« Des millions de personnes, dont des politiciens, des intellectuels, des écrivains, des universitaires, des enseignants et des chefs religieux, contemplent tous les relations entre l’État et la mafia, comme s’il s’agissait d’une série télévisée », écrit Ferda Çetin pour le journal Yeni Özgür Politika.
Et le terme « millions » est réel. Les vidéos YouTube du chef de la mafia turque Sedat Peker sont devenues virales et ont été visionnées par plus de 10 millions de personnes en 24 heures. Cet immense public attend avec impatience les nouveaux épisodes avec curiosité et enthousiasme. (…)
Sedat Peker, qui a été impliqué dans toutes sortes de travaux illégaux au cours des 40 dernières années, a du mal à comprendre le changement soudain d’attitude de l’État à son égard. Il définit la rupture de cette relation mutuelle (entre lui et l’État) comme une trahison.
Il affirme que cette attitude n’est pas du ressort de l’État, mais du ministre de l’intérieur Süleyman Soylu.
Le peuple kurde, les Mères du samedi, les socialistes et les démocrates connaissent depuis longtemps la relation État-politique-mafia. Ils savent aussi que les graves accusations de Sedat Peker ne sont qu’une petite partie de cette relation.
Pour ses segments, l’importance de ce « conflit interne » réside dans le fait que ces aveux de bout en bout, coïncident avec leur propre connaissance de l’histoire de l’État.
Cette relation entre la mafia et l’État n’a pas commencé avec le chef mafieux d’extrême droite Alaattin Çakici et Sedat Peker.
On a découvert que d’autres figures de la mafia avaient également des liens avec des fonctionnaires dans le passé. L’héritage de cette tradition a commencé pendant la désintégration de l’Empire ottoman. Ses racines remontent à la société Ittihad-i Osmani, fondée en 1889. La Teşkilat-ı Mahsusa, fondée en 1911 à des fins turco-islamistes, était également une organisation mafieuse. (…)
Selon les aveux de Sedat Peker, nous avons appris que Mehmet Ağar et son équipe ont saisi le port de plaisance de Bodrum-Yalıkavak appartenant à Mübariz Masimova ; nous avons également appris que Alaattin Çakıcı, Korkut Eken et Engin Alan ont communiqué des photo à la presse à Yalıkavak afin de rendre publique cette saisie.
Le 22 août 2020, 119 kilogrammes de cocaïne ont été saisis à bord d’un navire transportant du « fromage » en provenance du Venezuela vers la Turquie. L’organisation de l’importation de fromage est menée par Erkam Yıldırım, le fils de Binali Yıldırım, ancien premier ministre de la République de Turquie.
La citoyenne ouzbèke Nadira Kadirova a été « retrouvée morte » dans la maison du député de l’AKP d’Istanbul Şirin Ünal. Yeldana Kaharman, journaliste sur une chaîne de télévision locale, a été violée après avoir réalisé une interview avec le fils de Mehmet Ağar, Tolga Ağar. Un jour après avoir signalé le viol au poste de police, elle a été retrouvée morte à son domicile. Toutes ces pratiques sont habituelles dans les relations entre l’État et la mafia.
Les liens entre les hauts fonctionnaires de l’État et les criminels sont parfois appelés « État parallèle » et parfois « État profond ».
Leur existence est parfois acceptée par les fonctionnaires de l’État, parfois niée, et tout dépend de la conjoncture.
Kenan Evren a déclaré un jour qu’il n’existait pas d’État profond, tandis que le président turc Demirel a affirmé que l’État profond était l’État lui-même.
Tansu Çiller, l’ancienne Première ministre de la République de Turquie, a ouvertement défendu les relations entre la mafia et l’État dans son discours se référant à Susurluk en 1996 : « On se souvient toujours avec respect de ceux qui ont tiré des balles et ce qui se sont pris des balles pour le bien de la patrie. Ils sont honorables ». (…)
La gouvernance actuelle basée sur l’organisation AKP-MHP-Mafia, qui ne reconnaît aucune loi, touche à sa fin.
Lorsqu’il s’agit du cas des Kurdes, on comprend que la relation mafia-État est justifiable et raisonnable et qu’elle est même plus dangereuse, plus menaçante que la mafia elle-même. Le Parti Républicains du peuple (CHP) et le journal Cumhuriyet portent très fortement le virus de cette maladie et le transmettent aux autres générations. Après les récentes déclarations de Peker, « l’excitation et le courage » des députés du CHP, en particulier Kemal Kılıçdaroğlu, ne sont pas sincères.
Sedat Peker a envoyé des centaines de gilets pare-balles et des centaines de voitures Land Cruiser aux gangs de l’Etat islamique (EI) à Afrin, et tout le monde savait que ceux-ci étaient utilisés contre les Kurdes. Les dirigeants du CHP et le journal Cumhuriyet le savaient bien. Aujourd’hui, ils posent des questions à Sedat Peker et Süleyman Soylu sur les relations entre l’État et la mafia.
Mais ils n’ont jamais posé de telles questions à l’époque : Quelle est la raison de votre hostilité envers le peuple kurde à un niveau permettant de coopérer avec l’EI ? Que faisons-nous à Afrin ? D’où et comment Sedat Peker a-t-il obtenu une telle somme d’argent ? Aujourd’hui, la direction du CHP, Kılıçdaroğlu, et le journal Cumhuriyet posent des questions censées remettre en cause la relation État-mafia.
Les médias américains et européens, dont le New York Times, Le Monde et le Washington Post, rapportent également les vidéos de Sedat Peker. L’Occident a vu une fois de plus les relations sales de l’État turc et de la mafia.
Alors que la Turquie fournissait des armes et de l’argent à des gangs transfrontaliers tels qu’Al-Qaïda, l’EI, Al-Nusra et les FSA, elle était également gouvernée par des gangs mafieux, des trafiquants de cocaïne, des gangsters et des criminels à l’intérieur même du pays. Toutes sortes de relations avec l’EI sont apparues au grand jour et il est clairvoyant contre quel type d’État les Kurdes se battent.
Ceux qui accusent et qualifient de « terrorisme » la lutte du peuple kurde, du PKK et des guérilleros kurdes, et ceux qui soutiennent directement l’État turc aident en réalité les gangs mafieux, les barons de la cocaïne et l’EI