Passer de la guerre à la paix quand il s’agit de la question kurde apparait pour tout un chacun une évidence. Mais, pour y arriver, ce n’est pas aussi simple : la guerre sévit depuis plus de quarante ans, car il s’agit bien d’une guerre, une guerre asymétrique, comme l’a écrit Gérard Chaliand, « un conflit armé non international soumis aux règles de droit international humanitaire » comme le dit le Tribunal Permanent des Peuples (TPP) dans son verdict des 15-16 Mars 2018, rendu public le 24 mai 2018 à Bruxelles, lors d’une réunion au Parlement européen. 

Il faut, pour envisager une stratégie conduisant à la paix, replacer la question kurde dans le contexte international et prendre en compte la complexité des diplomaties où se mêlent représentation nationale, considérations stratégiques, organisation des moyens de défense, intérêts économiques, coopération des services de renseignement. A nous, dans tout cela, de rappeler la place des droits de l’Homme si souvent oubliée. 

Quelle est la place de la question kurde sur l’échiquier international? Je reprends volontiers les propos d’un journaliste russe, Piotr Romanov, qui présente la question kurde comme celle du pion imprenable. Tout joueur d’échec connait cette combinaison où le pion, qu’il a placé dans une situation risquée, est devenu stratégiquement important : le pion, appelé aussi fantassin, toujours en première ligne, sans aucune valeur intrinsèque, volontiers sacrifié, est placé de telle façon que si l’adversaire l’élimine, manœuvre apparemment facile, Il perd la partie. « Le dossier kurde est aussi une sorte de pion intouchable » écrit Piotr Romanov et l’Histoire lui donne raison.

Aujourd’hui, si la question kurde est d’une importance toute relative sur la scène internationale, elle est néanmoins au centre d’un espace où, au gré des alliances qui se lient et se délitent, se côtoient, se disputent, se défient, directement ou indirectement, les grandes puissances internationales, (Etats Unis, Russie, Union européenne…, mais aussi, en embuscade, la Chine) et les puissances régionales (Turquie, Iran, Arabie saoudite, les Emirats… sans oublier Israël).

Nul ne peut ignorer ce contexte c’est pourquoi je préconise une stratégie, pour aller  » de la guerre à la paix » réclamant haut et fort :  » Négociations « 

« Paix au Kurdistan, Négociations »

« Paix au Kurdistan, Négociations », c’est un slogan, c’est un mot d’ordre, c’est une stratégie qui peut rassembler au-delà des militants « convaincus d’avance », au-delà de nos cercles de sympathisants habituels. 

La stratégie que je propose est claire : pour une paix juste et durable, il faut rassembler tous les protagonistes, y compris le PKK qui doit être considéré, comme le dit le TPP comme un interlocuteur à part entière. Il est donc légitime que le PKK soit à la table des négociations « comme une partie dans un conflit armé », l’autre partie étant : » les services de sécurité, l’armée et les autorités turques« .

Il est donc légitime que participe aux négociations Abdullah Öcalan, ce chef charismatique, embastillé depuis plus de vingt ans, ce leader du PKK quijouit d’une notoriété intacte.

Solution politique à la question kurde

 « La France reste convaincue qu’une solution politique à la question kurde est la seule qui soit viable à long terme« , a écrit le ministre français des Affaires étrangères, J.Y. Le Drian, mais peut-on imaginer un seul instant qu’on puisse réunir autour d’une table de négociation toutes les parties prenantes sans inviter le PKK? C’est comme imaginer les accords d’Evian de 1962 -qui mirent fin à la guerre d’Algérie- sans le FLN, ou les négociations à Johannesburg sans Mandela.

La libération de tous les détenus politiques doit être évidemment sur la table des négociations, à commencer par celle d’Abdullah Öcalan, mais aussi celle de Selahattin Demirtaş, grand leader du HDP, (parti de la Démocratie des Peuples qui rassemble au-delà des Kurdes) détenu depuis 2016, malgré la décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui a demandé sa mise en liberté immédiate.

Pour une paix juste et durable doivent être sur la table des négociations non seulement les dispositions qui mettent fin à la lutte armée mais également les perspectives politiques qui garantissent le droit à l’autodétermination comme le dit encore le TPP :

 » Le noyau même du conflit entre le peuple kurde et la République de Turquie et la cause fondamentale des nombreuses violations du droit international par les forces militaires turques sont le déni constant et systématique du droit à l’autodétermination du peuple kurde. Le principe de l’autodétermination a été exprimé dans différents textes internationaux après la Seconde Guerre Mondiale et a acquis un statut obligatoire en droit international depuis lors ».

Le peuple kurde n’est pas une « minorité » comme l’écrit le ministre Le Drian, mais un peuple aujourd’hui « minoré » qui réclame, dans le cadre de la République de Turquie, dont il est l’un des peuples fondateurs, des droits politiques et culturels. Le « confédéralisme démocratique », une alternative politique pour les Kurdes au Moyen-Orient à l’État-nation, dont le « père » est Abdullah Öcalan, est une option qui doit être aussi sur la table des négociations. La KCK, l’Union des communautés du Kurdistan », doit être reconnue comme une organisation légale de la société. Tous les procès intentés pour appartenance au KCK doivent cesser. Et les milliers de cadres politiques et associatifs, d’élus et de militants, de journalistes et d’avocats, « présumés coupables », doivent être immédiatement libérés et blanchis.

Est-ce utopique ?

La guerre coûte très cher et l’économie turque est entrée dans une nouvelle zone de turbulences, écrit Le Monde. Son président est de plus en plus critiqué, y compris dans propre parti, et son comportement commence à agacer plus d’un de ses partenaires et alliés (n’a-t-il pas voulu expulser dix ambassadeurs, dont celui de la France, avant de faire machine arrière?). La Turquie n’apparait plus, au sein de l’OTAN, comme un partenaire, sûr, incontournable. La raison devrait donc finir par l’emporter, non pas pour des considérations humanitaires, mais au nom de la realpolitik.

D’autant plus que les Kurdes ont des arguments à faire valoir : 

– une résistance à toute épreuve : leur rôle dans la guerre contre Daech est dans tous les esprits

– une force politico-militaire avec le PKK, 

– un leader charismatique dont l’aura est intact malgré son incarcération depuis 1999.

– des organisations politiques qui ont l’expérience de la gouvernance locale régionale et nationale 

– un projet, déjà expérimenté au Rojava : le « confédéralisme démocratique ».

André Métayer

(Intervention lors de la visioconférence organisée par Le Mouvement de la Paix le 09/11/2021)

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