elles et eux, d’autant que la gestion française des vaccins est calamiteuse. Mais au moins d’être conscient.es qu’il s’agit d’un passe-droit, et plutôt que remercier un pouvoir despotique de ce fait du prince, d’informer sur l’état actuel de la gestion du coronavirus dans toutes les parties du pays, sans oublier les régions kurdes où les correspondant.es étranger.es se font rares… Que le représentant d’une des principales chaînes françaises se laisse aller à un tel message en dit long sur son traitement de l’actualité turque et sur la réflexivité par rapport à sa pratique…
Par Zozan Laylek.