Le PKK est-il la cause ou la conséquence ?
Keywan Kawa et ses deux enfants victimes du bombardement de l'aviation turque à Kunamasî, le 25 juin 2020. Photo : Rebaz Majeed

Ce n’est pas l’existence du PKK qui est la cause des attaques de la Turquie contre les Kurdes, mais ces attaques qui sont la cause de l’existence du PKK, commente la journaliste Meral Çiçek*, chroniqueuse au journal Yeni Özgür Politika, qui se trouve actuellement à Sulaymaniyah, au Sud-Kurdistan.

« Les attaques transfrontalières de l’État turc qui bombarde depuis 1986, à intervalles réguliers, le Bashûr (Sud-Kurdistan, Irak), ont suscité beaucoup de réactions et de débats au cours des dernières semaines. On a assisté sur les réseaux sociaux en particulier, à un rejet de plus en plus net de l’argument sans cesse répété par le pouvoir politique du Bashûr – principalement exprimé par le PDK (Parti démocratique du Kurdistan) – selon lequel la cause des attaques aériennes turques serait l’existence du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan). Par conséquent, la seule façon d’arrêter ces attaques aériennes serait de mettre fin à l’existence du PKK au Bashûr.

Selon cette logique, si l’État turc se balade les mains libres au Bashûr, avec son armée et ses services secrets, c’est le PKK qui en est responsable et non ceux qui ferment les yeux et coopèrent avec la Turquie. Ce n’est pas l’agresseur, mais l’agressé qui est responsable. Une campagne d’invasion menée, en dehors de ses frontières, par un État hostile aux kurdes, est légitime, mais la présence au Kurdistan du PKK, un mouvement de résistance kurde, est illégitime. C’est le récit officiel, c’est la perception qu’on tente d’inoculer à la population.

Mais la majorité de la population ne raisonne pas de cette façon et ne croit pas aux déclarations officielles. A l’allégation selon laquelle « La cause des raids aériens est le PKK », on répond : « Les raids aériens sont la cause de l’existence du PKK ». Ces derniers jours, des jeunes du Bashûr ont lancé sur twitter des campagnes de hashtag, qui sont entrées dans la liste des tendances mondiales, attirant l’attention sur les raids aériens turcs au Kurdistan. Cela montre que le mensonge de l’État turc – « Nous n’avons pas de problème avec les Kurdes, notre problème est avec le PKK » – ne trouve pas d’écho au sein de la population du Bashûr.

Malgré toutes les manipulations de l’État turc, qui poursuit une politique d’occupation génocidaire contre les Kurdes, les esprits sont clairs dans les quatre parties du Kurdistan. Et cette clarté s’approfondit à chaque nouvelle attaque turque contre le Bashûr.

Pour cette raison, le résultat est contraire à celui escompté par la Turquie. Celle-ci pensait que les attaques contre les civils canaliseraient la colère de la population contre le PKK. Cependant, la colère des habitants du Bashûr, en particulier celle des jeunes, est de plus en plus dirigée contre la Turquie. Pour le moment, cette colère est empêchée de se répandre dans les rues. Après le massacre de Sheladizê, la population locale a voulu marcher vers la base militaire turque située dans la région, mais les forces de sécurité l’en ont empêchée, en faisant usage de la violence. De même, les personnes qui voulaient protester devant le consulat turc à Hewlêr (Erbil) après l’attaque aérienne sur Kunamasi ont été arrêtées avant même d’avoir pu commencer l’action.

Au Bashûr, on prend de plus en plus conscience que la Turquie ne cible pas seulement le PKK, mais qu’elle poursuit un plan d’annexion du Kurdistan dans le cadre de la politique du Misak-i Milli (pacte national de 1920 définissant les frontières de l’empire ottoman). Cette prise de conscience se ressent de plus en plus dans les réactions contre les dernières attaques. Par exemple, Keywan Kawa, une des victimes du raid aérien sur Kunamasi, a déclaré ceci : « Si nous, les civils, ne sommes pas la cible de l’État turc, pourquoi n’ont-ils attaqué qu’après que les guérilleros du PJAK se soient approchés de nous ? Qui sont les terroristes ? Est-ce moi ou ceux qui ont fait de ma vie une tragédie avec ce raid aérien ? »

La population du Bashûr est actuellement confrontée à de multiples crises. Les fonctionnaires n’ont pas été payés depuis des mois. Le nombre d’infections par le coronavirus a augmenté de façon spectaculaire au cours des deux derniers mois. Les frontières et les aéroports sont fermés. Et, par-dessus tout, l’État turc mène des attaques aériennes et des opérations d’occupation. »

Note : Keywan Kawa a été légèrement blessé lors du raid aérien sur Kunamasi, mais sa femme a dû se faire amputer une jambe et son fils a des éclats d’obus dans la tête. Selon les médecins, ceux-ci ne peuvent être enlevés sans provoquer des complications. Keywan Kawa avait beaucoup travaillé pour ouvrir son commerce qui a été détruit lors du raid aérien sur Kunamasi.

*Meral Çiçek a étudié les sciences politiques, la sociologie et l’histoire à l’université Goethe de Francfort. Pendant ses études, elle a commencé à travailler comme correspondante et rédactrice pour le seul quotidien kurde en Europe, Yeni Özgür Politika, pour lequel elle écrit maintenant une chronique hebdomadaire. En 2014, avec d’autres femmes, elle a fondé le Bureau des relations avec les femmes kurdes (REPAK) à Sulaymaniyah, dont elle est la présidente. Elle est également membre du comité de rédaction du magazine trimestriel Jineolojî (Science des femmes).